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Lettre à mes médecins
« J’ai besoin de te sentir me crier de continuer dans le ring. »
Je ne sais plus ce qui t’arrive doc. J’ai l’impression que plus mes résultats entrent, plus tu lâches prise. Comme si tu laissais tomber la serviette, comme si tu lâchais ma main.
J’en suis rendue perdue.
On me dit que ce sont les statistiques.
Je ne suis pas une statistique, je suis une femme, une mère, une amie. Je suis beaucoup plus qu’une note ou un rendu sur papier.
Je suis vivante.
Ne me regarde pas avec ces yeux de gérant de pompes funèbres.
Je sais que tu vois des milliers de statistiques au courant de tes années de pratique.
As-tu oublié que tu traitais des humains? As-tu une idée de tout ce que nous devons vivre?
En plus de tous les déboires de la maladie, nous devons planifier nos rendez-vous dans le quotidien de nos enfants. Devoir entendre les soupirs de la secrétaire qui est tannée d’entendre les contraintes de dispo pour un rendez-vous.
Que nous sommes de jeunes adultes qui rêvons de pouvoir prendre notre retraite.
Anodin aux yeux de certains, mais utopique aux nôtres.
Que nous rêvons de voir nos enfants devenir parent, que nous rêvons de prendre soin de nos parents et non l’inverse.
Gestion de médoc, gestion de temps, gestion de famille, gestion d’arrangement funéraire, testament, papier de refus de réanimation, papier de refus de traitement… Non, ce n’est pas normal.
Toi doc, le soir chez toi… penses-tu encore sauver des gens comme lorsque tu étais enfant? As-tu oublié que derrière les livres et les statistiques nous sommes la raison de temps d’année passé sur les bancs d’école?
Coach, ne me lâche pas. J’ai besoin de voir la folle folie de me sauver dans tes yeux. J’ai besoin de te sentir à mes côtés, j’ai besoin de voir tes yeux d’enfant qui est capable d’outrepasser tous ces mots qui nous classent dans de petites boites.
J’ai besoin de voir tes yeux me soutenir. J’ai besoin de te sentir me crier de continuer dans le ring. Comme Rocky et Mickey.
Je veux que tu m’essuies le front, panses mes blessures et m’encourages à continuer malgré tout.
Que tu sois ce fan de hockey qui reste au début de la 3e période quand le score est de 8 à 1.
Je ne veux pas que tu m’abandonnes.
La partie n’est pas finie.
On dit que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.
L’inverse s’applique tout aussi bien, sinon plus.
Tant qu’il y a de l’espoir, il y a de la vie.
Je ne suis pas une statistique doc.
Je suis Rocky,
Je suis Gretzky,
Je suis Alyson.
Lâche pas la patate doc. Je sais bien que tu as dû te mettre une carapace au fils des ans. Je sais bien que toi aussi tu es humain.
Retourne t’asseoir avec l’enfant en toi. Va prendre un thé à la table avec les toutous de ton enfance.
Ramène cette fougue qui alimentait ta vie. Celle qui rendait tes parents fiers.
Tu aurais pu être moi.
Certes, j’aurais pu être toi.
La vie en a décidé autrement.
Je suis une jeune adulte avec une statistique qui l’empêche d’avancer partout. La société nous met déjà trop de barrières.
Pas assurable,
Pas finançable,
Pas «voyageable»,
Coach,
J’ai déjà perdu tant de choses avec cette maladie…
Si tu savais.
Tout ce qu’il me reste c’est toi qui peux essayer de croire en moi.
Ne me lâche pas.
Je sais que c’est difficile de croire que je puisse avoir un mois, voir une année de plus. On t’a appris qu’un cancer c’était la merde, qu’un cancer avec métastases c’était encore pire.
Une fatalité.
T’inquiètes, on me l’a trop souvent rappelé.
J’ai besoin de toi doc.
Je continue ma route avec tout ce gros bagage qui se rempli a vu d’œil et qui devient si difficile à traîner.
Oui, je sais que tu aimerais que je sois plus assidu à mes rendez-vous. Que j’arrive à l’heure.
Sais-tu que d’aller te voir derrière ton bureau me fait peur? Que c’est toujours difficile de remonter la pente suite à notre rencontre? Que j’anticipe tes mots? Que je rage contre la maladie, la tête sur l’oreiller?
Oui j’aimerais m’en faire contre un collègue. Râler.
Retourner au stade «Métro-boulot-dodo».
Avoir hâte d’arriver à vendredi, parce que moi, c’est samedi tous les jours, tu sais… Je n’ai plus cette possibilité d’essayer de monter les échelons dans la compagnie.
Y’a pu vraiment d’échelons en fait.
Je te dirais même que mon échelle a tout perdu ses barreaux… que j’ai pogné une dieu de débarque il y a bientôt 4 ans.
Je sais que j’ai dépassé les statistiques d’un an ou deux. Peut-on continuer de rêver à la prochaine? Qu’on mette un peu de côté le «moment présent» parce qu’étrangement, j’en ai peur du moment présent.
Ouais coach, j ’en suis rendu à avoir peur du moment présent.
Tu sais pourquoi?
Parce que j’ai peur que ce soit le dernier.
Cette nuit doc, j’ai pris la décision de t’en parler. Peut-être que ça aidera? J’ai bon espoir! Peut-être que le petit enfant qui t’habite sortira de sa torpeur.
Sois celui qui croit en tout. Qui passe outre les croyances.
Sois ce rêveur,
Sois Walt Disney,
Je te promets d’amener mon enfant intérieur la prochaine fois. Peut-être que si tu as le tien aussi ils referont le monde et oseront croire en l’année de plus.
Je marcherai jusqu’à ce que je tombe coach.
Mon combat c’est la vie, pas la maladie.
Je vis pour ce que demain à a m’offrir et non à ce qu’hier m’a enlevé.
T’es là pour moi et je le suis pour toi.
Let’s go coach, un round de plus.
J’ai confiance en toi.
Parce que je fais de mon mieux grâce à toi.
Merci coach.
Ding! Ding! Ding! 🛎
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Photo prise lors de mon premier traitement de chimio en novembre 2016.
Diagnostique de cancer du sein métastatique de Novo (au départ).
À ce jour, métastases aux os, foie et cerveau.
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