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Lettre à un complotiste

« Tu te souviens peut-être de moi, tu m’as traitée de "tyrannique" et de "pute"... »

Par
Catherine Fournier
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Salut, je m’appelle Catherine.

Tu te souviens peut-être de moi, tu m’as traitée de « tyrannique » et de « pute » sur Twitter la semaine dernière, après que j’aie fait part de mes inquiétudes au premier ministre François Legault en ce qui concerne la montée du phénomène complotiste au Québec, dans le cadre d’une commission parlementaire à l’Assemblée nationale. Tu as également partagé la même vidéo sur Facebook en me qualifiant de « folle » et de « corrompue ». Je voulais simplement que tu saches que je ne t’en veux pas.

En fait, j’ai de l’empathie par rapport à la façon dont tu te sens. Comprends-moi bien : je n’excuse pas tes paroles violentes qui ne devraient jamais avoir leur place – ni sur les réseaux sociaux ni ailleurs –, mais je veux surtout te dire que comme députée, j’aimerais contribuer à ce que tu ressentes moins de colère par rapport à nous, la classe politique. Ce genre de colère qui te pousse à écrire de tels commentaires sur le web, à l’égard de personnes aussi humaines que toi.

Nous ne sommes pas habitués à l’incertitude, au manque de contrôle, alors tu cherches des réponses. Et tu sais quoi? C’est tout à fait normal.

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Nous traversons présentement une période exceptionnelle avec la COVID-19, du jamais-vu dans nos vies nord-américaines confortables. Tu as peut-être perdu ta job, ton entreprise est peut-être sur le bord de la faillite, tu as peut-être été agressif avec tes enfants dernièrement, ça a peut-être été la goutte de trop dans ton couple déjà fragile. Peut-être. Peut-être pas. Une chose est certaine, pour toi comme pour tout le monde : tu as été déstabilisé par ce que nous vivons depuis mars. Nous ne sommes pas habitués à l’incertitude, au manque de contrôle, alors tu cherches des réponses. Et tu sais quoi? C’est tout à fait normal. C’est un réflexe naturel de l’être humain.

Tu as raison de te questionner par rapport aux décisions du gouvernement. Même en temps de crise, il faut garder notre esprit critique, vif. C’est en questionnant qu’on sensibilise. C’est en questionnant qu’on avance.

Souvent, les décideurs politiques prennent des décisions arbitraires, pour servir les intérêts de leur parti. En temps de crise, au Québec, ça a heureusement toujours été différent. Il faut nous donner ça : quand des vies sont en jeu, on est capable de se serrer les coudes et de mettre côté les débats partisans stériles. On se retourne alors vers les experts. C’est précisément ce qu’a fait notre gouvernement depuis le début de cette pandémie : suivre la science. Est-ce que ça a été parfait? Bien sûr que non.

Ces incohérences ont pu faire en sorte que tu commences à faire « tes propres recherches » avec l’objectif de mieux comprendre, de trouver un sens à tout cela.

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D’abord, la science est en constante évolution, surtout quand nous sommes confrontés à un élément nouveau, pour lequel il n’existe peu ou pas de recherche antérieure (dans ce cas-ci, le virus SARS-CoV-2). Il faut dès lors se fier au « consensus scientifique » (la position sur laquelle la plupart des scientifiques spécialisés dans le domaine concerné se mettent d’accord, à un moment donné). Comme ce « consensus » est encore en construction pour la COVID-19, nous nous sommes retrouvés face à de nombreuses incohérences dans les messages gouvernementaux au fil des semaines. Ces incohérences ont pu faire en sorte que tu commences à faire « tes propres recherches » avec l’objectif de mieux comprendre, de trouver un sens à tout cela. Le problème, c’est qu’il y a pu avoir des gens malveillants pour profiter de ta vulnérabilité à ce moment bien précis.

Ça a pu te paraître banal au début, mais tu es entré dans une chambre d’écho. Plus tu suis certaines personnes sur le web, plus on t’en propose qui tiennent le même discours. C’est alors souvent un entonnoir vers des groupes plus radicaux. Ces gens exploitent l’angoisse et la frustration à l’égard des mesures sanitaires pour capter ton attention. Ils s’en serviront possiblement ensuite pour pousser d’autres messages jusqu’à toi, cette fois plus problématiques. Par l’effet de groupe, on t’incitera à envoyer des messages comme ceux que tu m’as écrits. Tout le monde dans ta situation ne le fera pas nécessairement, mais force est d’admettre que ce milieu virtuel devient un nid où peut éclore ce type de comportement. Plus le nid s’élargit, plus le risque d’éclosion est grand. Exactement comme pour le coronavirus.

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Bref, tout ça pour te dire que je ne souhaite pas que le gouvernement « te fasse taire ». J’espère juste que le premier ministre comprendra qu’il est grand temps d’implanter des réformes démocratiques favorisant la participation des citoyens. J’espère juste qu’il comprendra que la classe politique doit tendre vers la plus grande transparence et adopter une éthique sans faille. J’espère juste qu’il comprendra l’urgence d’augmenter les ressources en alphabétisation, notamment scientifique. J’espère juste qu’il saisira l’importance d’instaurer un cours d’éducation à la citoyenneté dès le primaire. J’espère juste qu’il réalisera qu’on doit appuyer les médias dans leur transition vers un financement moins dépendant de la publicité. J’espère juste qu’il admettra que d’autres pistes intéressantes en la matière pourraient être identifiées par des chercheurs en la matière, pour autant qu’on soutienne ces initiatives de recherche.

Sans rancune.

VUE DU FOND

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Pour rester dans la même thématique, vous avez été plusieurs à me faire remarquer que les députés ne portaient pas de masque pendant les commissions parlementaires à l’Assemblée nationale. Vous n’avez pas tort : c’est parce que le principe qui s’applique aux restaurants s’applique aussi à l’enceinte parlementaire. Ainsi, lorsque les députés et les membres du personnel se déplacent entre les salles et dans les corridors, le port du couvre-visage est obligatoire, comme partout ailleurs au Québec. Cependant, une fois que nous sommes assis (souvent pour une période bien plus longue qu’un repas au restaurant!), nous pouvons le retirer. La preuve que la réalité est parfois beaucoup plus simple que son pendant, le complot. :)