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On vit tous ces journées où on voudrait frôler le plancher, ramper au ras de l’asphalte, manger les gommes ballounes séchées, un genre de walk of shame qui n’en est pas vraiment un. Des jours où on a un désir extraordinaire de ne pas faire partie de l’humanité.
On se faufile entre nos semblables en fixant le sol, on veut rencontrer personne, personne ! On veut pas se faire surprendre dans cet état de marde, on veut pas s’expliquer, on veut même pas faker, on veut juste faire le trajet du point A au point B sans qu’on se rendre compte de notre existence. On trouve que notre vie est si moche, qu’on mérite aucune réelle attention, que la pire des choses qui pourrait nous arriver c’est d’être pogné pour faire du small talk avec un autre humain. De quoi donner des gag reflex incroyables. Ouach !
La semaine passée, j’ai assisté à deux heures de comparutions au palais de justice de Montréal pis ça m’a suffit pour trouver ma vie pas mal moins pire qu’elle ne l’est vraiment. Quand on se compare…
J’ai commis des coups monstrueux dans ma vie, j’ai fait des « choses » qui font que je me réveille parfois en sueur au beau milieu de la nuit, que je m’haïs comme le crisse, des « choses » que je regrette tant que j’en développe certainement un ou deux cancers.
– T’es jamais entré dans un palais de justice ? s’étonne MHP, l’illustratrice de procès qui est mon contact pour cette série d’articles.
– J’me suis jamais fait pogner.
Pour mon initiation au système judiciaire, MHP m’a invité à assister aux comparutions, parce que c’est par là que tout commence : toute personne appréhendée pour un crime doit passer aux comparutions, c’est là qu’il sait s’il peut être libéré ou non en attente de son procès.
Je m’attendais à des choses spectaculaires, mais la vie, la vraie, n’est pas spectaculaire. J’ai vu des pauvres gens défiler, du monde avec qui t’as pas envie d’avoir affaire. Des crottés. Des crottés coincés dans une pièce de théâtre surréaliste. Parce que la justice, avec son décorum pis ses protocoles, c’est un calque de pièce de théâtre. Sur scène, il y a les greffiers, les avocats, et dans le coin gauche, les criminels, et au-dessus de tout le monde, dans le grand rôle, la juge – la juge étant le seul personnage qui se mérite une ovation, peu importe sa performance. Il y a les costumes, les toges, et les moins glorieux costumes des criminels, sales, inspirant le dégoût, voire même la haine. La justice est un show réglé tight. Chacun des intervenants a sa réplique précise à réciter platement comme un acteur dans Les voisins. En français ou en anglais, ou avec un interprète. L’avocat de l’aide juridique, débordé, est le deuxième rôle le plus marquant – lendemain de brosse, sa job doit être impossible. Et il y a le criminel, vedette incontestée sans qui tout ce spectacle n’aurait pas lieu. Il s’approche, menottes aux mains et aux pieds, et bafouille des oui comme le plus pauvre des pauvres types. Le criminel est et sera en punition, il a beau avoir 60 ans, c’est un enfant qu’on réprimande. Mais le criminel n’a pas volé un bill de 20 dans la sacoche à sa mère, le criminel a souvent battu des gens, comme sa blonde, ou son ex. Le criminel est un batteur de femmes. Sans la jalousie, ça serait boring en sacre au palais de justice.
J’ai vu un douchebag, un vrai, un Ontarien, qui a demandé à avoir une vraie cellule, pas ce trou du palais de justice. Une vraie cellule, man ? Je me demandais bien qu’est-ce qu’il envisageait comme cage, le pauvre con.
J’ai vu deux frères, des Asiatiques gros comme la super-poutre du pont Champlain, faire des clins d’yeux à leurs chums réunis dans l’assistance. Des monstres plus épeurants que ceux que tu peux t’imaginer. Des grizzlys à huit bras.
J’ai croisé plusieurs fois le regard d’un vieux mafieux, j’en fais encore des cauchemars.
Tu trouves que ta vie c’est de la marde ? Va regarder dans les yeux des pauvres types qui se sont fait pogner. Tu vas voir, t’es pas si pire que ça.
Pour Urbania, j’assisterai cet automne aux procès de Bain pis de Magnotta, entre autres. J’assisterai aussi à de plus petits procès, des affaires de filles qui ont tiré les cheveux d’une autre, pis des vols de chars. Bébé, je serai ta Isabelle Richer sur le meth. Pis ça va te chatouiller de plaisir.
Illustration: MHP