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Les verbatim extraordinaires de Guillaume Lambert: cette semaine, un père Noël
Guillaume Lambert est comédien et scénariste. Il est de nature angoissée et il adore entrer dans l’intimité d’autrui pour se rassurer sur ses propres inquiétudes. Les verbatim extraordinaires de Guillaume Lambert sont la transcription exacte d’échanges entre Guillaume Lambert et des gens qu’il trouve… extraordinaires.
À quelques jours de Noël, Guillaume a eu la folle idée de faire un verbatim avec un vrai père Noël. Malheureusement, ne parle pas au père Noël qui veut, et les secrets du métier féérique sont visiblement bien gardés. Après avoir essuyé quelques refus de la part de certains centres d’achats (« On est désolé, le père Noël est trop dans le jus », no joke), Guillaume est tombé sur Michel Huard, AKA le Père Noël chantant, un soixantenaire bien sympathique qui lui a dévoilé les coulisses de son emploi saisonnier.
La veille, après s’être brièvement présenté et lui avoir expliqué son projet, Guillaume recontacte Michel pour l’entretien enregistré.
20 décembre 2017
MH : Allô?
GL : Bonjour Monsieur Huard!
MH (imitant à la perfection le rire du père Noël) : Ho ho ho!
Guillaume rit de l’absurdité de la situation, déjà plus que satisfait de son idée de faire un verbatim avec un père Noël.
GL : Vous allez bien?
MH : Ben oui, ça va bien!
GL : Je suis content de vous parler, merci beaucoup d’accepter de vouloir me parler de votre métier. J’avais ben hâte, j’ai plein de questions.
MH : Ça me fait plaisir!
GL : Est-ce que vous m’entendez bien?
MH : Euuuuuh. C’est un peu loin, mais je t’entends.
GL : Oui, je suis désolé. Je dois vous mettre sur haut-parleur pour enregistrer. C’est une longue histoire. J’en suis rendu là avec la technologie.
MH : OK. C’est ben beau.
GL : J’ai contacté quelques pères Noël pour faire cet entretien-là, et je me suis heurté à certains murs. Rapidement, on me disait que c’était pas possible, on a rapidement décliné mon invitation, y’a un adjoint en marketing d’un centre d’achats qui m’a dit que « Malheureusement, il regrettait de m’informer qu’il n’est pas possible de faire de reportage avec aucun membre de l’équipe du royaume du père Noël. » C’est quand même formidable, de se faire dire ça. Ça m’a quand même faire sourire. Y’en a un autre qui a décliné mon entrevue parce qu’il allait sortir sa biographie bientôt. Je capotais! J’ai assez hâte de lire ça! C’est là que j’ai comme compris que l’univers des pères Noël, c’était tabou. On dirait qui faut garder le secret autour de l’univers des pères Noël de centres d’achats. Vous, avez-vous des règlements, des interdictions…?
MH : Moi? Non. Moi je sais que Steve t’a donné le OK pour que je te parle. Moi personnellement, ça me dérange pas du tout. Tu peux dire que je m’appelle Michel Huard pis que je suis le père Noël chantant.
(…)
GL : Entrons dans le vif du sujet. Comment ça fonctionne, « être père Noël », ça fait combien de temps que vous êtes Père Noël?
MH : Moi, c’est ma 3e année que j’ai commencé pour (*****)[1].
GL : Vous êtes un jeune père Noël.
Michel et Guillaume rient.
MH : Oui, je suis un jeune père Noël. Mais en trois ans, j’ai appris beaucoup avec les enfants. Ça, c’est sûr et certain. Je suis chanteur de profession. J’ai le « ho ho ho » pas mal assez fort, merci. Au début, les enfants, quand y’arrivent au village du Père Noël, y faisaient le saut. Y’a fallu vraiment que j’apprenne à modérer mes élans. Quand on fait l’arrivée du père Noël, c’est ben le fun, parce qu’i’a toujours deux pères Noël. Y’en a un qui est sur le toit du centre d’achats, pis moi je suis caché pendant l’animation, en bas. Je suis caché. Pis quand l’autre père Noël apparaît sur le toit, y’a à peu près 150, 200 enfants, pis y regardent toute le père Noël en haut. Pis du moment qui disparaît, moi je sors en bas. Ça, ça fait vraiment une bonne surprise… c’est vraiment la magie de Noël qui opère.
