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L’histoire incroyable derrière « Ma cabane à la maison »

Le projet fou de Stéphanie.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Les palettes de boîtes en carton et de contenants recyclables s’élèvent jusqu’au plafond dans la salle à manger du Chalet des Érables à Sainte-Anne-des-Plaines. À défaut d’accueillir les clients pour une deuxième année, l’endroit sert d’entrepôt et de centre d’approvisionnement pour les dizaines d’érablières qui participent à « Ma cabane à la maison », une initiative qui est littéralement en train de sauver l’industrie du sirop.

Comme les bonnes nouvelles se font rares, on est allé rencontrer Stéphanie Laurin, la jeune propriétaire de l’érablière, mais surtout la bougie d’allumage de cette opération de sauvetage d’envergure.

« Tu cherches un travail toi? », me demande d’abord une dame en veste à carreaux, pendant que j’attends Stéphanie près de la boutique où l’on vend des produits de l’érable aux clients qui se pointent en personne.

à l’heure où le milieu de la restauration fonctionne au neutre ou au super ralenti, le Chalet des Érables a besoin de bras.

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Une banderole « Nous embauchons » est d’ailleurs bien visible dehors, en bordure de la montée Gagnon. Il faut dire qu’à l’heure où le milieu de la restauration fonctionne au neutre ou au super ralenti, le Chalet des Érables a besoin de bras. Beaucoup de bras même, pour répondre à la demande folle en lien avec ce qui est peut-être le site de commande en ligne le plus populaire de l’heure.

Depuis son lancement le 22 février, la population peut se procurer des boîtes repas de cabane à sucre peu importe où elle habite, en allant les récupérer dans les succursales du supermarché Metro converties en points de chute. « 46 600 commandes ont jusqu’ici été passées et le site a reçu 1,2 million de visites en moins de deux semaines », calcule fièrement Stéphanie Laurin, qui court dans tous les sens depuis les balbutiements de cet ambitieux projet.

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Pour comprendre tout ce qu’elle a fait pour sauver l’industrie, il faut remonter à l’an dernier, quand la saison des sucres 2020 est tombée à l’eau (d’érable lol). « On venait d’investir d’importantes sommes d’argent en publicité pour le début de notre saison. Notre pub roulait encore à TVA quand on a appris que la saison était annulée », raconte Stéphanie, 36 ans, incarnant la quatrième génération de sa famille à la tête de l’érablière pouvant accueillir environ 1500 personnes durant le temps des sucres et près de 200 mariages en été.

«J’ai pris le téléphone et pour la toute première fois, j’ai appelé mes compétiteurs », souligne-t-elle. “Ça ne va pas bien, j’ai besoin d’aide”»

Mais plutôt que de se lancer dans les repas pour emporter à l’instar de plusieurs érablières à travers la province (qui n’ont pas fait d’argent ou à peine), Stéphanie s’était au départ plutôt lancée dans… la fabrication de masques. « J’ai acheté soixante machines à coudre et embauché tous les ados du coin qui n’avaient pas accès à la PCU. Mon père m’a appris à coudre et on a sorti des centaines de milliers de masques », raconte en riant Stéphanie, qui a vendu ses machines à coudre en juillet, lorsque les masques jetables ont pris le dessus.

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Stéphanie s’est alors retrouvée au milieu de l’été devant un mur et un avenir des plus incertain. « Je me sentais toute seule, dans la misère, alors j’ai pris le téléphone et pour la toute première fois, j’ai appelé mes compétiteurs », souligne-t-elle.

« Ça ne va pas bien, j’ai besoin d’aide », avoue-t-elle alors candidement à ses collègues qu’elle ne connaît pas, éparpillés aux quatre coins de la province.

Et c’est comme ça, sans même l’avoir prémédité, que Stéphanie s’est retrouvée presque instantanément à la tête de l’Association des salles de réception et érablières du Québec (ASEQC), un regroupement créé de toutes pièces pour représenter les 200 érablières de la province. « Avant on faisait partie des 7400 producteurs d’érable du Québec, mais là on a pu se regrouper pour faire quelque chose, sinon il n’y en aurait juste plus de cabanes à sucre », résume Stéphanie, qui a ensuite utilisé ce chapeau flambant neuf de présidente pour une première sortie médiatique à l’antenne de RDI en juillet dernier.

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Même si les gens avaient sans doute mieux à faire que d’entendre parler de tire sur la neige en plein milieu de l’été, l’entrevue a toutefois retenu l’attention de Sylvain Arsenault, le président de l’agence de communications Prospek. « J’étais presque en train de penser à fermer quand il a appelé la première fois. Ma première réaction a été de jeter son message à la poubelle en me disant: veux-tu rire de moi? », rigole Stéphanie, qui croyait alors que l’agence voulait lui proposer une campagne publicitaire à l’heure où tout son monde s’écroulait.

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Heureusement, Sylvain Arsenault a insisté, pour finalement s’entretenir de vive voix avec Stéphanie au bout de trois appels. « Il ne voulait pas me vendre de pubs, mais plutôt investir gratuitement 400 heures pour sauver les cabanes. Je me disais qu’il devait y avoir une arnaque », se remémore en souriant Stéphanie.

