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Les travailleuses du sexe et la COVID-19 : encore plus vulnérables

Les contacts physiques directs maintenant plus dangereux et restreints, les travailleuses du sexe craignent de se retrouver sans ressources pour les aider lors de cette crise sans précédent.

Par
Mélodie Nelson
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Même si les travailleuses du sexe doivent payer des impôts comme tous les citoyens, elles ne sont protégées par aucune assurance au Canada. Elles ne savent pas si elles pourront toucher l’aide financière gouvernementale annoncée, en lien avec les perturbations provoquées par la COVID-19.

Depuis un mois déjà, plusieurs clients de Grace*, une escorte indépendante, lui demandent la provenance du reste de sa clientèle et si elle a voyagé récemment. La situation change dramatiquement chaque jour, avec des milieux de travail qui ferment et des ressources communautaires comme Vénus, à Laval, qui ne peuvent plus offrir de rencontres ou de distribution de matériel, mais qui effectuent encore des livraisons de condoms, sur rendez-vous.

Des lieux de travail qui ferment et du Purell en pourboire

Le 13 mars, c’était le Cabaret Kingdom, à Montréal, qui annonçait une pause de deux semaines, « étant donné les risques pour nos employés(es) et [la] clientèle variée. » Pat Lemaire, le président de l’entreprise, admet que cet arrêt de travail, « pendant la saison des spring breaks » sera contraignante financièrement pour son personnel, mais il revendique la prévention, préférant se montrer responsable, parce que la santé des clients, des employées et de leurs familles le préoccupe davantage. Les agences d’escortes ferment les unes après les autres et les escortes indépendantes annoncent sur les réseaux sociaux leur isolement.

Andrea Werhun, une autrice, actrice et danseuse en Ontario, montre dans ses stories Instagram des collègues qui reçoivent du désinfectant en pourboire, et raconte qu’un homme lui a proposé 100 $ pour un french kiss avec elle.

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Andrea Werhun, une autrice, actrice et danseuse en Ontario, montre dans ses stories Instagram des collègues qui reçoivent du désinfectant en pourboire, et raconte qu’un homme lui a proposé 100 $ pour un french kiss avec elle. Il est allé jusqu’à affirmer qu’il n’avait pas le coronavirus, utilisant le même genre d’argument que ces hommes qui veulent baiser avec des escortes sans condoms, clamant qu’ils n’ont pas la chlamydia. Werhun l’a traité de prédateur.

Un mois avec un inconnu et beaucoup d’extras

Grace* a pensé augmenter ses prix et offrir un « spécial quarantaine », un mois qu’elle passerait seule chez un client, à lui cuisiner des brunchs, à lui donner des cours de yoga et à le masser. Elle ne l’a pas fait, redoutant tomber sur un homme avec qui elle ne s’entendrait pas bien, coincée en isolement dans une situation moins idéale que celle qu’elle avait en tête. « Je m’étais imaginée dans une maison très propre, dépouillée de tout extra, avec des réserves de nourriture, de café, avec un gars riche à coller. » Sa famille n’habitant pas au Québec, Grace se retrouve seule, et angoissée. « J’ai proposé à un voisin de promener son chien. Je suis aussi sur un groupe d’entraide pour les travailleuses du sexe qui font face aux conséquences du coronavirus. »

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« Comment faker l’orgasme sans faire peur à mon chat ? »

Sur ce groupe récent, des travailleuses du sexe invitent celles qui manquent de condoms, de lubrifiant, ou qui voudraient une caméra pour s’essayer comme modèle webcam, de leur faire signe. Une escorte demande de l’aide pour des repas, car elle ne peut sortir de chez elle, et l’absence soudaine de revenus lui retire l’option de se faire livrer une épicerie ou de la pizza trois fois par jour.

«Quand je suis avec des clients, je leur demande de me parler de ce qu’ils aiment. Ils aiment que je les écoute, que je leur donne de l’attention. J’écoute leur journée sans bâiller. […] faudra que je trouve comment faker l’orgasme sans faire peur à mon chat.»

