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L’extraordinaire tradition hantée des Sauvé

Pour les Sauvé, l'Halloween, c'est une affaire de famille.

Par
Jean Bourbeau
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Rue de la Nébuleuse, Gatineau. Quartier paisible bordé de maisons soignées et droites, pelouses coupées et bel asphalte. Un secteur résidentiel comme chaque ville est fière d’avoir. Et puis, curieusement, petite commotion à l’adresse 998. Les voitures s’immobilisent, marcheurs et cyclistes sortent leur cellulaire, tous unis par des regards stupéfaits.

Devant nous, la demeure en brique n’est que silhouette secondaire, éclipsée par un gigantesque galion pirate, ses drapeaux noirs flottant au gré du vent d’automne. L’aspect monumental captive les spectateurs conquis, moi y compris.

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Les propriétaires de cette maison hantée citoyenne, Suzie et Gilles Sauvé, ne font jamais les choses à moitié, c’est le moins qu’on puisse dire. Depuis maintenant sept ans, l’Halloween du 998 s’est transformée en une vaste campagne d’aménagement et d’émerveillement.

Au moment de l’entrevue, un imprévu les empêchant d’être présents, c’est leur fille Kamille et Manon, la sœur de Gilles et collègue de chantier, qui prennent le relais. Une affaire de famille.

« L’année dernière, on a frappé 8 000 visiteurs en seulement trois jours », partage Manon, à l’enthousiasme débordant sans une once de prétention.

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Si l’on cherche à identifier la genèse de ce projet un peu fou, celle-ci remonte au moment où les enfants de la famille Sauvé ont grandi au point de ne plus nécessiter d’accompagnement pour la cueillette des bonbons. Les parents endeuillés par la fin de ce rituel ont alors décidé que la célébration ne devait pas se terminer pour autant, marquant ainsi le début d’une nouvelle tradition qui est vite devenue un incontournable dans la région.

« Avant, on faisait toutes les ventes de garage et quand il nous manquait des items plus spécifiques, on les demandait en ligne et on les retrouvait sur notre balcon, le lendemain matin. Les gens nous arrêtent encore pour nous demander ce qu’on a besoin! La communauté est vraiment engagée et veut participer à la réussite du projet », nous informe Manon.

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Cette année, le clan Sauvé a commencé son magasinage en janvier. « On est allés avec un U-Haul jusqu’en Pennsylvanie pour dénicher nos décorations », ajoute Kamille.

La première fin de semaine de septembre, lorsque Suzie donne enfin le feu vert pour couper les plantes de son jardin, c’est le point de départ des constructions. « On a dû demander à Suzie de s’occuper de parler aux passants, sinon les constructions n’avançaient pas assez rapidement », poursuit la co-architecte du voilier. Frère et sœur aux marteaux, tandis que Suzie se charge des communications.

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Le Nébuleux, du haut de ses 20 pieds, est la pièce maîtresse de cette édition corsaire. Et quel édifice! Au-delà de sa taille, il propose une série d’éléments impressionnants, notamment des jeux de cordages, des canons, la barre, l’ancre, le tonneau de guet, et même une allusion au supplice de la planche.

Mais derrière le bateau, on retrouve un circuit hanté intérieur composé de quatre pièces qui m’ont fait sacrer d’envoûtement. Des cascades, des jeux de lumière changeant sur des flibustiers aux coudes légers. Captain Morgan et cache-œil compris. Rien de quétaine ici, tout est élaboré avec un souci du détail manifeste. Nous avons même surpris un raton laveur, les deux mains dans le buffet de courges.

« On change de thème à chaque automne. Il y a eu le Far West, les clowns, les squelettes. L’édition Covid s’était étendue sur plusieurs terrains voisins », nous explique Kamille.

Son père, Gilles, est entrepreneur en construction, ce qui s’avère utile et répond à bien des questions. Pendant la saison morte, tout est stocké dans sa shop et la rumeur raconte qu’un étage entier déborde de décorations.

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Les ambitions du 998 sont financés par une quinzaine de commanditaires du coin qui rivalisent en générosité. En plus de la visite de la maison hantée, il est prévu que chaque visiteur costumé recevra des friandises dont une grosse barre de chocolat. Pas une mini, une vraie. Au nombre d’Halloweens qui viennent y ouvrir leurs sacs, c’est beaucoup de Kit Kats.

Et la Ville, dans tout cela? Les yeux roulent. La structure est considérée comme une construction temporaire et sera démontée après le 1er novembre. Ce n’est pas un problème. S’il est fort possible que la police bloque la rue, le soir du 31 octobre, beaucoup de discussions ont eu lieu, mais impossible de savoir ce qu’il en sera, les 28 et 29. Une joyeuse émeute semble imminente. Si la réaction des forces de l’ordre ne semble pas synonyme de complicité, les pompiers, quant à eux, sont fascinés par l’imposant deux-mâts.

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L’entrée pour cette initiative, à la fois irrésistible et démesurée, est libre, mais une contribution volontaire est la bienvenue. Tous les fonds collectés seront destinés au Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario (CHEO). Au cours des trois dernières années, c’est près de 10 000 dollars que la famille a amassés.

Le voisinage, quant à lui, se réjouit de vivre cette expérience et adapte ses décorations en fonction du thème annuel du 998. « Ils sont de l’or en barre », se réjouit Manon en saluant le petit Olivier, qui habite en biais et dont le père a construit un quai et un bar à rhum sur son terrain.

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Nouveauté cette année, une pièce de théâtre sera présentée sur le pont, les trois soirs. Jouée par qui, demandais-je bêtement ? Par la famille, évidemment!

Lorsque je demande à Manon et sa nièce quels sentiments les habitent lors des célébrations, fruits de leurs efforts, elles sont sans équivoque : « C’est merveilleux de voir les yeux des enfants. Même si les adultes sont les bienvenus à grande pelletée, Dieu sait que l’an passé, on en a eu de toutes les âges, mais le plus grand plaisir, c’est voir l’expression des enfants : ça hurle, ça crie, ça rit. C’est vraiment pour ça qu’on fait tout ça. »

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Et pour l’année prochaine? « On sait déjà ce qu’on fera, ça va être encore plus fou, mais on garde ça secret », révèle Kamille à demi-mot.

Au moment de les quitter, qui se joint aux curieux massés devant le galion? Les pompiers, encore une fois tout sourire.

Si la famille Sauvé prend en charge la magie de l’Halloween dans leur quartier, ce qu’ils accomplissent est véritablement digne d’éloges, car les enfants qui auront le courage de s’y aventurer recevront plus que des friandises, mais des souvenirs qui résisteront à l’épreuve du temps.

Et c’est bien ça le plus précieux.

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Notez que les portes de la maison hantée seront ouvertes les 28, 29 et 31 octobre, de 17 h à 21 h.