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L’été en montagnes russes d’Alexandra Stréliski

Rencontre avec la réchauffeuse de salle la plus populaire de l’heure.

Par
Hugo Meunier
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« Je pense que j’ai l’étampe de la personne qui fait des choses pour la première fois dans la face. »

Assise dans le canapé brun d’une loge du stade IGA, la pianiste la plus aimée du Québec Alexandra Stréliski n’en est pas à sa première gig inusitée.

Sur le tableau indicateur au-dessus du court central, on annonce qu’elle sera en première partie de la finale de l’Omnium Banque Nationale. Une prestation qui marquera le point culminant d’un tournoi marqué par une météo en dents de scie.

Une météo à l’image de l’été d’Alexandra Stréliski, qui a traîné son piano au Festival international de jazz, au Festival d’été de Québec, au pied du Mont-Royal avec l’Orchestre Métropolitain avant de finalement atterrir dans un championnat de tennis. « C’est un été en montagnes russes avec quatre immenses choses, dont ma plus grosse foule à vie », résume la principale intéressée, qui déclarait récemment en entrevue s’habituer tranquillement à être bizarre.

Bizarre, peut-être, mais certainement bourrée de talent et convoitée aussi, à voir à quel point on se l’arrache partout.

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Une preuve – s’il en faut une – est certainement son passage, en juillet dernier, sur les plaines d’Abraham, où quelque 100 000 personnes, sa foule record, prenaient part à cette « grande messe d’introvertis », en compagnie de Sarahmée et Loud.

Un pari audacieux, puisqu’il s’agissait là du premier concert de musique instrumentale dans l’histoire du FEQ.

Après trois heures d’un show qui fera les annales du festival, l’artiste à la crinière luxuriante a même poussé l’absurde jusqu’à s’offrir une séance de bodysurfing.

Au-delà de l’exploit d’avoir dépoussiéré l’étiquette « néo-classique », cette artiste de renommée internationale (plus de 100 000 ventes de l’album Inscape, des centaines de millions d’écoutes dans le monde, huit Félix, 1 Juno et 1 Opus Klassik ) n’a pas la grosse tête pour autant.

Un euphémisme, à la voir répondre à mes questions (dont certaines un brin nounounes) avec un calme et une gentillesse déconcertants.

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Et qu’importe si elle va jouer une pièce devant la foule compacte réunie dans le défunt stade Jarry dans quelques minutes.

« Je ne me prépare jamais, je fonce dans le tas. Je fais du déni jusqu’à la dernière seconde. Ma gérante (sympathique Emmanuelle Girard) appelle ça “être Chez Denis” », souligne Alexandra, dont le CV impressionne, à l’aube de ses 40 ans.

Elle a beau clamer « n’avoir jamais été rigoureuse », ça ne veut pas dire qu’elle n’a pas travaillé fort pour devenir l’artiste que l’on connaît aujourd’hui. « Je joue du piano depuis que j’ai 6 ans. À 3 ans, j’achalais mes parents pour faire de la musique. J’ai travaillé très fort et j’en ai bavé », assure-t-elle avec aplomb.

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Si on l’avait d’abord pressentie pour devenir pianiste de concert, elle avoue se sentir davantage sur son X sur la scène du FEQ ou dans la loge d’un stade sportif qu’entre les murs de la Maison symphonique. « Comme je joue ma propre musique, je me donne plus de lousse et je respire », admet-elle.

Sa propre musique, parlons-en un peu.

En 2010, Alexandra enregistre son premier album, Pianoscope, qui devient vite un phénomène culturel, notamment lorsque la pièce Prélude se fraie un chemin dans la trame sonore du film Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée.

La carrière d’Alexandra est lancée, mais elle continue parallèlement à prendre des contrats en publicité, un milieu dans lequel s’illustre son père Jean-Jacques Stréliski, mais aussi sa sœur cadette Léa, aujourd’hui une humoriste bien établie.

Une grosse dépression précèdera la sortie de l’album suivant, Inscape (2018), le fruit d’une profonde introspection. « J’ai dû braver mes plus grandes peurs : la scène, l’avion et montrer mes émotions. J’ai littéralement fait un métier de ces trois peurs », confie la pianiste, qui ne cache pas avoir frappé un mur pour en arriver à un tel constat.

« Je savais ce qui se passait. Je me suis alors dit : “cesse de te mentir, ma grande”. »

Crédit photo: villedepluie

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Depuis Inscape, Alexandra Stréliski peut vivre à 100% de sa musique qui sera également reprise dans des films et émissions salués tant par la critique que le public (Sharp Objects, Big Little lies, Les Pee-Wee 3D, Demolition, Audrey est revenue).

Puis, en 2023, elle confirme son talent et change de mood avec Néo-Romance, un album plus lumineux qu’elle promène dans plusieurs salles à guichets fermés à travers la province.

