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Tranche de vie : on me surnomme (assez fréquemment) le Grinch de Noël parce que je ne suis pas emballé à l’idée de chanter des cantiques, célébrer en famille et partager des souvenirs autour d’un sapin trônant fièrement au-dessus d’une crèche avec quelques bouts manquants, conséquence de plusieurs générations ayant joué avec les moutons et le p’tit Jésus avant de se faire dire que c’est fragile.
Bref, sans surprise, Noël n’est pas un monde fantasmagorique pour moi, mais je ne le déteste pas pour autant – contrairement à ce que me disent les gens qui se désolent de mon manque d’entrain vis-à-vis la programmation prévisible et ennuyeuse de Ciné-Cadeau.
Par contre, je dois l’avouer, ce n’est pas faute d’avoir essayé.
Au Cégep, en plus d’entreprendre la route vers ma vie adulte, j’emménageais à Montréal avec l’idée un peu farfelue et surréaliste de me réinventer, de me découvrir, d’offrir un backwash à ma tête qui était déjà en teintes de gris à l’époque.
Une des choses que je souhaitais accomplir était de me faire habiter par l’esprit des fêtes, de la nostalgie positive, de l’amour des traditions et des affaires convenues comme les films de Noël, Snoopy, la parade du Père Noël et les échanges de cadeaux.
J’ai fait ce que je pouvais pour m’abreuver de ce doux nectar festif qui se consomme en fredonnant Jingle Bells.
J’ai visionné une quantité de films de Noël, j’ai écouté des disques, j’ai acheté des sapins, vrais comme faux, j’ai magasiné sous la neige, j’ai siroté du chocolat chaud dans un marché de Noël, je me suis farci le Salon des métiers d’arts, j’ai offert un chaton comme cadeau à une amoureuse, j’ai visité des belles-familles, j’ai vécu un karaoké dans un bar le 24 au soir.
J’ai essayé, du moins je crois, de jouer le jeu, mais rien ne colle.
L’esprit des fêtes, la magie de Noël, ça ne se simule pas. Il n’y a pas d’opération divine comme dans le Noël des Muppets, où Scrooge finit par ressentir une envahissante chaleur dans son cœur à la vue d’un Tiny Tim qui lui arrache des larmes quand il meurt.
Moi aussi j’ai les yeux mouillés devant ce film, mais je ne suis pas transformé par la suite. L’émotion s’estompe quand le générique se pointe le bout du nez, comme les émotions se meurent quand on dit au revoir ou quand le sapin termine sa vie au chemin, entre deux sacs de poubelles troués par les chats du quartier.
Une psy m’a déjà dit, une fois, que je n’avais pas assez emmagasiné de capsules de bonheur plus jeune, que je n’avais pas de repères pour retrouver cette chaleur envahissante qu’un sourire partagé provoque. Au-delà de la psychopop agaçante derrière l’affirmation, il y a un peu de vrai dans tout ça.
Si l’esprit des fêtes n’était pas fort plus jeune, à l’âge où le Père Noël est un big deal, c’est difficile de le reproduire plus tard, ou pire, de le trouver pour la première fois.
C’est un chemin frustrant sur lequel on se perd, sur lequel on se sent exclu, différent, anormal. Ne pas être attendri par l’esprit des fêtes, ce n’est pas un acte volontaire, une réaction rebelle à la société capitaliste ou une revendication d’une différence identitaire pour se sentir spécial.
Ben non.
Être le Grinch, c’est un constat d’échec. Une incompatibilité. Une faille quand vient le temps de s’ouvrir à l’autre et de tendre la main et l’oreille. Le film avec Jim Carrey est assurément très agaçant, mais il a ça de vrai : l’hostilité envers l’autre cache souvent une frustration de ne pas faire « partie de la gang ».
L’esprit des fêtes ne se simule pas et ça n’aide pas de se faire dire qu’on est plate parce que décorer ça nous fait chier.
Appelons ça, pour le bien de la cause, du #GrinchShaming
On ne fait pas exprès, ce n’est pas mes glandes, ni une maladie, ni un handicap. C’est une absence, un trou, du vide – rien qui se comble avec des brillants et des guirlandes.
C’est pas faute d’avoir essayé … mais ça ne se simule malheureusement pas.
Pour lire un autre texte de Stéphane Morneau: « On a les politiciens qu’on mérite ».