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L’espoir entre les murs du centre jeunesse le plus rough du Québec
« À quel moment on cesse d’avoir de l’espoir? »
C’est par cette question aussi lucide que crève-cœur que le réalisateur Gabriel Allard clôt le cinquième et dernier épisode de la série balado Bienvenue à Cité-des-Prairies, produite par URBANIA en collaboration avec Radio-Canada.
Rassurez-vous, ce long et périlleux voyage au pays des jeunes contrevenants n’a rien de tragique, ni même de déchirant.
Au contraire même, puisque l’espoir nous accompagne à travers l’écoute de chaque épisode de cette plongée unique entre les murs du centre jeunesse québécois accueillant les cas de DPJ les plus complexes et les mineurs ayant commis les crimes les plus graves.
Une incursion née en marge de l’organisation de la Classique hivernale, un évènement annuel où, l’instant d’un match de hockey, les jeunes de Cité-des-Prairies (CDP) ne sont pas des criminels, des délinquants voire des meurtriers, mais juste des ti-culs qui s’amusent.
«Je suis rentré là avec une espèce de naïveté. Je n’avais jamais parlé à un jeune contrevenant de ma vie », raconte Gabriel.
C’est au départ ce qui a attiré le réalisateur sur place, loin de se douter qu’il consacrerait ensuite plusieurs mois à raconter l’histoire de CDP à travers les yeux d’Éric, Nazim, Kenny, Christian et Gretzky. Sans oublier les Kevin (Kevin Major et Keven Venne-Geoffroy), des intervenants qui ont servi de guide à Gabriel dans cet univers particulier.
C’est d’ailleurs eux qui ont travaillé de longs mois de l’intérieur pour convaincre leur employeur d’embarquer dans ce projet. « L’institution était frileuse au départ. On a finalement rencontré une dizaine de jeunes et on en a retenu cinq. Je suis rentré là avec une espèce de naïveté. Je n’avais jamais parlé à un jeune contrevenant de ma vie », raconte Gabriel, qui a roulé sa bosse comme réalisateur pour 21 Jours, La Bombe et T’es où Youssef?, dont il a d’ailleurs tiré une série en baladodiffusion saluée par la critique.
Un accès privilégié
Gabriel a d’emblée été étonné par la facilité avec laquelle les jeunes participants du podcast se sont livrés à lui. « Ils ont vu leur lot d’intervenants défiler dans leur vie, j’étais un parmi tant d’autres, mais je ne les gossais pas contrairement à certains adultes qu’ils côtoient et qui doivent faire de la discipline », explique Gabriel, qui a vu des agents en intervention incarner des modèles de pères cool et des intervenants faire figure de mères autoritaires.
Il note le caractère imprévisible des jeunes de CDP, qui peuvent te cracher dessus avant de te pleurer dans les bras la même journée. « Les adultes là-bas sont capables de développer des liens de confiance. On sent beaucoup de complicité entre eux et on trouve même parfois les jeunes chanceux. »
Chanceux. Ce n’est pourtant pas le premier mot qui nous vient à l’esprit en pensant à ces adolescents, dont la plupart sont issus de familles multi-poquées.
Chaque épisode de la série bousille d’ailleurs nos préjugés. Gabriel s’immisçait dans les activités des jeunes pour les découvrir sous un jour différent. C’est le cas lors d’une partie de Donjons et Dragons (épisode 3), qui donne lieu à des échanges pertinents sur les décisions que l’on prend dans la vie, comme des coups de dés.
Si le réalisateur a choisi de pointer la lumière dans ce monde d’ombre, il n’élude pas les aspects les plus rough : fugue, drogue, isolement, abandon, maladie, certains passages font mal à entendre.
C’est le cas lorsqu’un des ados évoque avec une candeur déstabilisante la prison comme une option « normale » après son passage à CDP.
«C’est sûr que la majorité de ceux qui sont là le sont à cause d’une carence quelconque. Il y a 150 jeunes à CDP et 150 raisons qui les ont amenés là-bas», constate le réalisateur.
Même chose pour cette partie de pêche avec Gretzky (épisode 5), un jeune né avec un diagnostic d’alcoolisme fœtal qui tombe entre les craques du système et se dirige tout droit dans la rue. « J’ai gardé des liens avec la mère de Gretzky et Nazim m’a dit qu’il ne s’était jamais ouvert comme ça. Je me suis beaucoup attaché à eux et je n’oublierai jamais ces cinq gars-là. Ce niveau de transparence m’a profondément touché », souligne Gabriel, lui-même père de deux enfants, qui a été confronté avec une réalité aux antipodes de la sienne. « C’est sûr que la majorité de ceux qui sont là le sont à cause d’une carence quelconque. Il y a 150 jeunes à CDP et 150 raisons qui les ont amenés là-bas », constate le réalisateur.
La série met également en lumière le travail des intervenants, qui doivent composer avec un sentiment d’échec permanent tellement ces jeunes peinent à s’en sortir. « Ils ( les intervenants) sèment des graines qui vont germer plus tard. Chaque année, ils croisent un jeune au centre d’achats ou ailleurs, qui va leur dire merci. Ça demeure très rare. »
Avec la sortie de ce balado, Gabriel Allard coupe donc symboliquement le cordon qui le reliait au projet qui l’a habité pendant près de six mois. « Je serais curieux de voir ce qui va se passer ensuite avec ces jeunes-là. Leur histoire future mériterait aussi d’être racontée, », résume Gabriel, qui aimerait au fond savoir si l’histoire finit bien.
Mais d’ici là, il leur souhaite tout le bonheur qu’ils méritent. «Je quitte en n’ayant aucune attente envers eux. Juste du respect et beaucoup d’espoir. »
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La série Bienvenue à Cité-des-Prairies est disponible sur l’application OHdio de Radio-Canada ou en ligne ici.