GL : Un peu comme Lady Gaga au Superbowl, quand a s’est jetée en bas du stade.
Ils rient.
MH : En tout cas. Pis moi à ce moment-là, je sors, je dis que je suis le père Noël chantant, pis je les fais chanter. Imagine 200 enfants qui chantent « Petit papa Noël », c’est vraiment plaisant. C’est sûr que cette journée-là, on est deux pères Noël. Pis aussi, y’a une Fée des étoiles. La Fée est importante… parce qu’un père Noël doit pas demander le nom des enfants ni leur âge… Le père Noël est supposé de savoir ça par lui-même.
GL : Ah…! Faque vous êtes de connivence avec la Fée des étoiles pour savoir le nom des enfants…!
MH : C’est ça. Pis moi, quand je rencontre l’enfant, je suis là « Allo! Océane! Comment ça va !!! T’as donc bien grandi! » Pis là, on fait à peu près une heure et demie, pour les 200 enfants qui passent. C’est une grosse journée.
GL : Pas le temps de niaiser. Envoye par là!
MH : Ben oui, pis une chance qu’on est deux pères Noël la première journée, parce que m’a te dire, après une heure… oh boy.
GL : Ah oui, hein?
MH : Y commence à faire chaud dans l’habit.
GL : Le père Noël a chaud dans le costume!
Ils rient.
MH : Faque là, je me lève pis je dis aux enfants : « Bon, là, le père Noël, y va retourner dans le Nord, parce qui faut qu’i’aille chercher des cadeaux encore… Y va revenir dans 5-10 minutes! Soyez pas inquiets! » Là, je rentre en dedans, pis c’est l’autre père Noël qui arrive. Pis y continue ma run. Ça, c’est pour la première journée, celle de l’arrivée du père Noël. Les autres journées, je suis tout seul, pas de deuxième père Noël, pas de Fée des étoiles.
(…)
MH : Bon mettons, là, les bébés.
GL : Oui.
MH : L’an passé, y’avait un bébé de 5 semaines. C’est tout petit ça là. Eux autres, c’est simplement une photo avec les parents. Ça, c’est pas difficile. Ça se fait très bien. Pis là, y’a aussi les 1 an, 2 ans. Là, je les checke. Eux y viennent s’asseoir pis là tu vois qu’ils paniquent, pis y veulent pas du tout s’asseoir sur le père Noël. À ce moment-là, je me sers des parents pour faire la photo. Je demande à la madame ou au monsieur de s’asseoir sur le bras du trône. Moi je pars, je fais ba-bye à l’enfant, pis quand l’enfant est rassuré, je m’en vais en arrière du trône, pis c’est à ce moment-là qu’on prend la photo.
GL : Avez-vous déjà fait une gaffe en tant que père Noël?
Michel rit de bon cœur.
MH : Ben comme on dit, un moment donné, j’étais en arrière du trône justement, pis j’ai raté le step, pis j’ai vraiment planté dans le sapin.
GL : Vous êtes tombé à terre?!?
MH : Ah oui.
GL : Le père Noël a pris une débarque. Mon Dieu que c’est drôle!
MH : Ah! Complètement à terre dans le sapin.
GL : Le sapin est-tu tombé aussi? Je veux tout savoir de cette anecdote. Avez-vous perdu la perruque, la barbe?
MH : La perruque était encore là, mais disons qu’était croche un peu.
(…)
GL : Comment on devient père Noël? Comment c’est arrivé?
MH : Moi je suis un gars de public. Je fais de la chanson. Pis un moment donné, j’ai vu une annonce dans le journal, comme quoi ils avaient besoin d’un père Noël.
GL : C’était vraiment une offre d’emploi! Pas de bouche à oreille. C’était une vraie job!
