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Les vaccins prennent la rue

Pour une rare fois, les personnes en situations d’itinérance passent en priorité.

Par
Hugo Meunier
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« Mon père est mort de la COVID à 85 ans et c’était une force de la nature, alors on n’a pas eu besoin de me convaincre ben ben…», raconte Pierre Desjardins, quelques minutes après avoir reçu son vaccin dans une clinique patentée sur la patinoire de l’aréna du YMCA Hochelaga-Maisonneuve, convertie depuis août en refuge où s’entassent chaque nuit quelque 150 personnes en situation d’itinérance.

«Mon père est mort de la COVID à 85 ans et c’était une force de la nature, alors on n’a pas eu besoin de me convaincre ben ben…», raconte Pierre Desjardins

Comme M. Desjardins, des dizaines de pensionnaires du refuge géré par l’organisme CARE/Montréal ont levé la main pour recevoir la première dose du vaccin de la compagnie Pfizer, accueillie comme une bouffée d’air frais dans le milieu rough de l’itinérance. « Ici, c’est un des pires endroits pour contracter le virus, il y a une forte concentration de gens qui ne respectent pas toujours les règles sanitaires », constate M. Desjardins, en train de feuilleter son journal dans la « salle d’attente » improvisée devant une bande. Le sexagénaire devra y rester quinze minutes afin de s’assurer qu’il ne développe aucun effet secondaire, avant d’obtenir son congé.

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La campagne de vaccination qui s’amorce cette semaine constitue une rare bonne nouvelle au sein de cette population vulnérable et souvent laissée pour compte. La pression des organismes et de la Ville sur les autorités sanitaires auraient apparemment contribué à placer les sans-abri plus haut dans les rangs de priorité.

Une opération qui survient dans la foulée du décès tragique de Raphaël André, cet homme retrouvé sans vie dans une toilette chimique dans la nuit de dimanche, à quelques mètres d’un refuge où il avait ses habitudes et qui avait récemment fermé ses portes, notamment en raison d’une éclosion de COVID-19.

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Cette éclosion n’est évidemment pas étrangère à cette offensive de vaccination. La directrice régionale de santé publique a annoncé la semaine dernière en point de presse qu’un premier lot de 560 doses sera d’abord réservé à des « endroits prioritaires », c’est-à-dire où des éclosions ont eu lieu.

Depuis décembre, la santé publique de Montréal a recensé environ 115 cas chez les personnes en situation d’itinérance et une cinquantaine d’employés de ce milieu.

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Parmi la dizaine d’endroits désignés par la santé publique, 115 minuscules fioles ont ainsi été distribuées au refuge/aréna du YMCA, où une mini-éclosion a été contenue rapidement ces dernières semaines. « C’est rassurant de voir qu’on est considéré comme prioritaire », se réjouit le directeur et fondateur de CARE, Michel Monette, présent pour superviser la campagne au refuge. Une grosse journée pour M. Monette, qui revenait à peine d’une visite avec la mairesse d’un autre refuge d’envergure (112 lits) qui ouvrira ses portes au plus tard lundi prochain au centre Pierre-Charbonneau.

Le nouveau refuge qui ouvrira ses portes au plus tard lundi. Photo : courtoisie.
Le nouveau refuge qui ouvrira ses portes au plus tard lundi. Photo : courtoisie.
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Suite à la mort de Raphaël André, la mairesse a d’ailleurs exhorté le gouvernement Legault à exempter les itinérants de l’application du couvre-feu. « C’est tellement triste…», souligne M. Monette au sujet du quinquagénaire, qu’il a maintes fois côtoyé dans le passé.

Son téléphone sonne. Au bout du fil, quelqu’un du CIUSSS de l’Est l’enjoignant de faire vacciner son personnel cette semaine, puisque les doses pourraient déjà manquer la semaine prochaine.

Thomas, un des nombreux agents de sécurité en poste au refuge, a aussitôt saisi l’occasion. « Je ne le savais même pas ce matin, on m’a demandé il y a une heure si je voulais être vacciné. Personnellement je n’ai pas peur du virus, mais ça va rassurer mon entourage», explique le jeune homme.

