Logo

L’héritage culturel de Gino Chouinard

Dès lundi, le Québec sera en deuil (symbolique) de l’homme qui incarne le réveil en douceur depuis 17 ans.

Par
Benoît Lelièvre
Publicité

Le monde a changé en titi depuis 2007, mais la formule de Salut Bonjour est à peu de choses près restée la même. Quand Gino Chouinard a pris les commandes de l’émission, c’était encore cool d’ajouter son kick du secondaire dans ses amis Facebook (allô, Nadia!), Instagram et TikTok n’existaient pas et Barack Obama et Donald Trump n’avaient pas encore été présidents des États-Unis. On était à des années du mouvement #metoo, Alexei Kovalev faisait la pluie et le beau temps au centre Bell et Arcadio brisait des cœurs à Loft Story.

Quelques années auparavant, à l’époque où Gino Chouinard animait Les indices pensables à TQS, mon père aimait inexplicablement me répéter : « Tu lui ressembles, je trouve. J’te verrais animer des émissions de télé comme lui. » On se ressemblait autant qu’Arnold Schwarzenegger et Danny DeVito dans Jumeaux. Du moins, à mes yeux d’ado fru.

Ça m’a pris plusieurs années avant de comprendre d’où lui venait cette remarque. Une grosse décennie où Gino a pris la barre d’une émission d’information phare qui lui permettrait de devenir une des personnalités médiatiques les plus appréciées du public québécois. Gagnant du meilleur animateur d’émission de services au gala Artis pas moins de quatorze fois grâce à son travail sur Salut Bonjour, Gino Chouinard est devenu une figure mythique du Québec moderne.

Publicité

Mon père ne trouvait pas vraiment que je lui ressemblais. Il voulait que je lui ressemble. Parce que Gino Chouinard symbolise un paquet de valeurs rassembleuses auxquelles on croit tous. Le départ de Gino Chouinard à l’animation de Salut Bonjour n’est pas qu’un simple changement de garde, c’est la fin d’une époque pour le Québec. Attendez un peu avant de crier à l’hyperbole, c’est un sujet auquel je réfléchis beaucoup trop depuis plusieurs années. Vous allez voir. Mais avant de commencer (obligé!) :

L’alchimie bienveillante de Salut Bonjour

Pour comprendre l’importance culturelle de Gino Chouinard, il faut avant tout comprendre celle de Salut Bonjour. En ondes depuis 1988, l’émission matinale est devenue partie intégrante de la vie des Québécois avec l’arrivée du légendaire Guy Mongrain à l’animation en 1991. C’était un peu l’archétype à partir duquel Gino Chouinard s’est créé : une présence paisible, humble et ensoleillée qui irradiait le calme et la douceur à travers l’écran. C’était le Maurice Richard de son Guy Lafleur. Le Yvon Deschamps de son Louis-José Houde.

Publicité

Tous les Québécois qui regardent l’émission le comprennent intuitivement : Salut Bonjour, c’est une présence bienveillante dans la maison. Une sorte de cousin en visite poli et obscènement bien informé à propos de tout ce qui se passe dans la province et qui vous fait la conversation pendant que vous sirotez tranquillement votre café. Salut Bonjour fait partie de notre quotidien sans vraiment faire partie de la famille. Elle donne sans rien demander en retour. Ça fait partie de son charme.

Ce rapport serein et consensuel, Gino Chouinard l’incarne à merveille. C’est le gars qui a gagné au jeu de la célébrité, jeu plus compliqué qu’on pourrait le croire. Parce qu’au Québec, on aime les gens charismatiques et transcendants, mais on aime encore plus les gens humbles. Cette définition peut paraître contre-intuitive à première vue parce que les gens plus grands que nature sont par définition exubérants et prompts aux excentricités, mais Gino est l’exception à la règle.

Par son accueil et sa capacité à mettre les autres en confiance et surtout par son omniprésence quotidienne, il s’est mérité le titre de « bon jack en chef du Québec ».

Publicité

Parce qu’on l’a vu laisser ses collaborateurs et ses invités briller, chaque matin, au fil des années. Impossible de penser « peut-être qu’il est un trou du cul dans la vraie vie » parce qu’il était dans notre salon à nous donner les nouvelles chaque jour de la semaine pendant 17 ans. On a tous l’impression d’avoir été témoins de son succès et, par conséquent, on a tous l’impression d’y avoir un peu contribué.

« Gino sait comment mettre les autres en valeur. C’est son grand talent. C’est un don. C’est ce qui a fait la différence », disait France Lauzière, vice-présidente des programmes à TVA de 2006 à 2013 lors d’une entrevue à La Presse.

C’est pour ça que Gino Chouinard symbolise plus que lui-même. C’est le triomphe du bon gars qui s’incarne à la télé. Celui qui reflète nos valeurs et qui pourrait se pointer au party de votre oncle caquiste Ghislain et à celui de votre petite cousine uqamienne en grève et se faire offrir une bière avec le même enthousiasme. Cette chaleur, cette humilité et cette capacité quasi surnaturelle à faire se sentir bien les gens autour de lui font de Gino Chouinard un archétype de ce qu’on veut représenter comme société.

Publicité

La persistance comme point d’ancrage

Un autre aspect important de l’héritage culturel de Gino Chouinard un peu plus abstrait à aborder est le point d’ancrage qu’il a incarné dans nos salons à travers plusieurs époques. La planète pouvait tourner de travers, mais ça n’a jamais empêché Gino de vous réveiller avec un sourire contagieux pendant plus de 3800 matins.

La présence de Gino Chouinard sur le plateau de Salut Bonjour était une pause quotidienne de cette accélération de la culture et de cette tempête de changements sociaux effrénée qui secouent les mentalité. Pas que ces changements ne soient pas nécessaires, hein? Mais parfois, c’est réconfortant, de s’accrocher à des choses qui ne changent pas pendant les périodes de tourmente culturelles ou mondiales. Avoir un point d’ancrage comme Salut Bonjour chaque matin, c’est d’admettre implicitement que malgré le monde qui se métamorphose à vitesse grand V, les choses qui n’ont pas besoin de changer ne changent pas. Il y a des choses qui méritent de traverser le temps, le progrès et l’oubli et le monde de bonne humeur qui vous donne les nouvelles, ça ne se démode pas.

Le départ de Gino, c’est faire le deuil de ce point d’ancrage.

Publicité

Tous mes respects à Ève-Marie Lortie qui fera sans doute un super boulot, mais sa nomination même est un changement à la formule et il n’en tiendra qu’à elle de nous aider à tourner la page pour entrer dans cette nouvelle ère de Salut Bonjour. Une ère sans Gino.

Malgré sa persistance Johnny Carson-esque, c’est difficile de penser que Gino tire sa révérence trop tôt. Après tout, Salut Bonjour aura marqué un point tournant de sa longue et prolifique carrière, sans toutefois en être l’entièreté. Il ne retrouvera peut-être jamais le même amour inconditionnel du public dans un autre projet, mais il va s’en remettre. Icône consacrée du star système québécois et copropriétaire de huit franchises de Chocolats Favoris, il va continuer à nous rendre fiers d’une façon ou d’une autre.

Publicité

Merci pour tout, Gino. Tu seras toujours l’incarnation du réveil en douceur pour ma génération! Je ne te ressemblerai probablement jamais et je ne crois pas que personne n’atteindra un jour ton niveau de bienveillance et d’ouverture transcendante, au grand dam de mon paternel.

🎵 PA PA LA PA PA PA PA PA PA PAAAAAA 🎶