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Les vies (réelles et imaginées) d’Akim Gagnon

Les vies (réelles et imaginées) d’Akim Gagnon

Parler de dèche et de littérature autour d’une bière.

Par
Benoît Lelièvre
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La chanson War Ensemble de Slayer nous accueille derrière les portes du Macao, un débit de boisson un peu louche du Quartier chinois, à Montréal. Irritée, la tenancière de l’établissement nous dévisage, cigarette au bec et manteau d’hiver sur les épaules, prête à sortir s’enfumer les poumons. « Vous rentrez ici, là? Pour vrai? »

Euh… Oui?

Quelques minutes plus tard, Akim Gagnon, l’auteur des romans Le cigare au bord des lèvres et Granby au passé simple, se heurtera à la même consternation de la gérante, visiblement agacée de voir de nouveaux visages dans son bar. Si ça n’était de la bande sonore nostalgique (j’aime vraiment beaucoup Slayer), on se croirait au purgatoire ou sur une autre planète.

Le 19 mars prochain, la nouvelle voix de la classe ouvrière québécoise publiera son troisième roman, La dèche, aux éditions La mèche. Cette fois, Gagnon aborde la faillite personnelle, encore aujourd’hui un immense tabou dans les chaumières de la Belle Province.

Crédit : Marc Séguin & Éditions de La Mèche.
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Devenir le personnage de quelqu’un d’autre

« C’est pas grave de se rendre au bout de son argent. C’qui est grave, c’est d’y rester. »

Philosophe, l’auteur ne ressent ni honte ni culpabilité à aborder sa propre faillite personnelle, qui s’est produite à quelques détails près comme il la raconte dans La dèche. Ce nouvel opus nous entraîne dans une virée à Toronto où le protagoniste claque ses derniers 2000 $ avant de déclarer officiellement faillite le lundi suivant.

Plus près des sympathiques descriptions de virées outrancières du Cigare au bord des lèvres que des souvenirs fondateurs de Granby au passé simple, le nouveau roman d’Akim Gagnon présente un visage très familier à ses lecteurs, même si le ton y est souvent plus mature. Plus introspectif.

« C’est pas un tabou d’avoir fait faillite. Ce qui m’est arrivé, c’est la vie. Je me rappelle encore le regard de mes proches quand je leur ai annoncé, mais ça reste que c’est essentiellement une solution, et non un problème », explique-t-il.

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Gagnon précise que « le couteau à fiction » était plus affûté à l’écriture de La dèche et que même s’il se situe encore largement dans le territoire de l’autofiction, on ne doit pas tout y prendre au pied de la lettre. On y retrouve plusieurs visages connus, par exemple son frère Carl-Camille (aussi connu sous son nom d’artiste VioleTT Pi) et le peintre et écrivain Marc Séguin, qui signe aussi la couverture du roman.

Gagnon dédie un chapitre complet de La dèche à sa première rencontre avec l’artiste.

« J’avais pas vraiment d’attentes. Je trouve ça extrêmement violent d’avoir des attentes envers quelqu’un. Il y avait le Marc que je connaissais par son art et je l’ai laissé remplir le reste. J’ai été beaucoup surpris par son écoute. Il a une écoute très puissante. Il se rappelle des choses », raconte Akim Gagnon.

Chantre du réel qui puise son inspiration à même sa vie, Gagnon ne sent pas vraiment de responsabilité envers ses personnages. Ces derniers n’existent pour lui que dans les confins de ses romans. « Je veux pas rendre hommage ou causer du tort à qui que ce soit. Je veux juste raconter des histoires. On est tous le personnage de quelqu’un d’autre. Ça me dérangerait pas de me retrouver dans le roman de quelqu’un, tant que sa démarche est claire et que ça ne me porte pas préjudice, mettons! »

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Il se décrit néanmoins comme plus calme et rangé que son personnage rabelaisien. « J’en fais, des excès, là. Je carbure aux émotions fortes, mais c’est quelque chose que je fais beaucoup par moi-même. Ma principale dépense, dans la vie, c’est les spectacles. C’est ça qui me rend heureux », ajoute-t-il.