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Évidemment, personne n’est obligé de se faire vacciner, une décision que respecte Michel Monette. À vrai dire, il s’inquiète même un peu plus à court terme du comportement de ceux qui se feront vacciner. « Ma crainte, c’est ce que ça créé un faux sentiment de sécurité et que les gens retirent leur masque maintenant qu’ils ont reçu leur première dose », confie le directeur, qui a depuis le début mis en place un protocole très strict au refuge de la rue Hochelaga pour éviter une propagation globale, avec succès jusqu’ici.

La deuxième dose du vaccin est prévue dans environ 90 jours, ici même probablement. Pour l’heure, la première phase se déroule rondement souligne une des infirmières-cliniciennes en dépendance itinérance du CIUSSS de l’Est dépêchées sur place. Mais attention, le vaccin n’est pas infaillible prévient Nollween, qui vient tout juste de piquer M. Desjardins.

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« Il n’empêche pas d’attraper la COVID, mais il réduit les risques de développer des troubles plus graves », renchérit la jeune femme, au sujet du vaccin.

Tout près, une de ses collègues en profite pour décocher une flèche au gouvernement. « Nous on vaccine des gens, mais on n’a pas le droit de l’avoir [le vaccin], c’est très injuste! Des pharmaciens l’ont eu, des archivistes médicaux même, mais pas nous, qui sommes pourtant en première ligne », peste l’infirmière-clinicienne, en train de préparer la dose pour le prochain patient.

«Je voulais le faire puisque je suis à risque, je fais de l’asthme. Je pense qu’avec ça, je serai immunisée.»

Dans la salle d’attente à l’extrémité de la patinoire, Bianka vient également de recevoir son vaccin. « J’avais mis mon nom sur la liste la semaine dernière et on m’a annoncé ça ce matin », explique la dame, qui habite dans un autre refuge affilié au CARE de l’autre côté de la rue. « Je voulais le faire puisque je suis à risque, je fais de l’asthme. Je pense qu’avec ça, je serai immunisée », croit Bianka.

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Un sentiment partagé par Eveline croisée un peu plus loin, qui habite son cubicule depuis août dernier. « Mon père et mon frère vivent à Napoli (Italie) et sont morts de la COVID, ça me soulage beaucoup », admet Eveline, une grande lectrice justement en train de lire trois ouvrages en même temps, dont le dernier Katherine Pancol. « J’espère juste que les gens ne vont pas arrêter de faire attention parce qu’ils sont vaccinés, du moins avant le rappel », ajoute-t-elle.

«C’est comme un ordinateur, s’il fonctionne bien pourquoi tu voudrais y faire une mise à jour.»

Un peu en retrait, François observe le branle-bas du bout de la patinoire, le visage long. « C’est triste hein? », soupire-t-il, ajoutant refuser pour le moment de recevoir son vaccin. En fait, François préfère attendre un peu et voir s’il y a des effets secondaires ou des résultats tangibles avant de relever sa manche. « C’est comme un ordinateur, s’il fonctionne bien pourquoi tu voudrais y faire une mise à jour », illustre-t-il, loin d’être convaincu des bienfaits du vaccin, à l’instar de plusieurs si je me fie à mon fil Facebook. « Ça reste encore un mystère, une expérience même…», tranche-t-il.

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Dehors, Michel Monette et deux intervenantes de rue font une démonstration de l’efficacité des « igloos » fraîchement reçus à un journaliste de Global.

Dans le cadre d’un projet-pilote, l’organisme a reçu une vingtaine de ces abris en fonte résistant au feu, apparemment supérieurs aux tentes.

« C’est simple, facile et sécuritaire. Nos travailleurs de rue vont trouver des candidats et leur distribuer. Si ça fonctionne bien, on va en commander d’autres », explique M. Monette au collègue du réseau anglophone.

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Avec ces nouveaux igloos, les vaccins, le nouveau refuge, les cas de COVID en baisse, le départ de Trump et le soleil qui brille au-dessus de nos têtes, j’avais presque l’impression que des beaux jours étaient enfin à l’horizon, même pour pour les gens de la rue.