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L’hôpital

Par
Véronique Grenier
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Il y a un hôpital proche de chenous. À chaque fois que le Fils l’aperçoit, il répète la même chose : « R’garde, maman, c’est ton hôpital. » À chaque fois, quelque chose dans mon ventre se noue, ma gorge se serre. C’parce que j’y ai passé cinq semaines. Il y a deux ans. Demain.

Ce sera le second anniversaire d’une journée ben triste de ma vie. Pour le dire en euphémisme, ça devait être la dernière. Fa’que c’est aussi le jour où on m’a mise en jaquette bleue et retirée du monde question que j’y reste, dans le monde, question qu’on trouve une manière de calmer la souffrance qui me pulsait le corps. Et la tête.

Ce n’est pas glamour, une aile psychiatrique. Moins que dans les films, entouécas. C’est fuckall comme dans les films, en fait. Bien que j’y aie déjà rencontré un homme qui se prenait pour une plante et qui se tenait devant la fenêtre parce que t’sais, photosynthèse, il n’y a pas de cette « beauté de la folie » qui ajoute une aura de « spécial » autour des gens. Naon. Y’a pas ça.

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L’étage des dépressifs, suicidaires et autres troublés de l’humeur est un tout petit monde de gens gris, parfois translucides, qui longent les murs de leur nausée de vivre. Il est ponctué de chicanes de télécommandes, d’activités telles que coloriage de mandalas et parties de Battleship, de je-fixe-un-point-sur-le-plancher-tellement-je-suis-assommé-par-la-médication-kekun-peut-il-essuyer-ma-bave-sivouplait, et de discussions, entre collègues aliénés, sur les méthodes de suicide, notamment celles qui fouarrent, et vide existentiel. Du bonheur à grande louchée.

Parfois, des gens hurlent. Longtemps. T’aurais envie de les prendre dans tes bras, mais t’as tellement de la misère à te tenir toi-même que tu peux juste te mettre les doigts dans les oreilles et te bercer un peu plus vite sur ta chaise. Éventuellement, ils se taisent et tu peux retourner à ta propre non-activité.

Mon souvenir est tellement flou, en fait. Sans doute parce que c’est un même jour qui se répète jour après jour. Tu te lèves pour le petit-déjeûner. Té obligée de te lever. T’as pas le goût de te lever. Tu te traînes les pieds jusqu’au chariot plein de cabarets, tu attends qu’on crie ton nom, tu prends ton plateau, l’amènes à une table, manges. Si tu es chanceux, kekun va te donner son café. Il y a quand même un petit frisson quant à savoir ce que ledit plateau contiendra. Ça te surprendra un peu d’ailleurs que ce suspense alimentaire t’habite l’esprit trois fois par jour. Au début, tu refuses de manger ou tu fais juste chipoter. On te force aussi à manger sous peine de punitions. Tu finis par manger. Après, tu t’habilles. Té obligée de t’habiller. Après, tu fais la file pour tes médicaments. Tu avales tes comprimés avec la satisfaction de savoir que bientôt, tu seras habitée par du mou. Et un peu de calme. Après, il y a des ateliers. Té obligée d’y participer. Ta face ne laisse aucun doute sur le fait que ça ne te tente pas. Tu feras même de l’attitude. À un moment donné, tu rencontres ton médecin. Il y a la collation, aussi, éventuellement. Après, c’est le diner qui se passera comme le p’tit-déjeûner. Après tu voudras faire une sieste, mais on aimera mieux que tu erres dans la salle commune. Pour socialiser. Ça ne fonctionnera pas super bien, la socialisation, pendant un moment. Tu te le feras dire. Tu feras des efforts. Tu trouveras un coin public, mais tranquille et tu y feras des casse-tête. Ça te prendra beaucoup plus de temps que ça ne le devrait et tu en retireras beaucoup trop de satisfaction. Pendant ton séjour, tu en auras fait trois de 1500 morceaux. Une autre collation, d’autres activités artisanales. Le souper, de la visite, tes médicaments, te coucher, enfin. Tout ça avec un manteau de plomb sur le dos.

