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L’étonnante histoire de la découverte du LSD
Aujourd’hui, ça fait exactement 78 ans que le tout premier trip d’acide volontaire a eu lieu. Buvard, acide lysergique diéthylamide, LSD; peu importe comment on l’appelle, la découverte de cette substance psychédélique a eu un impact considérable sur la société occidentale, ne serait-ce que pour son rôle au sein de la contre-culture des années 1960.
Depuis cette première expérience, on peut dire que notre perception du produit a beaucoup évolué : après avoir passé un peu plus de 40 ans à être considéré comme une drogue dangereuse dénuée de valeur thérapeutique, le LSD recommence à susciter l’intérêt de la communauté scientifique. Les recherches sur son utilisation en psychothérapie pour traiter certains troubles de santé mentale ont repris de plus belle après avoir été abandonnées au début des années 1970. On voit un changement de paradigme à l’horizon : le stupéfiant se transforme petit à petit en médicament potentiel.
Mais tout ceci n’aurait pas été possible sans ce premier trip intentionnel, une histoire surprenante qui remonte à 1943. Célébrons le « Jour du vélo » en se remémorant les événements qui ont mené à la découverte fortuite des effets psychédéliques du LSD.
1938 : à la recherche d’un catalyseur de contractions utérines
Albert Hofmann (1906-2008) ne s’attendait pas à tomber sur un puissant hallucinogène lorsqu’il a découvert le LSD en novembre 1938. Le chimiste suisse, qui travaillait à l’époque pour la compagnie pharmaceutique Sandoz, était plutôt à la recherche d’un médicament qui pourrait prévenir les hémorragies après l’accouchement en provoquant des contractions utérines. Son travail portait alors principalement sur la synthèse d’alcaloïdes dérivés de l’ergot du seigle, un champignon qui s’attaque aux céréales.
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L’ergot était utilisé au moyen-âge et au début de la renaissance pour faciliter la mise au monde, mais posait un risque d’empoisonnement considérable. Hofmann cherchait à synthétiser un dérivé plus sécuritaire de la molécule responsable de ses propriétés médicinales. Ses efforts ont porté fruit : il a développé la méthylergométrine, qui est d’ailleurs toujours d’usage en obstétrique aujourd’hui. Le LSD a été découvert par Hofmann dans le cadre de cette recherche, mais n’était pas aussi efficace que la méthylergométrine lors des essais cliniques. Il l’a donc mis de côté pendant plusieurs années, convaincu qu’il lui trouverait un jour une utilité.
1943 : un accident de labo révèle des effets insoupçonnés
Cinq ans plus tard, Hofmann recommence à travailler sur l’acide lysergique diéthylamide, question de lui déterminer un usage potentiel. Le 16 avril 1943, il synthétise la fameuse substance à nouveau, et en échappe malencontreusement une minuscule goutte sur sa peau pendant le processus. Dans ses notes, il décrit le reste des événements comme suit :
« Vendredi dernier, (…) j’ai été obligé d’interrompre mon travail au laboratoire au milieu de l’après-midi et de rentrer chez moi, étant affecté par une agitation remarquable, combinée à un léger vertige. À la maison, je me suis allongé et je suis tombé dans un état d’intoxication qui n’était pas désagréable, caractérisé par une imagination extrêmement stimulée. Dans un état semblable au rêve, les yeux fermés (je trouvais la lumière du jour trop éblouissante), je percevais un flot ininterrompu d’images kaléidoscopiques, de formes extraordinaires aux couleurs intenses. Après environ deux heures, cette condition s’est estompée ».
Trois jours plus tard : premier trip d’acide intentionnel… à vélo!
Après cette première expérience surprenante, Hofmann se doute bien que le diéthylamide de l’acide lysergique était responsable de son intoxication. C’est pourquoi il décide de l’essayer de plein gré trois jours plus tard, au nom de la science. Persuadé qu’il ne prend qu’une toute petite quantité, il ingère 250 microgrammes, et se rend vite compte de son erreur : il s’agit en fait d’une dose énorme!
Comme on dit en bon québécois, c’est là qu’il s’est mis à badtripper solide.
