Logo

L’héritage compliqué du Doc Mailloux

Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, tout le monde se souviendra de lui.

Par
Benoît Lelièvre
Publicité

Le célèbre psychiatre et animateur de radio Pierre Mailloux s’est éteint à l’âge de 74 ans. Il n’était pas jeune, mais pas nécessairement vieux non plus.

J’ai écouté religieusement Un psy à l’écoute avec Doc Mailloux à CKAC pendant plusieurs années. Pas nécessairement parce que j’étais vendu à ses idées, mais plutôt parce que je ressentais un certain réconfort à écouter un professionnel de la santé brasser la cage d’âmes perdues en quête de conseils. C’était peut-être pas ce dont ils ou elles avaient besoin, mais ces personnes appelaient à une ligne ouverte radiophonique. Elles n’étaient pas dans le bureau d’un psychiatre, même si la personne au bout du fil en avait le titre.

On traverse tous cette période dans nos vies (du moins, j’ose le croire) où on croit que la réponse à tous les problèmes de la Terre, c’est de se faire parler dans le casque par une personne qui se veut derechef bienveillante.

Publicité

Le franc-parler de Pierre Mailloux en a fait une célébrité à une époque et un paria à une autre. Maintenant qu’il n’est plus parmi nous, comment doit-on se souvenir de ce personnage à jamais rattaché au folklore du Québec contemporain?

Développement personnel et légitimité clinique

Un des grands axes de controverse à propos du Doc Mailloux, c’est sa légitimité en tant qu’expert en santé mentale. Tout le monde considérait la question avec beaucoup trop de sérieux : le bon docteur, comme ses critiques. La réponse était pourtant simple : il n’était pas un expert en santé mentale. Du moins, il ne l’était plus.

Du moment où il s’est installé derrière un micro pour faire des consultations dans un contexte de divertissement, il a laissé tomber ses responsabilités et ses privilèges professionnels.

Ça semble évident a posteriori, mais Doc Mailloux s’est battu avec le Collège des médecins à ce sujet jusqu’à la fin de sa vie. Ce dernier avait l’impression que l’organisme de réglementation de sa profession cherchait à s’attaquer à sa crédibilité par simple jalousie, parce qu’il était devenu un important visage de sa profession. La vérité, c’est qu’il n’avait plus besoin de ce titre.

Il aurait pu se présenter fièrement comme psychiatre défroqué pour le restant de sa vie, sa réputation était déjà faite dans la culture populaire.

Publicité

Ses propos racistes complètement déplacés et basés sur de la « science » approximative et désuète sur les Noirs sur le plateau de Tout le monde en parle en 2005 ont enflammé le Québec et lui ont valu une radiation par le Collège. Beaucoup (beaucoup!) de monde ont condamné (avec raison) ses déclarations et il s’est fait mal à lui-même à force de s’entêter à essayer d’avoir raison à ce sujet. Il n’est cependant pas le premier ni le dernier homme à avoir péché par orgueil. Il aura aussi été puni de manière appropriée par son ordre professionnel à ce sujet.

Mais regardons la réalité en face. De nos jours, l’industrie du développement personnel s’est défaite depuis longtemps du fantasme de légitimité clinique. Aujourd’hui, plein de gens qui disent n’importe quoi dans l’espace public pour vous promettre que vous irez mieux. Les librairies vendent même des ouvrages de développement personnel écrits par des humoristes (et vendeurs de meubles à leurs heures).

Publicité

La controverse autour de la légitimité du Doc Mailloux avait de moins en moins lieu d’être au fil des années, mais le docteur et ses détracteurs s’y sont accrochés si fermement qu’il s’est empêché lui-même de se réinventer. Ce décès précipité, c’est une occasion manquée pour une évolution du discours public sur la santé mentale. Il aurait pu être un meilleur allié qu’il ne l’a été, mais il en aura été un allié, quand même.

La démocratisation de la détresse ordinaire

Si on remonte quelques années avant les événements ayant mené à la radiation de Pierre Mailloux, on peut aujourd’hui recontextualiser son émission de radio pour ce qu’elle était.

Le grand héritage du docteur n’est pas nécessairement dans la prodigation de conseils aussi vétustes que colorés (et souvent alarmants), mais elle aura plutôt été d’avoir donné une voix à des personnes qui souffraient d’une façon dont on n’avait jamais entendu parler, auparavant. Plusieurs d’entre nous la ressentaient, cette souffrance, mais d’entendre quelqu’un l’articuler à la radio, c’était à la fois grotesque, difficile, confrontant et réconfortant. Ça fait du bien, entendre quelqu’un mettre des mots sur des sentiments avec lesquels on lutte intérieurement.

Publicité

Et ce, que ce soit avec les mots d’un gourou du développement personnel, ou ceux de Ti-Joe Labine, qui appelle, à moitié saoul de son 2 et demi à Montréal-Nord, en début d’après-midi.

Exposer le Québec à cette souffrance-là, la normaliser et nourrir le discours public autour d’elle, c’est ça, le vrai héritage du Docteur Pierre Mailloux.

Une bonne partie de ses jugements et ses commentaires lancés à la volée en ondes sont tombés dans l’oubli (sauf pour ceux qui vivent encore dans la mémoire éternelle des Internets), mais les gens qui souffrent, même s’ils n’ont pas subi de trauma évident et facile à comprendre par n’importe qui, on s’en souvient encore.

Publicité

Être confronté à la souffrance ordinaire, ça nous a confrontés à la nôtre. Ça nous a validés. Parce que si la voix du Doc Mailloux a perdu en portée et en importance au fil des années, ces personnes, elles, ont continué d’exister.

Et elles ont continué de parler. Et certaines d’entre elles ont même fini par aller chercher de l’aide. De la vraie aide.

On a reproché plein d’affaires au Doc Mailloux au cours de sa vie (et c’était souvent justifié), mais on ne pourra jamais lui reprocher d’avoir donné une voix à la détresse ordinaire.