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C’est le gars qui passe toute une date à te parler de spiritualité parce qu’il a stalké ton album «Inde 2013» sur Facebook. C’est la fille qui, en entrevue, prétend comprendre l’algorithme Facebook. C’est le président qui dit qu’engager des transgenres, ça finit par coûter cher.
C’est le chroniqueur qui se prononce sur n’importe quel crisse de sujet. C’est la gourou santé qui jure que son jus de baies va te lisser la foune. C’est celui qui dit avoir frenché Caroline Dhavernas pour se rendre intéressant dans un party.
Les bullshiteux sont partout. On navigue parmi eux. Comment faire maintenant, pour les reconnaître, les comprendre et les déjouer (ou pour se guérir, mettons qu’on est Richard Martineau)?
Comprendre l’essence de la connerie.
Laissons le philosophe Harry G. Frankfurt nous guider…
Étudier la bullshit
Professeur émérite de philosophie à l’université de Princeton (anciennement enseignant à Yale, si vous voulez tout savoir), Harry G. Frankfurt est un renommé spécialiste de la philosophie morale. Constatant le manque de travail rigoureux effectué sur la bullshit, il pond un essai dans lequel il tente de théoriser la connerie et le baratin (les termes privilégiés dans la traduction française du texte). D’abord publié en 1986 dans le journal Raritan, l’essai devient, en 2005, On bullshit, un tout petit livre qui figurera durant 27 semaines dans la New York Times Best Seller list.
Pourquoi un tel succès? Parce que si on est tous conscients d’être quotidiennement confrontés à notre lot de conneries, on ne sait pas tellement pourquoi. Et si on crie «Bullshit !» quand un ami nous dit que ça se pourrait que Michael Phelps nage plus vite qu’un requin, on prend rarement le temps de se pencher sur l’effet pervers du baratin qu’on entend.
Quelle est la différence entre un menteur et un bullshiteux?
Avec On Bullshit, Frankfurt nous permet de comprendre l’essence de la connerie, en quoi elle diffère du mensonge et ce qu’ont à gagner les bullshiteux de ce monde. (Spoiler: une image améliorée de leur personne.)
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La connerie est plus dangereuse que le mensonge
D’abord, quelle est la différence entre un menteur et un bullshiteux? Selon Frankfurt, pour mentir, un menteur doit connaître la vérité et décider d’en faire fi. Le bullshiteux, lui, se contre-crisse de la vérité. À la rigueur, il ne la connaît même pas! «Est-ce que c’est Caroline Dhavernas que je frenchais ou quelqu’un qui lui ressemblait? Qu’importe! L’important, c’est ce que le monde va penser quand je vais dire que j’ai mis ma langue dans sa bouche.»
Ce que Frankfurt nous explique, c’est que l’essence même de la bullshit est «cette absence de tout souci de vérité, cette indifférence à l’égard de la réalité des choses.» Et ça, c’est épeurant! Si le menteur doit faire l’effort de connaître la vérité pour la cacher, le bullshiteux, lui, peut vivre sans s’informer. Il peut s’exprimer dans le seul but de nourrir ses propres objectifs. Et c’est ce qui amène le philosophe à écrire que: «Les conneries sont un ennemi plus grand de la vérité que ne le sont les mensonges.»
MINDBLOWN.
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Le bullshiteux est un imposteur.
L’essence du bullshiteux
Ok, on continue! Maintenant qu’on comprend l’essence du baratin, quelle est l’essence du bullshiteux? Frankfurt vous répondra: «L’imposture, et non pas la fausseté.»
Voilà! Le bullshiteux est un imposteur: «Dans un certain sens, il cherche toujours à dissimuler ses objectifs. Le baratineur et le menteur donnent tous deux une représentation déformée d’eux-mêmes et voudraient nous faire croire qu’ils s’efforcent de nous communiquer la vérité. Leur succès dépend de notre crédulité.»
Il faut se méfier. Il faut oser les remises en question. Il ne faut pas prendre pour acquis les conseils granos-sexuels de Gwyneth Paltrow.
Et pour dénoncer le baratineur, il faut comprendre sa démarche. Frankfurt poursuit: «Le menteur dissimule ses manœuvres pour nous empêcher d’appréhender correctement la réalité: nous devons ignorer qu’il tente de nous faire avaler des informations qu’il considère comme fausses. Au contraire, le baratineur dissimule le fait qu’il accorde peu d’importance à la véracité de ses déclarations: nous ne devons pas deviner que son but ne consiste ni à dire des vérités ni à les cacher.»
Pourquoi le baratin est-il aussi répandu?
Parlez-moi d’un drôle de rôle à jouer…
Pourquoi dire de la bullshit?
Ce n’est pas lourd à porter, toute ce baratin? Quand on maquille la réalité pour la plier à nos désirs, au quotidien, on ne finit pas par s’épuiser? Pourquoi on s’imposerait un tel fardeau?
Tout simplement parce qu’on nous encourage à parler de choses qu’on ne connaît pas. Et qu’on a tendance à répondre «VOLONTIERS!» à cette invitation.
Je passe le micro à Harry G. Frankfurt: «Pourquoi le baratin est-il aussi répandu? Le baratin devient inévitable chaque fois que les circonstances amènent un individu à aborder un sujet qu’il ignore. Ce genre d’écart est fréquent dans la vie publique, dont les acteurs sont portés à s’étendre sur des sujets malgré leur degré plus ou moins élevé d’ignorance. Des exemples très semblables naissent de la conviction très répandue dans les démocraties qu’il est de la responsabilité du citoyen d’avoir une opinion sur tout.»
Mindblown, encore.
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Avoir une opinion sur tout. Voilà. Je plaide coupable. Parmi mes milliers de statuts Facebook et autant de tweets; mes soirées chaudailles et mes discussions pseudo-intellectuelles, j’ai très certainement déjà parlé à travers mon chapeau. Et ce, sans même me soucier des faits. Je m’excuse. Je vais essayer de m’améliorer. (Si vous voulez le faire aussi, On bullshit est là pour vous.)
P.S. Je t’en veux pareil, Richard Martineau.
Pour lire un autre texte de Rose-Aimée Automne T. Morin: «L’estie de femme qui n’existe que pour le bonheur de l’homme».
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