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Des conseils sont aussi donnés aux travailleuses du sexe qui tentent de se reconvertir en professionnelle sans contact direct avec des clients. « Quand je suis avec des clients, je leur demande de me parler de ce qu’ils aiment. Ils aiment que je les écoute, que je leur donne de l’attention. J’écoute leur journée sans bâiller. Si je commence à faire du téléphone érotique, je ne pourrai pas faire “how was work today babe” ? Faudra que je trouve comment faker l’orgasme sans faire peur à mon chat », m’écrit Anémone*, une danseuse à Montréal.

Un réseau d’entraide international

L’actrice Arabelle Raphaelle a généreusement fait une série de vidéos diffusés sur Twitter, dans lesquels elle explique aux travailleuses du sexe comment offrir des services en ligne, sur des plateformes comme Onlyfans, Niteflirt, Manyvids et Clips4sale.

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Gizelle Marie, une danseuse et militante pour les droits des travailleuses du sexe, a reconnu sur Instagram que plusieurs travailleuses du sexe ne veulent pas nécessairement se montrer sur vidéo ou photos, et elle a demandé des suggestions de la communauté. Une travailleuse a proposé de la domination en ligne et a souligné le soutien de l’organisation Black Domme Sorority. Une autre propose d’aller sur le site Chaturbate, qu’elle trouve assez utile pour les personnes trans et d’identités variées. Une travailleuse a indiqué qu’elle s’ouvrirait une page Onlyfans où elle ne montrerait que ses pieds, espérant y attirer une clientèle de fétichistes.

Sur Instagram encore, une dominatrice de Portland, Rosecityropequeen, se préoccupant de la santé mentale des personnes plus marginalisées, a annoncé qu’elle offrait gracieusement à six personnes de la communauté LGBTQ, dimanche dernier, une séance de Shibari, qu’elle voit comme une forme possible de méditation, pour soulager leurs angoisses.

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Des dons demandés

L’organisme Stella, qui vient en aide à des travailleuses du sexe à Montréal, reconnait avoir besoin d’eau de Javel, de lingettes Lysol et pour bébés, ainsi que de tout type de désinfectant, afin d’en distribuer aux personnes qui en ont besoin. Pour différentes raisons, plusieurs travailleuses à contact intime continuent de travailler.

Léa*, une masseuse à domicile, espère continuer à avoir des clients, qu’elle recevrait chez elle. Elle annonce qu’elle a déjà un appartement rempli de gants de protection et des produits nettoyants dignes de ceux qu’on trouve en hôpitaux. « Je demande aux clients de ne pas venir s’ils ont voyagé, s’ils pensent avoir un rhume ou une autre infection, et ils se lavent les mains et prennent leur douche avant tout soin de ma part. C’est épeurant. Je connais les risques plus élevés de contamination. Je n’embrasse pas et je surveille mes symptômes. Je n’ai plus rien si je ne travaille pas. L’hiver a été difficile, je comptais sur le printemps pour pouvoir souffler un peu. »

«Je n’embrasse pas et je surveille mes symptômes. Je n’ai plus rien si je ne travaille pas. L’hiver a été difficile, je comptais sur le printemps pour pouvoir souffler un peu.»

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La dominatrice Mistress Matisse recommande aux clients, s’ils ont une professionnelle préférée et que leur revenu est stable et sécurisé en ce temps de pandémie, d’offrir un prépaiement, pour une future séance. Des escortes ont aussi remercié des clients qui leur ont fait des dons, sans rien demander en retour, car ils reconnaissent leur vulnérabilité. Grace, elle, propose à ses clients habituels de lui faire parvenir des chèques cadeaux d’entreprises locales, qu’elle pourra utiliser pour des achats pratiques.

Bref, il faudra faire appel à l’empathie et à la solidarité sociale pour soutenir les personnes les plus affectées par la pandémie, tout en espérant une quelconque aide gouvernementale.