Un parcours riche, qui constitue avec Lumières, the first kiss, Sous l’eau, Par la fenêtre de Théo et Revient le jour la trame sonore de ce reportage.

Et tout ça en gardant les pieds sur terre. « C’est sûr que ce soir, les gens ne sont pas là pour me voir. Je me vois comme une réchauffeuse de salle », badine à moitié la musicienne dans la loge du stade IGA.

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Sa gérante vient voir si tout se passe bien, si sa protégée veut quelque chose. Va pour un café, et la voilà déjà repartie.

Le cellulaire d’Alexandra Stréliski vibre sur le sofa près d’elle. Un texto de la comédienne Sophie Nélisse, l’informant être dans le stade (c’est pas elle qui namedrop, c’est moi qui ai demandé). Les deux amies se sont connues à travers leur collaboration dans le film La promesse d’Irena (2023) de Louise Archambault.

Comme introvertie, je lui demande comment elle gère le vedettariat. Elle a beau être d’une humilité désarmante, elle doit avoir du mal à faire un pas sans se faire reconnaître. Pour le bien de sa santé mentale, elle passe donc la moitié de sa vie à Rotterdam dans les Pays-Bas, où elle a des origines et – accessoirement – une amoureuse. Un mode de vie qui lui permet de faire un reset avant de rentrer au Québec, qu’elle compare à une sorte de village « Je vais dehors et je salue les gens. C’est drôle, ma vie. Je me fais féliciter quand je vais juste à l’épicerie m’acheter des céréales », admet en riant celle qui apprécie néanmoins ces marques d’affection à son endroit.

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Ces contacts avec le public – qu’elle limite pour sa propre protection – oscillent entre moments de pur bonheur et expériences humaines hyper profondes. « Deux sœurs qui ont perdu leurs parents dans des circonstances tragiques m’ont dit que ma musique leur a sauvé la vie. D’autres me racontent la faire jouer lors de funérailles ou pendant qu’un proche reçoit l’aide médicale à mourir », énumère notamment Alexandra, qui chérit néanmoins le privilège de pouvoir faire de telles rencontres, aussi éprouvantes soient-elles.

Si l’empathie est un trait de caractère de la pianiste, la fibre entrepreneuriale en est certainement un autre. « Je me suis toujours dit que je n’ai pas besoin de me trouver un métier, parce que j’allais m’en créer un », affirme celle pour qui être une artiste signifie créer à tous les niveaux. « Je pourrais mettre la même énergie créative dans une boulangerie. D’ailleurs, il en manque une bonne dans mon quartier (Mile End)! », estime la musicienne, qui met la main à la pâte dans toutes les sphères de sa carrière. « C’est important que les artistes connaissent leurs contrats et de comprendre nos ententes à l’heure du streaming. C’est rendu des cennes que tu vas chercher », décrit Alexandra, ajoutant que les temps ont bien changé depuis l’époque des ventes de disques. Aujourd’hui, c’est sur les planches que les artistes parviennent à gagner leur vie.

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D’ailleurs, elle doit se préparer à aller jouer dans moins de trente minutes. Pour cette fan de tennis, sa présence ici est avant tout un clin d’œil sympathique pour donner une saveur locale à cet événement international.

Alexandra et son journaliste favori (me semble).

Crédit photo: villedepluie

Avant de se quitter, la conversation dévie sur Céline Dion, qui a récemment fait une sortie pour dénoncer l’utilisation de sa toune du Titanic lors d’une activité partisane de Donald Trump.

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En bonne femme d’affaires aguerrie, Alexandra Stréliski refuserait elle aussi de voir sa musique récupérée à des fins politiques, peu importe le parti. « Le but de faire de la musique, c’est de créer des ponts, pas de diviser », tranche celle qui croit au dialogue, encore plus en cette ère de polarisation. « J’ai pris un Uber, l’autre jour et le chauffeur, originaire du Kenya, ne croyait pas en l’égalité homme-femme. J’avais des questions et je trouvais important d’entendre son point de vue », raconte la musicienne.

L’entrevue est finie, Alexandra m’accorde deux minutes pour quelques questions en rafales niaiseuses filmées au cell pour nos réseaux sociaux.

« Ça me fait pas peur! », lance la pianiste avec aplomb, avant de réaliser qu’une question du type : « Qui est ta Léa favorite entre Léa Stréliski et la Princesse Leia? » est nounoune en esti.

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L’artiste disparaît ensuite dans un couloir avec sa garde rapprochée, pour réapparaître quelques minutes plus tard sur le court central, où l’attend son piano.

Un piano et un public pas mal plus enthousiaste qu’elle ne le pense à en juger par les ovations de la foule en l’apercevant, puis un silence ému dès les premières notes de Burnout Fugue.

En quittant le stade après sa performance, j’ai croisé un joueur de tennis qui semblait pas mal important.

Je pense que c’était Andre Agassi.

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