Logo

L’héritage compliqué de Hulk Hogan

Mourir en babyface ou vivre assez longtemps pour devenir le heel.

Par
Pier-Luc Ouellet
Publicité

Le 6 janvier dernier, Raw, l’émission phare de la WWE, présentait son tout premier épisode diffusé en direct sur Netflix. L’acquisition de l’émission diffusée tous les lundis depuis 1993 (à l’exception de quelques pauses en raison de compétitions canines) par le géant du streaming représentait une toute nouvelle ère pour la multinationale de la lutte.

Afin de célébrer cet événement marquant, la WWE a décidé d’inviter l’iconique Hulk Hogan, la légende des années 80 et 90 à qui l’entreprise doit une bonne partie de son succès.

Mais ce n’est pas avec révérence que Hulk Hogan a été accueilli par les fans de Los Angeles, mais par une chorale de huées soutenue et violente. Celui qui est sans doute le lutteur le plus populaire de tous les temps a tenté de cacher son embarras pendant quelques très longues minutes, tandis que les fans continuaient de l’invectiver sans relâche.

Ce fut la toute dernière apparition de Hulk Hogan à la lutte.

Une star unique

Hulk Hogan, né Terry Bollea, est sans contredit la plus grande légende de l’histoire de la lutte. Quand j’ai commencé à suivre la lutte de façon maniaque, dans les années 2000, les belles années de Hogan étaient déjà derrière lui et le style de lutte qu’il affectionnait avait été remplacé par un style plus rapide et spectaculaire. Je n’ai jamais été un grand fan de celui qui a généré la Hulkamania.

Ceci étant dit, même si je n’ai pas grandi avec Hogan, il m’est impossible de nier qu’il est la plus grande légende de tous les temps.

Publicité

Sa montée a coïncidé avec un moment charnière dans l’histoire de la lutte. Depuis des décennies, la lutte américaine fonctionnait par territoires. Chaque région, qu’il s’agisse de la Floride, du Texas, du Midwest ou de Montréal, avait sa propre fédération régionale, avec ses stars locales.

Mais l’arrivée de la télé câblée est venue bouleverser cet équilibre. Soudainement, des émissions pouvaient être diffusées d’un bout à l’autre des États-Unis, amenant la possibilité de créer des stars nationales, voire internationales. C’est Vince McMahon Jr. et sa WWF (devenue WWE) qui a saisi l’opportunité en premier, rachetant les stars de tous les territoires pour créer une promotion d’envergure nationale et mondiale qui allait mener à la perte du système d’antan.

Parmi ces stars se trouvait Hulk Hogan, à l’époque une star de la AWA au Minnesota, sur laquelle le jeune McMahon misait pour être la tête d’affiche de cette initiative.

Le succès a dépassé les attentes des deux parties. Hogan est devenu une icône emblématique des années 80, au même titre que G.I. Joe ou Michael Jackson.

Publicité

Véritable superhéros vivant, il défendait auprès de ses jeunes fans en délire les valeurs américaines, la foi chrétienne et les vitamines.

La relation entre Hulk Hogan et la WWF/E, à cette époque, est symbiotique. L’un n’existe pas sans l’autre. Il est en quelque sorte à la WWE ce que Mario est à Nintendo ou Superman à DC.

C’est pourquoi il n’y aura jamais une autre star comme Hogan. Il a créé, avec Vince McMahon (un autre personnage à l’héritage brouillé), la lutte telle qu’on la connaît aujourd’hui.

Un attrait qui a perduré

Mais Hulk Hogan n’est pas qu’une relique des années 80. Dans les années 90, Hogan passe à la compétition, la WCW de Ted Turner. La lutte est en perte de vitesse de façon générale, faisant craindre à l’industrie qu’il ne s’agissait que d’une mode passagère, comme les pogs et les salons de quilles.

Puis, Hogan révolutionne la lutte une deuxième fois. Le 7 juillet 1996, il retourne sa veste et rejoint les méchants, s’attaquant à son meilleur ennemi, « Macho Man » Randy Savage.

L’Amérique est sous le choc. Hogan, le héros de toujours, celui qui défendait les valeurs américaines et qui nous encourageait à faire notre prière, est un méchant.

Publicité

Mais les jeunes de la génération X en redemandent. Le chauvinisme américain des années 80 a laissé sa place à la désaffection généralisée des années 90, et Hogan évolue avec le temps, devenant un méchant que les fans adorent détester.

Il devient alors le leader de la NWO, une nouvelle faction qui devient ridiculement populaire. Les t-shirts se vendent par million, la WCW dépasse les cotes d’écoute de la WWF/E pendant plus d’un an, obligeant la WWF/E à se dépasser pour survivre, et la période de la fin des années 90 mène à un boom inégalé dans l’histoire de la lutte.

Pourquoi, alors, la haine des fans envers Hogan?

Hogan et les fake news

Hulk Hogan s’est impliqué dans la campagne de Trump en 2024, allant même jusqu’à déchirer son chandail sur scène pendant la convention républicaine.

