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Lettre à Vincent: ou l’angoisse de la météo dans la mort

Par
Emily Campeau
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Mon très cher Vincent,

Il fait ben trop beau pour mourir aujourd’hui. C’est un grand ciel bleu immense qui nous avale, le soleil s’est levé en ignorant totalement qu’on dirait que ça fait deux fois plus mal de pleurer quand la météo est parfaite. Dans le creux du rang où la maison de ma mère se trouve, il n’y a littéralement aucun bruit, sauf les voitures qui passent occasionnellement. Je suis seule ici avec des émotions qui parlent trop fort, dans un pyjama à motif de chat, et je t’entends déjà faire la blague dans ta tête que je ne devrais pas porter ça car je suis allergique. Est-ce là l’apogée de l’amitié, de pouvoir prédire ou compléter les blagues de l’autre?

Viviane meurt. Une conjugaison que j’aurais pas pensé écrire avant de longues années. Elle meurt mon gars, et moi aussi un peu.

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On est le 26 juin, et tout le monde se demande si ce sera aujourd’hui le Grand Départ. Je mets des majuscules, je veux renforcir le solennel. Viviane meurt. Une conjugaison que j’aurais pas pensé écrire avant de longues années. Elle meurt mon gars, et moi aussi un peu. C’est l’apanage de la vieillesse, de ce criss de cancer de merde, de mourir longtemps en devenant l’ombre de ce qu’on a été. Elle est frêle, mélangée, une version édulcorée de l’opulente femme qu’elle a été, avec les seins les plus confortables du monde où j’ai réfugié bien des peines de 0 à 30 ans.

J’arrive pas à pousser la porte de la maison. Je suis rentrée 20 minutes hier, pour m’asseoir à côté d’elle. Il y avait les Feux de l’Amour à la télé. Peux-tu croire qu’après ce qu’il me semble être 27 saisons, ils réussissent encore à cross-breeder des couples qui se trompent et s’entre-déchirent? Nos mains se sont trouvées, la sienne avait peu de vigueur, la mienne était terrorisée. Je ne l’ai pas eu moi, le gène qui permet d’être relax en présence de personne mourante. Je priais pour que quelqu’un rentre et vienne prendre ma place. Je priais pour n’être pas celle avec qui elle déciderait de partir. Je priais. Je rôtis doucement dans les premiers beaux jours de l’été, une cuisson lente dans du jus tourmenté. Je m’écoeure de ma propre fragilité, de manquer de balls pour faire une femme de moi et aller m’occuper de celle qui m’a torché bon nombre de fois. N’est-ce pas le juste retour du balancier? J’ai honte, et j’ai mal. Ma présence dans le périmètre de la maison à un effet bénéfique me dis-je, on a toujours été connecté par une énergie électrique, Viviane et moi, j’ose espérer que dans le dernier mille avant la mort aussi. Je me réfugie dans la voix autoritaire de mon père. Dans son attente silencieuse. J’admire son stoïsme. C’est plate que ce soit pas héréditaire.

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Cette dualité m’essouffle. Je suis chargée de culpabilité chrétienne bord en bord, in and out, entre des émotions qui me font surfer la wave de l’ingratitude. Je me réfugie dans la pittoresque église de Ste-Thècle, à envoyer quelque part dans le cosmos des messages que personne entendra. Je m’apaise du mieux que je peux en fixant les fresques grandioses du bâtiment qui fait la fierté de notre village et je me laisse engloutir par les murs pleins de religion. Les religions codifient la mort, lui prête des rituels. J’ai besoin de l’encadrement fictif de mes sentiments, de me faire rassurer. Savoir invoquer Dieu quand on y croit pas est un art.

Je m’écoeure de ma propre fragilité, de manquer de balls pour faire une femme de moi et aller m’occuper de celle qui m’a torché bon nombre de fois. N’est-ce pas le juste retour du balancier? J’ai honte, et j’ai mal.

