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Le chien enlevé du presbytère

L’étrange enlèvement du chien du presbytère

Le mystère autour de la disparition de Leeloo a mobilisé tout un quartier.

Par
Salomé Maari
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Centre-Sud. Dimanche 4 mai. Jour du Seigneur. Après-midi.

Vincent Champagne, un géant de 7 pieds 1, chante dans la chorale de l’église Sacré-Cœur-de-Jésus, au coin des rues Ontario et Plessis. Pendant ce temps, sa chienne Leeloo prend un bain de soleil dans la cour avant clôturée du presbytère.

Au même moment, de l’autre côté de la rue, Jessica Flowers – employée de la Tabagie Pat et Robert depuis 13 ans – aperçoit du coin de l’œil une personne soulever la clôture pour faire passer la bête avant de quitter les lieux avec elle.

Jessica ne le sait pas encore, mais elle vient d’assister à l’enlèvement du chien du presbytère. Une disparition qui secouera le Centre-Sud, où tous connaissent l’animal par son nom.

Photo : Salomé Maari
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LENDEMAIN DE L’ENLÈVEMENT

Lundi midi. Lendemain de la disparition. Cuisine du presbytère.

Ça sent la viande, la tomate et la panique. Une chambreuse prépare des pâtes pendant que Vincent est assis à la table, l’air inquiet.

« Tout le monde l’adore. Tout le monde tombe en amour avec elle tout le temps. Elle a comme une joie de vivre… », dit-il, encore secoué par les événements.

Vincent Champagne devant le presbytère.
Photo : Salomé Maari
Vincent Champagne devant le presbytère.
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Leeloo habite le presbytère depuis plusieurs années avec Vincent, une quinzaine d’autres personnes et quelques chats. Une communauté qui vit à contre-courant et qui prend bien soin d’elle.

Chienne libre, mais pas errante, elle passe ses journées dans la cour avant, à charmer le quartier avec ses yeux vairons.

« C’est pas la première fois que ça arrive », explique l’ex-serveur du Métropolis. Des gens l’ont déjà emportée, la prenant pour une fugueuse, avant de la ramener peu de temps après au presbytère, réalisant qu’elle se trouvait bel et bien à la maison.

Mais cette fois, c’est différent.

« Elle avait un AirTag sur son collier. Il a été enlevé, puis déposé dans les marches du presbytère », explique Vincent. Ce geste ne laisse planer aucun doute : il s’agit d’un acte délibéré. Leeloo a été volée.

Photo : Salomé Maari
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L’ex-copine de Vincent, Nikita, avec qui il a adopté Leeloo et qui vit toujours au presbytère, entre en trombe dans la cuisine, les bras pleins d’affiches fraîchement imprimées où on peut lire « Chien volé » en grosses lettres. Nerveuse, elle y ajoute à la hâte des informations au Sharpie.

Depuis la veille, les deux ex, des chambreurs et des amis ont entrepris des recherches. Ils ont interrogé les commerçants de la rue, alerté la police et la SPCA, et inondé les réseaux sociaux de publications. Celles-ci ont été largement partagées, preuve de l’amour que le quartier porte pour l’animal.

« Tout le monde l’aime, tout le monde la connaît », assure Nikita, visiblement ébranlée. « En ce moment, elle a une foulure. On s’inquiète pour sa patte », ajoute-t-elle.

« LEELOO, ELLE AIME TOUT LE MONDE »

Le bedeau de l’église, moustache blanche et T-shirt coincé dans ses bermudas, entre à son tour dans la pièce.

– Allô, André, lance Vincent, avec un sourire triste.

– Ça va bien? demande le bedeau.

Pas vraiment.

– Quelqu’un a volé Leeloo, répond Vincent.

– Ben oui, j’ai vu ton frère hier, pis Nikita…

Photo : Salomé Maari

André s’efforce de détendre l’atmosphère.

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– Elle commence à être populaire, vous avez mis des affiches partout, lance-t-il.

– Ben, elle l’était avant. Elle l’a toujours été.