MH : Oui, oui, oui, oui, oui, oui! C’est une compagnie qui te paye. C’est un poste temporaire pour a période de fin novembre au 24 décembre.
GL : Pis entre pères Noël, est-ce que vous vous connaissez bien? Est-ce que vous échangez des anecdotes?
MH : Euh. Non. On se connaît pas. Moi, je les connais pas.
GL : Est-ce que vous avez le même costume? Est-ce qu’on vous le prête, le costume?
MH : Non, moi, j’ai acheté mon propre costume, parce que je trouve que c’est vraiment important d’avoir un beau costume en tant que père Noël.
GL : Hum hum.
MH : Moi, il m’a coûté 500 $, mon costume. Y’é très propre, la barbe, toute. T’as vu la photo.
GL : Votre costume est magnifique.
MH : Ça aide à se mettre dans le personnage. Parce que faut toujours que t’aies de l’énergie. Tu peux pas te permettre de pas avoir d’énergie : t’es le père Noël. Faut que les enfants soient émerveillés. Ça passe beaucoup par le costume, pis l’énergie que tu y mets.
GL : Pis on prend ça où, un costume de père Noël?
MH : Ah! Moi, je l’ai acheté dans une… je sais pas comment ça s’appelle. J’ai acheté à Montréal dans un genre de… Tsé, les places où y louent des costumes d’Halloween, mais à l’année. Y’en vendaient, là.
GL : Faque, c’est de votre propre initiative, une fois que vous avez décroché l’emploi, que vous êtes allé vous acheter votre propre costume de père Noël à Montréal!
MH : Oui. Moi, je voulais mon propre costume, je veux pas mettre le costume de l’autre père Noël. C’est mon costume à moi. Le centre d’achats, eux autres, y nettoient le costume toutes les semaines.
GL : Pis comment s’est déroulée l’entrevue pour la job? Vous êtes arrivés, vous avez eu un appel, vous avez rencontré Steve… pis là?
MH : C’était pas Steve dans le temps, Steve, y’é nouveau de cette année, c’était Valérie qu’a s’appelait. J’ai juste dit à Valérie que je voulais faire le père Noël. L’entrevue s’est très bien passée.
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Michel dans son costume de père Noël.
La femme de Michel s’en mêle.
Femme de Michel (au loin) : Party Expert.
MH (à sa femme) : Quoi?
Femme de Michel (au loin) : Au Party Expert.
MH : Ah! Oui. C’est ça, c’est au Party Expert qu’on a acheté le costume.
GL : Là, si je comprends bien, je viens d’entendre la mère Noël en arrière?
MH : Oui c’est ça! A l’a déjà fait la Fée, également.
GL : Est-ce qu’on devient automatiquement la mère Noël lorsqu’on sort avec le père Noël?
MH : Ben oui! C’est sûr!
Tout le monde rit, incluant la femme de Michel.
(…)
GL : Une journée typique de père Noël, ça commence à 8 heures, pis ça finit à 5 heures?
MH : Non. Cette année, y’a moins d’heures. On y va avec les fins de semaines, le samedi, le dimanche. Pis là je fais aussi les jeudis et les vendredis. Au milieu de la semaine, y’en a pas de père Noël. On a raccourci ça un peu, parce qu’un moment donné, on s’est rendu compte qu’on donnait trop de temps, pis qu’i’avait pas assez d’enfants. On était trop longtemps arrêté à rien faire.
GL : Y’a tu des temps morts, de temps en temps?
MH : Pas cette année! On a moins d’heures, faque on sait que le monde vont venir.
GL : Pis vous avez quel âge, Michel?
MH : Moi j’ai 66 ans.
GL : Pis les prénoms des enfants qui reviennent le plus souvent cette année?
MH : Définitivement Océane chez les filles et Félix chez les garçons. Ça revient beaucoup, ça.
GL : Est-ce qu’i’a des enfants qui sont moins sympathiques?
