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Pourquoi l’homme ordinaire se contente-t-il d’être niaiseux?

L’humour reflète notre société et ça vient aussi avec la responsabilité de ne pas se contenter de la blague facile.

Par
Stéphane Morneau
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L’été à Montréal se passe sous le signe de l’humour avec le Festival Juste pour rire et tout ce qui l’entoure comme le ZooFest, Just for Laughs et OFF JFL.

Je suis un grand consommateur d’humour au quotidien et je considère que le stand-up, dans sa forme la plus pure, est un reflet honnête et captivant de la société dans laquelle il est conçu.

Les humoristes d’ici reflètent, avec leurs humeurs, le quotidien des gens d’ici. Évidemment, les procédés humoristiques et l’écriture éloignent le tout de la réalité, mais le fond est une expression des préoccupations réelles des gens dans l’auditoire. Alors on parle de politique, d’amour, de sentiments et même de sujets plus lourds comme la dépression et le deuil, par exemple.

On va se le dire, c’est vraiment dépassé si ton humour repose sur «les gars font comme ça et les filles font comme ci».

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À ce sujet, les relations entre les hommes et les femmes sont un terreau fertile pour nos comiques ainsi que les différents commentateurs sur la place publique. Les relations, mais surtout, les comparaisons.

«Les gars c’est comme si, les filles c’est comme ça, c’tu juste moé où on n’est pas pareil?»

C’est vieux comme le monde. Et on va se le dire, c’est vraiment dépassé si ton humour repose sur «les gars font comme ça et les filles font comme ci».

Quand j’étais plus jeune, beaucoup d’humoristes faisaient leur pain et leur beurre avec des blagues à la prémisse «moi pis ma blonde» et, aujourd’hui, ils ne décrochent pas forcément. Ils s’accrochent à une formule qui a déjà été populaire au lieu d’évoluer vers autre chose.

Entendre ces blagues, ça me fait grincer des dents, et ça me fâche. Je me demande pourquoi ça ne grogne pas plus que ça autour de moi au lieu de ricaner ou de glousser.

«Les femmes sont folles» et «Les hommes pensent juste au cul».

Pourquoi est-ce que des humoristes, des chroniqueurs et des animateurs qui font l’apologie de l’homme niaiseux, victime de son sort et des humeurs de sa blonde, trouvent encore un public en 2017?

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Pire, pourquoi est-ce que ce public, composé d’hommes ordinaires et de leurs conjointes complices, se contente de cette image décalée du couple et des relations? Pourquoi est-ce que ce modèle d’homme simplet, niaiseux et innocent dans ses intentions est celui que l’on accepte comme si c’était la norme?

Je m’explique.

Récemment, j’ai vu passer sur Facebook la publication d’un humoriste qui, malheureusement, faisait un amalgame maladroit entre les tâches ménagères, la charge mentale et son incapacité à bien cerner ce qu’il fallait faire dans la maison quand les enfants dorment.

Les réactions étaient fascinantes.

D’un côté, des gens taguaient leurs amis, leur chum ou leur blonde avec un complice «regarde, c’est comme nous autres». De l’autre, des gens partageaient le tout pour dénoncer la maladresse de la blague.

Les hommes ne sont plus confinés à leur garage et les femmes ne résident plus dans la cuisine.

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Moi, ce qui est venu me chercher, c’est que c’est tellement banal, convenu, habituel et encré dans notre façon de faire de l’humour qu’on ne s’en formalise même plus.

«Les femmes sont folles» et «Les hommes pensent juste au cul».

Des punchlines que j’ai entendus durant toute mon adolescence et ma jeune vingtaine. Une porte ouverte pour les humoristes qui souhaitaient soutirer un sourire des hommes de la salle et une petite boutade des femmes. Un lieu commun, une triste banalisation de décennies d’oppressions et d’inégalités. Une façon dépassée de dresser le portrait d’un homme et d’une femme.

Aujourd’hui, on se bat fort pour la conscientisation, l’amélioration des relations et l’égalité de celles-ci. Quand on parlait d’une charge mentale, c’était une forte image pour que les hommes comprennent que tenir une maison, par exemple, n’est pas la responsabilité de la femme. Dans la même veine, les hommes ne sont plus confinés à leur garage et les femmes ne résident plus dans la cuisine.

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J’ose espérer que ces clichés soient décloisonnés pour de bon, mais semble-t-il que non. Pas une semaine ne passe sans qu’une joke de mononcle me rappelle que, quelque part, des gens trouvent encore ça drôle d’entendre un humoriste dire qu’il regarde un linge à vaisselle comme un outil de féminisation et qu’il se sent juste «mâle» quand il rote en se pognant la poche.

À ma question initiale, je me demandais pourquoi on se contentait de ça?

Ne pas se contenter de la blague facile.

On demande maintenant à ce que les gens élèvent leur discours quand ils parlent des femmes, des religions, de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre et de l’origine ethnique. C’est comme ça qu’on progresse tous ensemble vers une collectivité ouverte, compréhensive et à l’écoute.

Mais l’homme ordinaire, pourquoi il demeure avec le strict minimum de l’effort? Le père de famille qui fait sa journée à l’usine et qui rentre à la maison pour regarder le hockey le soir tranquille avec sa bière, il existe, et ce n’est pas un bête cliché limite débile pour autant. Il mérite ses nuances, une voix, des sentiments et des couleurs.

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Quand je disais que l’humour reflète notre société, ça vient aussi avec la responsabilité de ne pas se contenter de la blague facile, du «low hanging fruit» comme on dit en anglais. Je pense qu’on a fait un bon bonhomme de chemin pour arrêter de dire que les femmes sont folles et rien que bonne à faire la popote et le ménage. Ce n’est pas parfait, mais c’est mieux que c’était.

Vivre avec des nuances et, surtout, rire ensemble dans ces nuances sans abaisser personne.

Maintenant, on pourrait donner un petit coup de barre pour que l’homme ordinaire soit autre chose qu’un pénis ambulant avec sa Molson Ex et une allergie pour les tâches ménagères.

On est rendu là, je crois, vivre avec des nuances et, surtout, rire ensemble dans ces nuances sans abaisser personne.

Messemble que ce n’est pas si compliqué que ça.

Pour lire un autre texte de Stéphane Morneau: «Pour en finir avec les écornifleux».

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