– C’est plate. C’est parce que Leeloo, elle aime tout le monde. Elle peut partir avec n’importe qui.

Un silence plane.

– Mais un chien, habituellement, ça revient, continue André pour rassurer Vincent. Je te dis pas demain, là. Des fois, ça prend un certain temps, mais…

– Ouin. On va se croiser les doigts…

L’église Sacré-Cœur-de-Jésus.
Photo : Salomé Maari
L’église Sacré-Cœur-de-Jésus.

UN CHIEN « COMMUNAUTAIRE »

Huit ans plus tôt. Lac-Simon.

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Vincent et Nikita, qui forment alors un couple, se trouvent dans la communauté Anishnabe pour participer à un pow-wow. C’est là qu’ils rencontrent un petit chiot errant avec un œil très bleu et un œil très brun, en train de se faire lancer comme un ballon par des enfants.

« Elle était tellement parfaite qu’on a décidé qu’on ne pouvait pas s’en séparer », se remémore Nikita, la voix tremblante, dans la cuisine du presbytère. « Après ça, on s’est tous regroupés, puis on a pris soin d’elle. On est plusieurs à s’en occuper. »

Bien que Nikita et Vincent en soient officiellement responsables, c’est toute une communauté qui veille sur elle. Un groupe Facebook nommé Chien communautaire et personnes concernées rassemble d’ailleurs une vingtaine de personnes qui en prennent ou en ont pris soin. On y partage des informations sur ses allées et venues.

LA MASCOTTE DES PLUS DÉMUNIS

Au sous-sol du presbytère loge l’organisme Entraide Léo Théoret, qui distribue de la nourriture aux personnes en situation de précarité et d’itinérance. Leeloo y est une habituée. Les usagers l’adorent. « C’est comme la mascotte des itinérants », explique Vincent en souriant.

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Même Monseigneur Roger Dufresne, curé de la paroisse, en parle avec affection. « Elle est très, très, très douce. Je l’ai pas entendue japper une fois. »

Photo : Salomé Maari

Nadia, qui travaille au dépanneur d’en face, confirme. « Je la vois tous les jours sur le perron et tout le monde la connaît bien. Ma mère aussi la voit tout le temps. C’est un chien inoffensif. […] Elle est super fine, elle n’a pas de malice. »

Leeloo a même son propre compte Instagram, @leeloo_chien_officiel.

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LES RECHERCHES SE POURSUIVENT

Mercredi. Avant-midi. Odeur : désespoir.

Le presbytère n’est plus le même sans Leeloo. Les animaux ont cette façon de laisser un vide derrière eux.

Nikita, Vincent, et toute la bande poursuivent corps et âme leurs recherches. Des affiches ont été déployées dans plusieurs autres quartiers de la ville : Hochelaga, Rosemont, Saint-Henri, Quartier latin…

Ils continuent d’insister auprès des propriétaires de caméras de surveillance pour visionner les images prises au moment de la disparition de Leeloo. Même si le SPVM a ouvert un dossier, « la police dit ne pas pouvoir nous donner de mandat qui accélérerait le processus », explique Nikita.

Elle a vite réalisé qu’un chien disparu, ce n’est pas exactement une priorité pour les autorités.

« Je t’avoue que je suis un peu désespérée. »

Malgré tout, les partages de la disparition de Leeloo se multiplient sur les réseaux sociaux. Ils se comptent maintenant par centaines. « Il y a énormément d’appui du côté des gens dehors et en ligne », souligne Nikita.

Photo : Salomé Maari
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UNE LUEUR D’ESPOIR

Mercredi. Rue Plessis. Soleil.

Le moment où tout bascule.

Un voisin, rue Plessis, accepte de partager au groupe les images que sa caméra de surveillance a captées dans les minutes suivant l’enlèvement.

On peut y voir Leeloo marcher avec une mystérieuse personne affublée d’un chapeau, en direction du parc La Fontaine. Bingo.

Voilà que l’espoir renaît au presbytère.

