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L’État islamique est-il un Frankenstein fabriqué par les médias?

Par
Julien Brault
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En 1774, un avocat allemand de 25 ans sort de l’obscurité en publiant un des plus importants best-sellers européens de son temps : Les Souffrances du jeune Werther. Notre avocat, Johann Wolfgang von Goethe, devient du jour au lendemain une célébrité internationale. Les éditions se succèdent, les traductions se multiplient (trois traductions concurrentes en français paraissent dans les années 1770) et le livre inspire même une mode vestimentaire, alors que les jeunes Européens se mettent à s’habiller comme les protagonistes du livre.

Bref, son livre est ce qui se rapproche le plus d’un média de masse, version 18e siècle.

Dans le livre, Werther (aucun lien de parenté avec les caramels) finit par se tirer une balle dans la tête avec un revolver à cause d’une peine d’amour. Rien de bien original. Sauf qu’on attribue rapidement au livre une vague de suicides commis par des jeunes à l’aide de revolvers. Se pourrait-il que des lecteurs du livre se soient suicidés par mimétisme?

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C’est la théorie qui a été retenue par de nombreux chercheurs qui ont marché dans les pas du sociologue David Phillips, qui a été le premier à asseoir sur des bases scientifiques la corrélation entre la médiatisation des suicides et le passage à l’acte. Depuis la publication de ses articles dans les années 1970, plus d’une cinquantaine d’études sur l’effet Werther ont été publiées.

Le phénomène se traduit non seulement par une augmentation des cas de suicides dans les semaines qui suivent la médiatisation d’une occurrence, avec un impact plus prononcé lorsqu’il s’agit d’une vedette (le suicide de Marilyn Monroe en 1962 avait causé une vague de suicides). De plus, la méthode utilisée dans les cas médiatisés (sauter d’un pont, pilules, etc.) semble elle aussi être contagieuse.

L’effet Werther est tellement connu aujourd’hui que la plupart des salles de presse couvrant les faits divers ont des politiques en la matière, ne serait-ce que pour éviter de multiplier les tragédies. Notamment, les médias ont tendance à taire la méthode utilisée lorsqu’ils couvrent un suicide et à ne pas leur accorder trop de visibilité, comme le recommande l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Or, le suicide est loin d’être le seul comportement humain violent susceptible d’être imité, lorsque médiatisé.

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Les tueurs en série ayant fait l’objet d’une couverture médiatique sensationnaliste, comme Jack The Ripper et Ted Bundy, ont chacun inspiré plusieurs meurtriers, qui ont agi en imitant leur modus operandi.

Ce qui est un peu plus nouveau, par contre, c’est la nouvelle tendance des tueries de masse, qui se passent souvent dans des écoles. À Montréal, on a eu Polytechnique et Dawson, mais aux États-Unis, le nombre de tueries dans des écoles semble augmenter de manière exponentielle depuis celle de Columbine en 1999.

Le problème, c’est que les chaînes d’information en continu et les sites web d’Information font leurs choux gras de ces tragédies, qui font l’objet d’une curiosité maladive de la part du public. Les moindres détails sur ce genre d’événements et sur la vie personnelle de leurs auteurs deviennent de véritables scoops, et permettent aux médias qui les sortent d’attirer des audiences massives.

Le problème, c’est que la couverture médiatique de la tuerie de Columbine, par exemple, a probablement fait plus de morts que la tuerie elle-même. Selon Mother Jones, 74 tueries ou complots pour commettre des tueries auraient été directement inspirés de celle de Columbine, seulement aux États-Unis. De ces 74 occurrences, 21 ont abouti à des véritables tueries, qui ont causé la mort de 89 personnes, en plus d’en blesser 126 autres. À titre de comparaison, la tuerie de Columbine avait fait “seulement” 15 morts et 24 blessés.

Selon des chercheurs américains qui se sont penchés sur le phénomène, 20 à 30 % des tueries de masse aux États-Unis auraient été inspirées par d’autres tueries.

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Vous voyez sans doute où je veux en venir. J’ai comme l’impression qu’un paquet de “terroristes” ayant passé à l’action en Amérique du Nord et en Europe n’ont pas tant été contaminés par une quelconque idéologie islamiste qu’inspirés par des attentats ultra-médiatisés.

Parce qu’ils sont souvent revendiqués par l’État islamique, ces attaques perpétrées par des imitateurs déséquilibrés sont souvent présentées par les médias comme des attentats terroristes islamiques.

Et cette multiplication des attaques soi-disant affiliées à l’État islamique en Occident exagère la puissance de l’organisation et alimente la peur du grand public par rapport à ce type d’attentats… de sorte que ces événements obtiennent une couverture médiatique grandissante. Et, de fait, suscite le mimétisme d’un nombre grandissant de détraqués, impressionnés par le caractère grandiose de ce type de crimes. Bref, c’est un cercle vicieux qui a peu avoir avec l’État islamique qui terrorise la Syrie et l’Irak ces temps-ci, et davantage à voir avec les médias occidentaux, qui terrorisent leurs pays respectifs en alimentant ce cercle vicieux.

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Très peu de médias prennent le temps de se pencher sur le phénomène, comme l’a fait le New York Times récemment, et encore moins ont adopté des politiques visant à minimiser l’impact de leur couverture sur la commission de nouvelles attaques. Tout au plus, certains médias français ont arrêté de publier les photos des auteurs d’attentats terroristes. C’est bien, mais il faudrait que les médias accordent beaucoup moins d’importance aux attentats terroristes.

Je tiens toutefois trop à la liberté de presse pour être en faveur d’une solution législative.

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Je pense toutefois que les médias, sans passer sous silence les attentats terroristes, devraient leur accorder 10 fois moins de couverture qu’ils le font aujourd’hui. Et si certains médias ne veulent pas s’autocensurer? Eh bien, je préfère vivre avec le risque d’être tué dans une attaque inspirée par les enculés de l’État islamique que de vivre dans une société où on ne peut pas dire ou écrire ce qu’on veut.

Après tout, le risque de succomber à une soi-disant attaque terroriste au Québec est probablement moins élevé que le risque de succomber à la foudre.

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