MH : Ben là, oui. Un moment donné, y’a un petit gars de 9 ans qui est arrivé. Y croit pu au père Noël, pis sa seule idée, c’était de me tirer la barbe pour montrer que j’étais pas le vrai père Noël. Pis là, y’é arrivé avec sa petite sœur, qu’i’a 4 ans, 5 ans. Elle, a croit encore au père Noël. Là, y s’en vient, y me tire la barbe pis y dit devant tout le monde : « je le savais que t’étais pas le vrai père Noël ». Là, je le regarde pis j’y dis : « toi là, viens icitte ». J’y parle dans l’oreille, j’y dis « es-tu capable, pour ta petite sœur, de croire encore au père Noël ». Là, y’a dit : « OK, correct, m’a le faire. »
GL : Avez-vous d’autres anecdotes?
MH : Y’a une madame qui doit avoir 50 ans, mais qui a un quotient intellectuel d’un enfant de 7 ans. Faut que t’agisses exactement comme si c’était un enfant. C’est pareil! Tu y donnes un petit toutou pis est contente. Pis l’autre fois, la fille qui avait le cancer. Elle est là, pis sa demande spéciale c’est de pu être malade, c’est d’avoir la santé. Moi, je mets ça dans l’univers. « Le père Noël va essayer d’arranger ça ». Pis l’autre qui veut que son papa et sa maman reviennent ensemble… Des fois, c’est pas évident.
GL : C’est très touchant. Vous faites du bien au monde. En quelque sorte, vous avez une responsabilité envers ces gens-là. Vous les faites rêver, vous leur donnez de l’espoir… C’est beau.
MH : Faut que tu restes toujours « énergie ».
(…)
GL : Dans une journée typique de travail, vous voyez combien d’enfants?
MH : Je dirais une cinquantaine. … on prend une heure pour le souper. … l’entrevue dure environ une minute et demie. Une cinquantaine, c’est plausible.
GL : Est-ce qu’i’a des moments où vous écoutez pu? Des moments plus longs que d’autres?
MH : Ben c’est plus après une heure, je commence à avoir chaud. Là, je dis aux lutins qui travaillent avec nous autres : « Va fermer la barrière ». On recommencera dans 15 minutes. Pis là, les parents chialent. Y’a du monde qui ouvrent la barrière pis qui passent pareil. Ça, ça me frustre un peu. Ben tsé, les parents attendent 20 minutes avant de rencontrer le père Noël. Pis là, des fois, quand y’arrivent, la mère a pogne le petit pis a le met sur le père Noël. Ça, j’aime vraiment pas ça. Mais faut respecter chaque famille. Pis t’en as de toutes les sortes. T’as toutes sortes de parents, pis toutes sortes d’enfants. Faut accepter les gens comme qui sont. Pis ici, y’a un peu de familles espagnoles, y’a des familles anglophones un peu. Faut que je m’adapte! Je me suis fait un petit genre de papier anglais/espagnol. Pour être capable de répondre…
GL : Ah oui hein! Le père Noël est capable de répondre en espagnol!!! Je suis impressionné!
MH : Ben oui! (avec un accent francophone) Muy bien! Muy Bien! Muy bien señor !
Guillaume éclate de rire.
(…)
GL : Avec la folie du temps des Fêtes, les gens sont parfois plus agressifs. Des fois, paradoxalement, ça fait sortir le pire d’eux.
MH : Moi, je suis pas là pour remettre le monde a leur place. Parce que le père Noël, c’est de l’amour qui faut qui donne.
GL : C’était un grand plaisir, Michel. Merci encore de m’avoir donné de votre temps. Joyeuses Fêtes!
MH (jouant au père Noël) : Ah ben, je suis ben content! HO HO HO! Bonne journée! Joyeuses Fêtes!
Guillaume éclate de rire et raccroche, le sourire aux lèvres.
Joyeuses Fêtes aux lecteurs, les verbatim reprendront quelque part en janvier.
[1] Afin de respecter un tant soit peu la magie des Fêtes, Guillaume, Michel et Steve ont choisi de ne pas mentionner le centre d’achats pour lequel Michel travaille.
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