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Je m’assois inerte sur la galerie (on dit pas balcon chez nous) et je regarde le petit criss de poivron vert dans un pot pousser. J’absorbe telle une éponge l’ambiance lugubre. Je jette le blâme à tout vent pour tenter de lisser la douleur. Et j’entends ta voix si posée, si pragmatique me dire que c’est le cycle normal de la vie d’enterrer nos grands-parents. Tu vis dans ma tête et tu m’énerves avec tes réponses. Je suis incapable de passer le pas de porte. Elle est pas morte encore, mais tout dans cette maison s’étiole, se met en berne. Elle vocifère des idées qu’elle seule comprend, et le son de sa voix en sifflet, jadis tonitruante, me fait sentir comme le plus petit cube de jello au monde. J’ai obtempéré avec grâce aux ordres affectueux de cette femme leader toute ma vie, j’ai peur de plus savoir où aller si on me dit pas par où passer.

Je prends des marches dans les rues du village où j’ai grandi, tout est à la même place. Ça bouge peu ici, le temps va moins vite. Je marche les pieds lourds et le ventre vide. J’écris de la poésie vaseuse teintée de maladie et de douleur, j’avale croche mon privilège qui me semble ô tellement fortuit d’être une jeune femme somme toute en santé qui a la vie devant elle.

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Je me couche sur les grosses balançoires de bois du parc St-Jean et je me berce, dans un dernier élan de mimiquer l’apaisement de mes années d’enfance dans des bras qui ne peuvent maintenant plus calmer mes nombreuses angoisses d’adulte. Je ne me suis jamais sentie plus vide et plus calme. La mort qui cogne à la porte me donne le droit d’arrêter le temps, de vivre trois jours en juin. Si je passe à côté du reste de ma vie, j’aurai au moins vécu trois jours en juin. Je suis étourdie par mon propre fatalisme si noir, si dense, qui me projette un PowerPoint mental des personnes que j’aime que j’ai tellement peur de perdre.

L’ambulance s’est rangée dans la cour, j’ai continué de faire cuire le poulet. On est venu cueillir ma grand-mère pour qu’elle aille passer ses derniers jours dans une place où des gens vont s’occuper de ses moindres besoins. Ces gens-là sont des osti de saints, si tu veux mon avis. J’ai attendu que l’ambulance parte pour nettoyer la table, et me recueillir dans le silence froid de la maison vide. La réalité et les souvenirs se confondent. Parfois même j’oublie ce qui est en train de se passer. Je frissonne de façon sinistre quand j’ai l’impression à tout moment que la porte va s’ouvrir et que sa voix va retentir en disant « qu’est-ce tu cuisines pour souper? » . Je ne sais plus quoi cuisiner. Je suis tannée de manger. C’est moi qui perds un peu la tête, je pense. Je pense à la lourdeur de ce qui s’en vient. Je pense à son amoureux qui est venu s’assoir près de moi pendant que les ambulanciers travaillaient en me disant d’une voix cassée par l’émotion: « C’est dur, mais on a eu un bon bout de vie ensemble. » J’espère que quand moi je partirai, il y aura quelqu’un que j’aurais aimé autant qui pensera au bout qu’on aura fait ensemble.

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Je pose les yeux à droite et à gauche. Un mots croisé non fini, une esquisse de notice funéraire, des tableaux, des photos qui vivront dans la postérité sans elle. Les fleurs, qui va s’occuper des plantes? Qui va s’occuper de cuisiner ce qu’il y a dans le congélateur? Qui va boire l’alcool dans le bar, acheté pour alimenter nos trop nombreux partys de famille? There only so much crème de menthe I can drink. Qui, mais QUI va utiliser les 30l de bubble bath qui ornent le tour du bain? Qui va utiliser le matériel de cuisine assez imposant pour ouvrir un peut-être deux restaurants?

Je suis fâchée d’avoir cru que c’était vrai que les cancers chez les vieux avançaient moins vite. De septembre à juin, je trouve pas ça pas vite moi. Je trouve ça horriblement rapide. Je suis fâchée d’avoir pas compris assez l’urgence.

