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Lewis Mallard, le nouveau canard de Montréal

Entre performance et hallucination bien réelle.

Par
Jean Bourbeau
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« Au début, j’étais vulnérable, rempli d’adrénaline. Mais je me disais : “Si mon échec est spectaculaire, au moins il sera spectaculaire!” », confie l’artiste en prenant une gorgée de café sur l’avenue du Parc.

Peut-être l’avez-vous déjà aperçu dans les rues de Montréal. Pour ma part, c’était la semaine dernière, par un après-midi tout à fait banal sur l’avenue Mont-Royal : un canard colvert géant, avoisinant les sept pieds de haut, se promenait calmement au milieu des passants, laissant dans son sillage des visages incrédules et des WTF en tête.

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Déjà une figure culte à Toronto et Hamilton, ce canard taille plus nommé Lewis Mallard semble avoir fait son nid dans les rues de Montréal, où il se balade enveloppé d’une aura de mystère.

Rencontre avec un créateur qui réinvente l’art de faire rêver et qui insuffle une petite touche de magie à la banalité quotidienne.

« Un monde plus ludique, ne serait-ce que pour un bref instant », explique Lewis, résumant sa démarche.

« J’aime semer la surprise, un peu de confusion, et montrer que la vie peut être un peu plus étrange qu’on ne le pense. »

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Dès qu’il franchit le seuil de son logis du Mile End – où il vient tout juste d’emménager avec son amoureuse ayant signé avec l’Opéra de Montréal – les regards se tournent, amusés. Plusieurs le félicitent, éclatent de rire, et la majorité dégainent leur téléphone. « Ça fait partie du projet, cette interaction médiatique avec le public, cette forme de viralité. J’ai toujours eu du mal à mettre mon art de l’avant, mais là, c’est à travers les réseaux sociaux des autres que j’existe », explique-t-il.

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Il distribue des cartes de visite à ceux qui l’arrêtent. Sur son site web, on trouve des produits dérivés : casquettes, t-shirts, tote bags. Son principal gagne-pain pour l’instant.

Durant notre trajet, les enfants d’une garderie sont aussi émerveillés que les ouvriers d’un chantier de construction. Les voitures klaxonnent, des passants prennent peur, tandis que d’autres demeurent de glace, comme si sa présence était la chose la plus naturelle du monde.

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Il sort environ deux fois par semaine, selon la météo. La plupart de ses promenades durent environ deux heures, soit quelques kilomètres à travers les quartiers du centre de Montréal. « Je marche jusqu’à ce que je doive pisser », lance-t-il à travers son costume fait de papier mâché.

Mais comment devient-on canard?

« Tout a commencé dans un parc, en 2018, sous l’effet des champignons », raconte Lewis avec le sourire. « Je voulais retrouver un lien avec l’art. En voyant un canard, une question m’a traversé l’esprit : “Mais qui est-il vraiment ?” C’est ainsi que Lewis Mallard est né. »

Parce qu’on le devine, Lewis Mallard n’est pas son vrai nom.

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Sans l’avoir vraiment prémédité, son parcours l’a inévitablement conduit à créer son fameux costume de canard. Après des études en illustration à Oakville, il cofonde un collectif d’art visuel à Toronto, qui connaît un succès durable pendant une quinzaine d’années. Leur atelier, situé au 888 Dupont, l’un des derniers bastions de la scène artistique de la ville, a aujourd’hui été démoli pour faire place à des condos, triste reflet du développement rapide et impitoyable de la Ville Reine.

Une fois dans la trentaine, la pression financière le pousse à s’éloigner de l’art pour se trouver un emploi plus stable. Cependant, après un divorce et une série de deuils, il se retrouve à 40 ans, célibataire, perdu et déprimé.

« J’étais devenu exactement ce que je n’ai jamais voulu être », admet-il avec franchise.

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C’est donc à cette croisée des chemins que Lewis Mallard a vu le jour, marquant chez lui une véritable renaissance. Loin de l’art technique et sérieux qu’il pratiquait auparavant, ce projet lui permet de se plonger dans la légèreté et l’étrangeté. Naturellement introverti, l’artiste délaisse la rigidité du canevas pour adopter une approche plus folk et psychédélique, où l’art de rue rencontre la performance.

Le concept est aussi simple qu’inattendu : Lewis arpente les rues, vêtu de ses Converse orange et d’un legging assorti, dissimulé sous un canard géant, ne s’exprimant que par coassements. Mallard jongle avec l’absurde et l’anonymat, créant une distance subtile entre lui et son public, tout en ravivant chez eux une part d’émerveillement enfantin.

« Jamais je n’aurais cru toucher les gens à ce point, ajoute-t-il. Voir ces sourires illuminer les visages, apporter un peu de bonheur dans des journées grises, c’est une sensation à laquelle je ne m’attendais pas. »

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Sur la rue Saint-Viateur, nous croisons un groupe de touristes sud-coréennes, visiblement ravies à l’idée d’immortaliser l‘hallucination ailée. Lewis leur répond d’un coin-coin avec son sifflet de chasse au canard. Le ridicule de la scène est délicieux.

« On ne sait jamais vraiment ce qui va se passer », dit-il en reprenant notre marche et évitant à la dernière seconde un cône qu’il n’avait pas vu.

Il avoue toutefois éviter de sortir par mauvais temps et préfère esquiver les heures où les adolescents envahissent les rues, question d’éviter de se faire prendre pour une piñata. Il se méfie aussi des chiens. « J’ai eu ma part de mauvaises rencontres qui ont parfois frôlé l’agression, mais je reste toujours dans mon personnage », explique-t-il calmement. « Je savais bien qu’il y aurait des idiots, ça fait partie du jeu. Mais à Montréal, tout se passe bien. Les gens sont très polis et curieux. They get it. »

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L’expérience de Lewis est ainsi ponctuée par des instants inopinés. Il raconte par exemple que ses voisins de la communauté hassidique l’ignorent complètement lorsqu’il est en civil, mais dès qu’il enfile son costume, tout change : « Les femmes s’arrêtent pour me parler, les hommes me saluent. »

Sur Laurier, un homme se lance à notre poursuite. Il s’arrête, le souffle haletant, avant de nous inviter à entrer dans sa boutique alimentaire pour promouvoir ses réseaux sociaux. Lewis accepte l’invitation. « Si c’était un agent immobilier, j’aurais refusé, mais je suis toujours partant pour soutenir un petit commerce local. »

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Lewis Mallard entend poursuivre ses errances tant que les rues ne seront pas trop glissantes. « C’est une évasion qui nourrit mon âme », souligne-t-il en retirant son costume sur le pas de sa porte.

Quant à l’avenir, le nouveau Montréalais ne compte pas lever le pied palmé. Il aspire à continuer de surprendre et à distiller sa douce folie à travers la métropole. Et qui sait, peut-être le croiserez-vous bientôt dans un quartier près de chez vous.