La bande partage les images sur les réseaux sociaux et appelle la communauté à garder les yeux ouverts.

Peu de temps après, Nikita reçoit un texto. Grâce aux publications qui circulent en ligne, une inconnue habitant dans un quartier plus au nord a reconnu Leeloo , et partage tout ce qu’elle sait de la personne qui promenait le chien.

Grâce à ces informations, les amis trouvent le compte Facebook de cette personne au profil singulier. Ils le constatent vite : elle est aux prises avec de graves problèmes de santé mentale.

Tels des détectives, ils fouillent son profil.

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Ça y est, ils ont un plan. Et cette fois, la police ne sera pas impliquée.

OPÉRATION SAUVETAGE

Jeudi avant-midi. Une autre église, quelque part à Montréal.

Nikita et son amie Coralie Sarrazin – ancienne résidente du presbytère – montent la garde dans une voiture aux vitres teintées. Elles savent que dans moins d’une heure, la personne qui a volé Leeloo se présentera à la rencontre des Narcotiques anonymes qui prendra place dans l’église. Elle en a informé la Terre entière dans un statut Facebook.

Le cœur battant, le duo est prêt à toute éventualité.

Comme prévu, la personne apparaît avec Leeloo, qu’elle attache avant d’entrer dans l’église.

Nikita fonce. Elle détache son chien, qui court vers Coralie et saute dans la voiture.

Au même moment, la personne sort de l’église. S’ensuit une altercation entre elle et les deux amies. La personne semble paranoïaque : elle leur demande comment elles ont su qu’elle serait ici. Coralie balbutie quelques mots. Tout se passe très vite. Sans trop résister, la personne quitte les lieux en vociférant.

La bagnole décolle. Il faut se tirer d’ici.

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« [Leeloo] a pleuré dans la voiture, quand elle a vu le presbytère. Elle était tout énervée. Et dès qu’on a ouvert la porte, elle a couru vers son comité d’accueil », raconte Coralie avec joie. Un comité qui était plus que soulagé d’enfin la retrouver.

Photo : Salomé Maari

LES GRANDES RETROUVAILLES

Jeudi. Autour de midi. Cour avant du presbytère.

Tout le monde a un sourire étampé au visage. La rue Ontario résonne de rires.

C’est le moment des grandes retrouvailles : Vincent, Nikita, Coralie, des résidents du presbytère, des amies, le bedeau. Même Minuit, le chat noir de la commune, s’est joint à la fête.

Leeloo se fait couvrir de caresses, de câlins et de baisers.

Vincent retrouve Leeloo.
Photo : Salomé Maari
Vincent retrouve Leeloo.
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Des dizaines de passants, un après l’autre, s’arrêtent devant la clôture. « Vous avez retrouvé Leeloo! » Des applaudissements et des cris de joie ne cessent de retentir. Le voisinage est soulagé.

Assise sur des poufs colorés, la bande se repasse le film de la semaine folle qui vient de s’écouler. Une semaine remplie d’angoisse et de peur. « Les pires choses te traversent l’esprit », explique Marilyn Moreau, une amie. Mais pas question de broyer du noir. Aujourd’hui, c’est la fête.

Coralie, Nikita et Marilyn regardent Leeloo jouer dans la cour.
Photo : Salomé Maari
Coralie, Nikita et Marilyn regardent Leeloo jouer dans la cour.

« C’est grâce à la communauté qu’on l’a retrouvée », lance Vincent, reconnaissant.

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Malgré le doute, il n’a jamais perdu espoir que Leeloo rentre à la maison : durant les derniers jours, la ville était remplie d’yeux qui la cherchaient.

Cette histoire, ce n’est pas seulement celle d’un enlèvement. Ni d’un crime résolu. C’est celle d’une communauté tissée serrée qui s’est retroussé les manches, et de tout un quartier qui s’est mobilisé.

Un petit miracle dans le Centre-Sud.

Et dans le presbytère, la vie peut reprendre son cours. Leeloo est à la maison.

Photo : Salomé Maari