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Lettre à Fred Pellerin

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La pression lorsqu’on s’adresse à Fred Pellerin, c’est surtout d’endimancher sa plume au possible.

Cher Fred Pellerin,

Déjà une bonne semaine que l’on parle de vous dans les journaux, depuis que vous avez décliné l’invitation du gouvernement québécois à vous ornementer, vous, poète, conteur, passeur de mots. Déjà une semaine que l’on vous targue de droiture, de conséquence, de conviction profonde. Déjà une semaine que je me dis que des hommes comme vous permettent à deux beaux grands mots, rêve et espoir, de rester bien présents.

Vous n’avez pas voulu causer de remous, vous avez voulu agir sans tambours ni trompettes, mais vous aurez pourtant précédé une grande vague. Sûrement parce que même si vous les souhaitez discrets, vos pas sont de ceux des grands, vos pas de géants provoquent malgré vous des rafales. Peut-être que quoi que vous fassiez, la portée de votre poésie a celle d’une roue à aube, celle qui même dans un calme de pointe des pieds, a le pouvoir de renverser les rivières.

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Nous avons un gouvernement aveugle, de cette cécité volontaire et calculée qui bat des cils au même rythme que les sondages. Nous avons une ministre de la Culture qui a aussi été piquée par la mouche de la démagogie, qui aurait dû s’en tenir à votre lettre de refus, en accuser la réception, humblement. Il me semble que devant le retrait du poète, devant ce qu’il y a de plus beau et humain dans le soulèvement, si l’on ne peut parler le même langage, il convient de se taire.

On aurait cru que Madame St-Pierre se serait faite toute petite, qu’elle aurait marché sur des œufs, mais elle porte de trop gros sabots. Elle n’aura pas eu l’élégance requise, ministre-journaliste à la rigueur enfuie. Dans un gouvernement où ligne de communication prévaut sur intelligence, elle a préféré permettre à deux beaux grands mots qui font peur, violence et intimidation, de rester bien présents.

Vous avez été le déclencheur de cette lettre signée par quelques milliers d’artistes, une lettre qui condamnait vertement ses propos, une lettre de cette engeance de lettre qui vient secouer même la plus opiniâtre des stratégies de communication.

La ministre s’est excusée hier, du bout de ses lèvres pincées, maintenant atteinte de la même maladie de croqueuse de citron que les autres femmes du gouvernement libéral. Elle a dû s’excuser par respect, parce qu’on est pas dupes, parce qu’on le lui a exigé, parce qu’on a maintenant l’habitude des basses répliques qui ont pris des allures de ritournelles.

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En tentant de nous imposer les choses claires porteuses de la clarté des protocoles, les choses claires et binaires qui l’espère-t-il feront leur chemin jusqu’à la une des journaux, le gouvernement se doutait-il que les artistes, chiens de garde allergiques aux entourloupettes sémantiques, allaient joindre leur voix à la vôtre?

Au jeu de la rhétorique immonde, vous avez trouvé des mots nobles, des mots sentis pour parler du Québec, de peuple québécois, « de la démocratie qui se fait secouer par la base ». Grâce à vous, on a envie de se dire qu’on ne se débat peut-être pas tant que ça à contre-courant, qu’au-delà du délire des spins politiques au ras des pâquerettes, l’homme n’a pas à ravaler son cri. Car il y aura toujours la discrète parole du poète, celle qui trace son sillon, et touche droit au coeur.

Chose certaine, vous nous aurez prouvé que lorsqu’un conteur refuse un prix, on a envie de rougir nous aussi. Poète courtois, poète bien droit. Même si vous précisez que votre geste n’en était pas un de protestation, il faut croire qu’il aura quand même insufflé, inspiré, rallié.

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Fred Pellerin, quand des fois j’ai une pointe d’accès à votre monde magique, vous faites de moi une meilleure personne. Les moindres replis de votre poésie sont comme un début de bible à rendre fière, croyante. Permettez-moi d’être claire : ceci est une lettre d’amour, et pas juste l’amour avec un grand A, l’amour tout en majuscules.

En ces jours gris, où je vous le concède, votre peuple n’a peut-être pas tant le cœur à la fête, je vous lève mon chapeau bien bas pour votre passage de tour digne des grands hommes. Et je vous épingle en pensée une médaille de bravoure, bien près du coeur.
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@caththerrien