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Je fixe le petit cadre ultra quétaine qui dit que les grands-mères sont des anges déguisés et je refoule l’envie de partir à la recherche des lettres longues comme des fleuves que je lui ai écrit depuis l’annonce de sa maladie. Je me revois en Californie à la table massive en bois de Coleman Valley Road lors des vendanges 2017, à noircir du papier de sentiments crus et vifs, à lui raconter les couchers de soleil, les petites bibittes qui vivent à l’intérieur de moi, les flirts cuits sous le soleil de Sonoma, la beauté de mon nomadisme incurable. Je me revois en Autriche lui écrire ma lettre d’adieu, 5 pages de mots tights presque sans espace, un flot long comme le Danube de remerciements et de gratitude, de souvenirs collants des jours où on pensait peut-être que y’aurai pas de fin. Je ne me souviens même plus de qui j’étais, dans un monde où la santé vivait sans peur du soleil fondant de juin. Je ne mourrai pas un jour de pluie.

Je sais que tout ça n’est pas rationnel et que lorsque la douleur s’amenuisera, la réponse à ces questions d’une futilité exquise viendra doucement, et que les choses se placeront d’elles-même. Il faut remplir le trou en revanche. Pis le trou, il est gros en sacrament aujourd’hui. Je suis fâchée d’avoir cru que c’était vrai que les cancers chez les vieux avançaient moins vite. De septembre à juin, je trouve pas ça pas vite moi. Je trouve ça horriblement rapide. Je suis fâchée d’avoir pas compris assez l’urgence. D’avoir même osé penser qu’il y aurait d’autres Noëls, d’autres étés, d’autres récoltes, d’autres tartes, alors que bien évidemment c’était la grande finale. C’est ça mon osti de problème, je ne peux pas dealer avec les finalités. Je ne veux pas savoir qu’elles existent. Je veux passer la porte chaque jour en ne sachant pas que c’est la dernière fois que je la ferme.

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Mais je vais être ok mon grand, sois en certain. Je lui ai rien promis à Viviane, sauf de vivre beaucoup et de dormir peu. De me fignoler une vie de tempête, une vie qui fera mal des fois, de faire une différence. De ne pas oublier de manger quand je nourris les autres. De ne jamais manquer de mayo. De ne pas me faire chier à aimer des gars qui sont pas smats. De ne pas oublier de faire beaucoup de niaiseries. De ne pas trop me sauver. De boire bon, de manger trop, pis de rien regretter le mercredi matin.

J’ai fait à souper, une figure de style classique où je m’enchaîne moi-même, celle de sentir le devoir de nourrir n’importe qui en vue. Je passe en mode production pour contrer une partie de la peine, c’est moins dur de pleurer le ventre plein. Je me suis surpassée et on a mangé avec appétit malgré les circonstances. De la viande, de la laitue du jardin, des poivrons (pas verts), des asperges. Trop de bouffe pour quatre, beaucoup trop. On a toujours partagé ce plaisir voyeur de regarder les gens manger, Viviane et moi. Mon père s’est resservi plusieurs fois, mon coeur s’est apaisé le temps d’un steak.

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Je parcourais les albums photo chez ma mère ce matin, à la recherche d’une photo qui montrait Viviane dans toute sa splendeur, dans son immensité d’être humain. J’en ai trouvé plein. Ça aide que ma mère et elle furent amies pendant plusieurs années avant que mon père ou moi arrivions. Je les ai volées à ma mère, je les lui rendrai, mais là j’ai besoin qu’elles vivent un petit peu avec moi. On dirait qu’elles parlent, qu’elles résonnent d’un rire trop vite parti. Ça tombe bien, je ris tout aussi fort. Peut-être est-ce donc là ma mission post-mortem.

Sur ce, je vais plonger dans le lac. L’eau douce me rafraîchira sûrement un peu les idées. Je soupe avec ma mère dans le plus cute petit resto du monde ce soir, mon resto préféré qui cuisine avec des ingrédients du jardin seulement, ouvert l’été. Je lèverai mon verre aux sentiments vrais et aux existences frondeuses, je suis peut-être compliquée et tough à suivre, mais au moins, on m’a enseigné à ne pas être faux-cul. Je lèverai mon verre bien haut aux femmes qui marquent,

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Aussi inutile ta présence ici aurait pu être en cette situation de crise familiale, je donnerais cher ce soir pour te téléporter et t’avoir avec nous pour souper. Tu me manques.

Je t’aime mon grand, sache-le, et aux morts survivent les vivants.

Pour lire d’autres mots d’Emily, c’est par ici.