Après quelques minutes, il commence à se sentir très agité, et demande à son assistante de l’aider à retourner chez lui. Rappelons qu’à l’époque, la Seconde Guerre mondiale battait son plein en Europe. Puisque des restrictions étaient appliquées à la conduite automobile, le pauvre chimiste n’a eu d’autre choix que de se faire escorter jusqu’à chez lui en vélo.
Comme on dit en bon québécois, c’est là qu’il s’est mis à badtripper solide. Pendant le trajet à vélo, il commence à ressentir une anxiété grandissante, et son champ de vision devient complètement distordu. Il a l’impression d’être figé dans le temps et l’espace, convaincu qu’il n’avance pas d’un poil. Parler à son assistante lui demande un effort surhumain; il est incapable de former des phrases complètes et cohérentes. C’est en référence à cette balade inhabituelle que le 19 avril est connu sous le nom de Bicycle Day par les amateurs de LSD partout dans le monde.
Bad trip à domicile : démons et sorcières
Enfin arrivé chez lui, le cauchemar n’est pas terminé : il s’affale sur le sofa, incapable de faire quoi que ce soit d’autre. Les meubles de son salon sont méconnaissables, devenus monstrueux et grotesques. Pendant le trip, il est même convaincu que sa voisine est une méchante sorcière qui cherche à lui faire du mal. Bref, c’est loin d’être une expérience positive.
il est persuadé qu’il s’est empoisonné, et il craint pour sa santé.
Outre les effets du LSD sur sa perception du monde qui l’entoure, Hofmann remarque une altération profonde en lui-même. Il a l’impression d ’être possédé par un démon : celui-ci aurait pris le contrôle de son corps, et expédié l’âme du chimiste dans un autre univers, à une autre époque. Il est convaincu qu’il est mort. Malgré tout, il réussit à contacter un voisin pour lui demander d’appeler son médecin de famille. Évidemment, il est persuadé qu’il s’est empoisonné, et il craint pour sa santé.
Le médecin arrive enfin, mais il a beau examiner Hofmann de fond en comble, il ne remarque rien d’anormal mis à part la taille énorme de ses pupilles. Tous ses signes vitaux sont conformes. Le chimiste n’a donc pas le choix d’attendre que les effets s’estompent. Au fil du temps, il réussit à se détendre et à apprécier l’état d’esprit dans lequel il se trouve. Il ferme ses yeux et profite du spectacle coloré qui s’offre à lui. Enfin, plusieurs heures après l’ingestion, la sobriété lui revient peu à peu. Le lendemain matin, il se sent en pleine forme, chargé d’un appétit pour la vie renouvelé.
Et après? La vie d’Albert Hofmann post-LSD
Hofmann ne tarde pas à rédiger un rapport dans lequel il décrit l’expérience extraordinaire qu’il a vécue. Ses superviseurs n’arrivent pas à le croire, convaincus que leur employé a rêvé à toute cette histoire. Hofmann invite donc le chef du département de pharmacologie et deux collègues à l’essayer avec lui, cette fois sous une dose beaucoup plus petite. Disons que leur incrédulité a vite été anéantie!
Son dernier trip a eu lieu alors qu’il était âgé de 97 ans!
On pourrait croire qu’une expérience de la sorte aurait été extrêmement traumatisante, et il ne fait aucun doute qu’elle avait le potentiel de l’être. Pourtant, Hofmann a continué à expérimenter avec l’acide, et vécu plusieurs expériences positives avec la substance tout au long de sa vie. Son dernier trip a d’ailleurs eu lieu alors qu’il était âgé de 97 ans!
Après cette incroyable découverte, Albert Hofmann a dévoué sa vie à la défense du LSD et de ses propriétés psychédéliques. Il le considérait comme un outil potentiellement utile pour mieux comprendre le fonctionnement de la conscience humaine, mais aussi pour faciliter la psychothérapie et assister les gens dans leur quête de développement de soi. Malgré cela, il était ouvertement opposé à la consommation purement récréative, qu’il jugeait dangereuse vu la profondeur des effets générés.
Comme on le sait aujourd’hui, ses avertissements n’ont pas mené à grand-chose, mais ça, c’est une histoire pour un autre jour…