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Mercredi, c’était le lancement de LibTv, la première chaîne de contenu exclusif pour mobile au Canada. En tout, ce sont huit nouvelles émissions qui ont été lancées pour cette chaîne. Des émissions de téléphone. Des émissions de quelques minutes, optimisées pour un écran de quelques pouces.
Il est trop tôt pour dire si l’aventure sera un succès, mais on peut déjà noter un changement dans les intentions. Patrick Huard (c’est une chaîne de Videotron), André Sauvé, les Denis Drolet : il ne s’agit pas d’une petite chaînette de webtélé indépendante. On est dans les ligues majeures.
Je m’étais toujours dit que si on mettait une grosse vedette, genre Éric Salvail, dans la webtélé, le public suivrait. Le grand public, je veux dire. Celui qui écoute encore la télé dans la télé. Ma mère, mettons, qui m’appelle pour me demander «c’est qui ça, Silverlight? Pourquoi y veut pas que j’écoute mes nouvelles sur mon portable?»
Quand j’imagine Éric Salvail dans mon ordinateur, pressée de voir arriver une nouvelle ère, je peux presque annoncer la mort imminente de la télévision. Puis, des gens plus réalistes (ou plus attachés à la télé), sont toujours là pour me rappeler qu’avant que ma mère ne syntonise AppleTV pour regarder ses nouvelles, Bernard Derome aura eu le temps de prendre sa retraite quatre fois.
J’adore la télévision. Mais j’aime aussi la technologie, et je capote quand je vois ce qu’on peut faire avec un nouveau médium. J’aurais envie de tirer les vieux par la main pour qu’ils comprennent qu’ils peuvent maintenant regarder leur beau programme à l’heure qu’ils veulent. Je me choque quand ma dentiste me dit que son fils a gagné la deuxième place à VJ recherché, ce qui le condamne à ne faire que de la webtélé. C’est pas rien, de la webtélé!
C’est comme quand je dis à ma mère que j’écris pour l’Internet. Elle se demande encore comment je gagne ma vie.
Les temps changent.
Hier, comme tout le monde, j’ai appris avec tristesse la fin de 275-Allo. Aussi vrai que ma mère n’écoute pas encore Patrick Huard sur son portable (ça pourrait l’intéresser, il incarne un psy un peu débile), apparemment, les jeunes n’écoutent plus la radio.
Je suis triste.
J’adorais 275-Allo, la dizaine de fois où je tombais dessus par année. J’écoutais avec une grande admiration l’habile Annie Desrochers discuter avec les enfants de 6 à 12 ans de sujets tantôt curieux (pourquoi les familles pauvres ont plus d’enfants) tantôt sérieux (je n’ai pas d’amis à l’école). Dans mon temps, c’est Dominique Payette qui animait cette émission que j’avais autant de plaisir à écouter au temps de la regrettée Valérie Letarte.
Je me souviens de moments précieux en voiture avec ma mère (encore elle), où nous écoutions les interrogations des jeunes de mon âge et où nous pensions à des questions que je pourrais poser à l’émission. Puis j’appelais : «Bonjour, j’aimerais savoir pourquoi les feuilles des arbres sont vertes. Merci.» Ils ne m’ont jamais rappelée, mais je ne leur en veux pas. Ils devaient avoir beaucoup d’enfants curieux qui les appelaient.
Puis, apparemment, de moins en moins.
Les temps changent, et les décisions se prennent rationnellement. Ce n’est pas avec des émotions, en l’occurrence la nostalgie, que l’on progresse. Les clubs vidéo ferment leurs portes, les sections des petites annonces des journaux diminuent, et le 31 août, ce sera la fin des oreilles de lapin.
Les temps changent, faut s’y faire.
J’ignore quelles étaient les cotes d’écoutes de 275-Allo, je peux donc difficilement me prononcer sur la décision de couper la ligne aux jeunes. J’ose espérer qu’il s’agit toutefois d’un choix éclairé, pris par des gens informés (j’ai ce naïf optimisme envers l’humain parfois). Si 275-Allo ne s’adressait plus qu’à une poignée d’enfants (et qu’elle intéressait surtout leurs parents), il faut en venir à l’évidence : elle ne rejoignait pas son public.
Il est tout à fait normal que les dirigeants de Radio-Canada décident de s’adresser à leur public cible là où il est. Si la société d’État réussira ce transfert de technologie avec adresse est une autre question. On monte aux barricades avant même d’avoir vu par quoi sera remplacée la ligne ouverte des enfants. Moi, j’ai tendance à laisser la chance au coureur. J’étais de ceux qui ne se sont pas prononcés sur 30 Vies avant d’en avoir vu les premiers épisodes, mais je vous assure que j’ai vu du monde s’enflammer en apprenant que Virginie serait remplacé par ça, croyant, en voyant les bandes annonces de la nouvelle émission, qu’il s’agirait d’«exactement la même affaire».
Je vous laisse sur cette définition de la pensée réactionnaire : «La pensée réactionnaire rejette un présent perçu comme décadent et prône un retour vers un passé idéalisé voire fictif». À méditer, pour ceux qui ont crié au scandale lorsqu’on a annoncé le remplacement des Beaux Dimanches (une institution) par un obscur concept venu de la France.