Photo : Ophélie Hellio
Crédit : Ophélie Hellio
Photo : Ophélie Hellio

Granby dans le rétroviseur

Je nous commande deux Corona. On se mettra pas chaud avec ça, mais les alternatives étaient nettement plus inquiétantes (Budweiser, Labatt Bleue et autres tord boyaux). Akim Gagnon s’empare de la salière sous le regard horrifié de notre hôtesse et verse quelques grains dans le goulot. « Voyons donc, pourquoi tu sales ta bière? Franchement. »

« Ben, pour que ça soit salé », lui répond-il placidement.

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Considérant qu’il se met régulièrement en scène comme un joyeux ivrogne doublé d’un inépuisable glouton, le véritable Akim Gagnon dégage un calme propre à ceux qui n’ont rien à prouver. « L’ivresse, c’est un combat que tu peux perdre, mais qui en vaut la peine. Si t’es capable de la dompter, c’est un feeling extraordinaire. »

Le succès a amené une certaine quiétude à l’auteur, mais le seul fait de passer de la réalisation à l’écriture aussi. « Je veux écrire toute ma vie. Ça me rend heureux et ça ne me donne pas d’anxiété. Si je suis aussi productif, c’est parce que j’ai peur que la machine ne reparte pas si elle s’arrête », confie Gagnon.

Même s’il trouve ça violent, La dèche vient avec son lot d’attentes. Fort du succès de Granby au passé simple (finaliste aux Prix des libraires en 2024), Akim Gagnon a maintenant l’attention du monde littéraire. « Une bonne partie de Granby se trouvait originalement dans Le cigare, mais j’ai voulu y dédier un livre parce que tout le monde qui a lu le premier me parlait juste du chapitre où je vais voir KISS avec mon père. »

Photo : Ophélie Hellio
Photo : Ophélie Hellio
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La tendresse et la vulnérabilité de son dernier roman lui ont non seulement valu un nouvel auditoire, mais auront aussi crédibilisé Le cigare au bord des lèvres. « J’te dirais que Granby a pas mal dédouané mes autres histoires. Les commentaires venant des gens qui ont lu Granby en premier sont plus compréhensifs. Comme si ma jeunesse expliquait mes excès. Mais tsé, pas tout est vrai dans Granby non plus, là. »

À vous de départager ce qui relève de la fiction et ce qui y est puisé dans le réel, mais Granby au passé simple n’a pas changé que la trajectoire de son auteur. Elle a aussi changé quelques vies. Sans hyperbole.

« Plusieurs personnes sont venues me voir pour me dire qu’elles ont recommencé à parler à leur père après avoir lu Granby et ça, je trouve ça très cool. »

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Gagnon s’empresse cependant d’atténuer sa remarque. « On croit qu’on est unique, mais on a tous le même père et la même mère. Que ton père s’appelle Paul ou Darth Vader, l’émotion est la même, et c’est ça qui m’intéresse, écrire l’émotion. »

Le Akim réel et le Akim imaginé sont deux personnes bien différentes dont les destins se croisent de temps à autre dans les pages de ses romans. La preuve? Pendant notre conversation, nous n’aurons consommé qu’une seule bière chacun avant de battre en retraite devant l’inexplicable regard désapprobateur de la gérante du Macao.

Pas d’arrêt dans un autre débit de boisson, pas de débauche impromptue un mercredi soir; on travaille tous les deux le lendemain. Le grind de la semaine de travail, y a pas plus réel que ça, mais ça n’empêchera jamais Akim Gagnon de transformer cette lourdeur en mondes merveilleux.

« La mémoire trafique bien les choses. On oublie tout ce qui est long et plate et au final, on se souvient juste de ce qui est important », conclut-il.

Photo : Ophélie Hellio
Photo : Ophélie Hellio
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