Ceux qui suivaient les péripéties de Terry Bollea depuis longtemps n’ont pas été surpris par l’affection entre Trump et Hogan. Les deux, en plus de posséder une chevelure plutôt… unique, possédaient également le même lien ténu avec la réalité.

Depuis longtemps, Hogan était connu comme un fieffé menteur.

Publicité

Il a notamment déclaré avoir donné son premier match à Brock Lesnar à son retour à la WWE en 2012 (ils n’ont lutté qu’une seule fois, en 2002), que Mike Tyson avait peur de l’affronter dans un match de boxe, qu’Elvis était un de ses grands fans (il est mort deux ans avant que Hogan ne commence la lutte) et avoir lutté 400 jours en une seule année (euh, une année ne contient que 365 jours).

Hogan a même déclaré avoir été approché par Metallica ET les Rolling Stones pour rejoindre leurs groupes.

Oui, Hogan savait jouer de la basse. Mais Lars Ulrich a dû demander à Howard Stern qui était Hulk Hogan quand ce dernier lui a demandé de valider la déclaration du lutteur.

Hogan s’est donc créé une réputation de bonimenteur qui s’est mise à sérieusement agacer les fans, surtout que Hogan n’hésitait pas à attaquer d’autres lutteurs dans ses déclarations farfelues.

Publicité

Hulk avait d’ailleurs bien mauvaise réputation auprès de beaucoup de ses collègues. Il était connu comme un politicien, de la pire des façons. Hogan tenait à sa place au sommet de la carte, et s’il devait nuire à d’autres stars montantes, qu’il en soit ainsi.

Il s’est aussi fait beaucoup d’ennemis quand il a saboté une tentative de syndicalisation parmi les lutteurs. En 1986, le lutteur Jesse Ventura a tenté de créer un syndicat pour les lutteurs, notoirement maltraités malgré leur statut de stars (leur hébergement et leurs déplacements sont à leurs frais, tout comme leur assurance santé). Hogan s’est empressé d’aller dévoiler toute l’affaire au patron, Vince McMahon. En retour, le patron a bien averti tout le monde que quiconque irait à la rencontre d’information serait immédiatement renvoyé.

Il n’y a plus jamais eu de discussion autour de la syndicalisation.

Hogan, le raciste?

La réputation de Hulk Hogan était donc déjà écorchée, mais pas assez pour l’empêcher de recevoir des ovations à chacune de ses apparitions.

Publicité

Mais en 2012, Hogan a été pris dans le pire scandale de sa vie, celui qui allait marquer le reste de ses jours. En 2006, Hogan, alors en procédure de divorce, a eu une relation sexuelle avec la femme de son ami, l’animateur de radio Bubba the Love Sponge.

Ce dernier avait donné sa bénédiction à Hogan, mais il ne lui avait pas dévoilé l’essentiel; il avait installé des caméras cachées dans sa chambre à coucher, et il filmait les relations sexuelles.

En 2012, le site Gawker a mis la main sur une copie du euh… court métrage, et en a publié un extrait sur son site.

De façon étonnante, le plus choquant passage du vidéo n’était pas la relation sexuelle en elle-même, mais plutôt l’après. Sur l’oreiller, Bollea se lançait dans une longue tirade raciste. Il utilisait plusieurs fois le mot en « N », s’avouait raciste et signifiait son mécontentement quant à la relation que sa fille Brooke entretenait avec un homme noir.

Publicité

Ce racisme décomplexé a eu l’effet d’une bombe. La WWE a invité par la suite le lutteur déchu à venir s’adresser aux lutteurs actuels, dont plusieurs lutteurs noirs qui peinaient toujours à faire leur place au sein de l’entreprise au milieu des années 2010 (le premier champion noir de la WWE, Kofi Kingston, a été couronné en 2019).

Hogan, contre toute attente, ne s’est pas montré repentant, mais a plutôt invité ses collègues à être prudents dans leurs paroles parce que maintenant, ils seraient toujours filmés.

Ce manque de remords a été le dernier clou dans le cercueil de la réputation de Hogan pour plusieurs.

La lutte dans son incarnation la plus pure

Hulk Hogan est synonyme de lutte professionnelle, pour le meilleur et pour le pire. Comme la lutte, Hogan était plus grand que nature, spectaculaire et parfois un peu grossier. Il a su capter l’imagination de plusieurs générations et assurer sa place dans le panthéon de son sport.

Publicité

Mais il a aussi brouillé la ligne entre la réalité et la fiction. Au fil des années, il semble qu’il n’y avait plus de distinction entre Terry Bollea et Hulk Hogan. Il s’imaginait invincible, parce que son personnage l’était.

C’est ce qui rend le pardon plus difficile pour les fans. Comment séparer l’oeuvre de l’artiste, quand les deux sont devenus synonymes?

Il nous faudra apprécier la contribution du Hulkster, tout en acceptant que tout comme son sport, il a une histoire sombre et controversée.

Commentaires
Aucun commentaire pour le moment.
Soyez le premier à commenter!
À consulter aussi