«Des gens […] ont dû vendre leur maison et dormir dans la salle à manger de leur érablière pour survivre.»

Non seulement il n’y avait pas d’arnaque, mais les choses se sont mises à débouler rapidement à partir de là. Et pour le mieux. Sylvain Arsenault avait en tête un concept de boîtes repas en ligne et un bon contact chez Metro. « Je me suis donc retrouvée en meeting avec le président de Metro, moi la petite fille de cabane à sucre. J’ai raconté l’enfer vécu par plusieurs collègues, dont des gens qui ont dû vendre leur maison et dormir dans la salle à manger de leur érablière pour survivre. Après quinze minutes, le boss de Metro m’a coupé, ému en me disant: qu’est-ce qu’on peut faire pour aider

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Avec la chaîne de supermarchés en renfort, le rêve allait devenir réalité. « Ils (Metro) nous ont fait de la pub gratuite en plus d’accepter (gratuitement aussi) de servir de point de chute pour aller récupérer les boîtes en magasin. Je ne me vois pas aller faire mon épicerie ailleurs, mettons… », souligne Stéphanie en éclatant de rire.

Pour la deuxième fois, Stéphanie a pris le téléphone pour rappeler ses 200 collègues pour leur faire part de la nouvelle, accueillie comme une bouffée d’air frais. « 75 cabanes ont dit oui tout de suite et m’ont donné les clés de leur business. Ça m’a beaucoup émue. Aujourd’hui je peux sans doute aller manger gratis dans pas mal toutes les cabanes du Québec », badine-t-elle.

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Une bonne moyenne étant donné que sur les 200 cabanes à sucre, une quarantaine auraient fermé temporairement et autant auraient mis la clé dans la porte, selon Stéphanie. « Certaines m’ont aussi reviré de bord au début en me disant: ça ne marchera jamais ton affaire. D’autres m’ont ensuite rappelé en s’excusant et en disant vouloir finalement embarquer. Je ne suis pas rancunière, je veux juste sauver les cabanes! », assure Stéphanie.

Outre l’apport de Metro et de Prospek, l’initiative « Ma cabane à la maison » a aussi bénéficié d’un coup de pouce du gouvernement pour financer l’hébergement du site web et l’achat de deux millions de contenants en plus de 200 000 boîtes en carton pour stocker la bouffe. « C’est un partenariat avec un fabricant d’emballage alimentaire local en plus (Groupe Lacroix), qui a aussi offert un kit de départ gratuit aux érablières », note Stéphanie.

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Cette maman de trois enfants estime que les gens qui vont à la cabane à sucre chaque année pour vivre une expérience vont s’y retrouver avec les boîtes repas, en plus de sauver une industrie d’une mort certaine. « Les petites cabanes vont vendre plus de repas que dans une saison régulière. Mais dans les grosses comme ici, où on servait jusqu’à 8000 repas par jour, ça va nous permettre de maintenir la tête hors de l’eau. Pourvu que ça continue », souhaite Stéphanie, qui ne cache pas avoir eu peur que l’entreprise familiale s’effondre sous sa gouverne. « J’ai 42 cousins et cousines qui voulaient la reprendre, alors j’avais de la pression. Je ne voulais pas que mon grand-père se retourne dans sa tombe », rigole-t-elle, au sujet de son établissement qui a ouvert ses portes en 1948, avec une cinquantaine de places.

«J’en ai des frissons!»

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Dehors le soleil est radieux. Les employés grouillent de partout et accueillent les gens des cabanes à sucre de partout en province, venus faire le plein d’emballages. « Ça a commencé comme une bombe, je pense que ça va être une bonne saison! », s’exclame Josée Daigle, la propriétaire de l’érablière Au rythme du temps de Saint-Lin, pendant qu’un employé à bord d’un chariot élévateur transporte 2000 boîtes jusqu’à son véhicule. Josée et son mari possèdent leur cabane familiale depuis quinze ans et ont un peu hésité avant d’embarquer dans le projet de fou de Stéphanie. « Quand j’y ai dit que j’embarquais, j’y ai vraiment cru par contre. C’est une immense fierté d’être associée à ça, j’en ai des frissons. On n’aurait pas passé une autre saison comme la dernière! », admet-elle.

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Un peu plus loin, le propriétaire du Chalet du ruisseau Sylvain Lahaie ne tarit pas d’éloges non plus envers Stéphanie et le concept « Ma cabane à la maison ». « C’est extraordinaire! Je suis plus qu’agréablement surpris, on vient d’enlever notre respirateur artificiel », illustre cet optimiste de nature, à la tête d’une érablière de 500 places située à Saint-Benoît. « L’an dernier, on a fait un peu de take out mais on a été pris au dépourvu. Là on fait plus que nos frais avec la cabane (à la maison) et notre service de traiteur dans les écoles », se réjouit Sylvain, qui a toutefois dû reporter à ce jour 98% de ses mariages en 2022. Si vous faites partie des 2% qui prévoient encore se marier cet été, faites-moi signe svp.

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Pour le reste, tout est en place pour vous SUCRER LE BEC cette année (je déteste cette expression) ou vous procurer une nouvelle version du t-shirt à la mode de Louise Latraverse « Oreille de Crisse ».

Excusez-là, il fait beau dehors.