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C’est entre la maternelle et l’armée. On t’occupe et on te dirige. On t’oblige. Ça te fait chier. Mais c’est de ça dont tu as besoin. Réapprendre à te gérer le quotidien dans ce qu’il a de plus petit. Parce que si tu t’écoutais, tu resterais en tas sul plancher. Tu vis dans la publicité. Tes appels, ce que tu manges, quand tu fais pepi, quand tu te laves. Toujours quelqu’un pour te voir, t’entendre. Même la nuit, on vient te mettre une flashlight dans face, deux-trois fois. Tu es surveillée, mais ça te sécurise, ce regard.
Des fois, tu as de la visite. Tu le sais qu’a le sait pourquoi tu es là. Tu n’as rien à dire, mais tu te forces pareil avec une force que tu n’as pas et ça paraît. Les mots te coulent dans gorge au lieu de sortir par ta bouche. Ça t’épuise. Mais ça te rappelle qu’il y a des gens qui semblent avoir une raison de t’aimer et de considérer que tu devrais être là. Ils ont de la peine, tu le sens, mais ça ne peut pas t’atteindre. Tu ne la comprends pas tant.

Tu mesures tes upgrades avec les éléments suivants :
Quand tu as, enfin, un couteau dans ton plateau-repas. Le droit d’aller prendre une marche non accompagnée ou d’aller t’acheter un café « buvable » à la cafétéria de l’hôpital. Le droit de sortir pour une soirée. Une journée. Un weekend. Sauf que ça, ça te fait peur. De sortir. Ça te devient confortable, quand même tout ça. Tu crains de ne plus avoir pour cadre que les murs de ton chevous sur lesquels tu peux juste te péter la tête. Tu te sens comme un hamster dans sa cage. Tu pourrais rester là, pour tout le temps, en fait, à te faire conduire. Tu ne sais plus trop comment on fait pour vivre dehors quand il faut prendre soin de soi tuseul, être responsable de son bonheur, son quotidien, sa grande esti de vie.

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Un jour aussi, tu ris. Tu fais le saut en ta’. Ça faisait des mois que ça ne t’était pas arrivé.

Et il y a ces fois où tu joues aux échecs avec une dame qui a de gros problèmes de mémoire à court terme. Tu gagnes tout le temps. Tu ne te sens même pas mal d’en éprouver une certaine joie. Ces autres où le dessert est du gâteau blanc avec une sauce au caramel. Ça, tu trouves ça bon. Un ami d’étage t’a donné le sien, un soir. Tu lui as souri. Il aimait ta face quand tu le mangeais, ce gâteau. Tu fermais les yeux pis toute.

Parfois, avec les copains avec qui tu as noué davantage, vous faites des jokes poches : « À go, on prend l’ascendeur, celui qui gagne est le dernier retrouvé. ». Vous visualisez la panique. Ça vous fait rire pendant un moment un peu trop long. Toujours ce fond de triste. Tu as beau parler à ton psychiatre, aux infirmières et aux autres intervenants, à tous les jours, tu fais juste ça parler, en fait, ça reste ben abstrait, la joie de vivre.

Puis, entre Noël et le jour de l’An, tu reviens chevous. Et il y a ce silence. Le quotidien se reprend comme s’il n’y avait pas eu de trou. Té un peu surprise parce que, t’sais, toi, tu ne sais pas trop comment tu es supposée la jouer la pièce de théâtre. Tu aurais besoin d’en parler. Tu comprends que c’est tabou. Ton cul reprend sa place dans le sofa mou de sa vie. Tu te dis que si tu avais eu une jambe cassée ou une crise d’appendicite, t’aurais peut-être eu une carte, une fête, keke chose. Pas là. Y’a juste le Fils qui ose nommer que cette absence, il l’a remarquée. Ça fait en sorte qu’un soir, pendant que tu le berces, tu lui promets que tu ne partiras plus. Tu lui dis ça en le regardant dans le fond des yeux. Il le sait pas, mais c’tait surtout une promesse que tu te faisais. Pendant un long moment, tu t’es tout de même senti en sursis, automate de toé, sourire figé pour ne pas inquiéter. Mimer le bonheur à défaut de le vivre, disait un de tes amis.

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Pis un moment donné, un genre de pas faux bonheur s’est installé. Parce que ben d’l’amour autour de toé, notamment.

Mais ça laisse des traces suffisamment importantes pour ne pas être capable d’en parler au « Je ». Ça ne t’appartient pas tant. Tu ne veux plus que ça t’appartienne. Tu veux juste une chose asteure qui se résume dans cette phrase de Bukowski que tu t’es faite tatouer sul flanc, question de ne pas l’oublier : « We are here to laugh at the odds and live our lives so well that Death will tremble to take us. »

Fa’que demain, ça se peut que tu te garroches une poignée de confettis.