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Les portes à pénis

Par
Émilie Won
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Ce n’était pas dans les plans, mais ce genre de situation ne l’est habituellement pas de toute façon. Je n’étais pas supposée élever un enfant seule. Mais c’est ma condition, non planifiée et imposée par mon destin : mère célibataire monoparentale sans garde partagée.

Ma famille, c’est mon fils et moi. Je ne connais rien d’autre, et donc pour moi, c’est simplement normal, c’est simplement ma normalité habituelle, même si nous sommes hors norme. Je ne sais pas c’est quoi avoir un homme dans notre vie. Je ne sais pas si c’est plus facile ou plus difficile d’élever un enfant avec un homme. Mais par moments, je me bute à des situations qui me font penser que certaines choses seraient facilitées par la présence d’un homme.

Une de ces situations est lorsque mon fils a lâché ses pull-ups pour des caleçons et a commencé à utiliser la toilette. Il avait bien vu faire les garçons de son âge à la garderie, mais malgré cela, peut-être parce que la toilette de la garderie était un modèle réduit proportionnel à la taille des enfants, à la maison, j’ai eu droit à une série acrobatique palpitante procurant étonnements et émois. Plusieurs tentatives ont éventuellement amené mon fils à développer sa propre technique urinaire, assez unique en son genre : le caleçon descendu aux chevilles, le siège relevé, assis à cheval sur le bol en faisant face au réservoir, le corps légèrement penché vers l’avant et avec les deux mains bien appuyées de chaque côté sur les rebords de la cuvette pour maintenir son équilibre.
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Le jeune garçon, tête de cochon bien ancrée dans ses habitudes (et comment lui reprocher, puisque sa mère est pareille?), a conservé cette méthode bien à lui pendant trop longtemps. Éventuellement, il a adapté sa technique pour se rapprocher du modèle disons plus commun, mais avec une variation qui lui est encore bien propre : le caleçon encore aux chevilles, les fesses à l’air, les deux pieds au sol, debout mais légèrement penché au-dessus de la toilette avec les genoux accotés sur le rebord extérieur avant de la cuvette, les deux mains retenant le siège relevé contre le réservoir (oui, il fait ça sans mains, comme un pro!) puis s’affligeant de contorsions au niveau du bassin lui permettant d’atteindre un angle raisonnable pour bien viser dans le bol de toilette. Et l’ironie ici, c’est que ça fonctionne; jamais de pipi à côté du bol!
J’ai bien tenté cent fois de lui expliquer comment faire, mais mon entêté préféré n’a jamais rien voulu savoir de mes histoires imagées ni de mes mimiques farfelues avec un crayon de cire, mon index ou tout autre substitut pénien. Au mieux, il s’amusait de mes simagrées ridicules. J’ai essayé tout ce que j’avais dans mon répertoire. Sans succès, et pour cause… Tous les crayons de cire au monde ne peuvent pas remplacer un pénis.
Il y a certaines choses dans la vie qu’une femme ne peut simplement pas faire, et ceci en était une. N’importe quel homme (et son pénis) se serait sans aucun doute acquitté de cette affaire bien mieux que moi.
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Ma condition de mère monoparentale me confrontait à toute l’importance trop souvent ignorée ou négligée de la fonction d’un homme dans la vie d’un enfant, et donc à ce que je ne pouvais fournir à mon fils. Il n’y avait pas d’homme chez moi pour stimuler chez mon fils sa maîtrise de soi ou sa confiance en lui-même, pour lui faire connaître ses limites ou pour l’aider à développer son identité en dehors de la symbiose maternelle ni pour me rappeler que je ne suis pas seulement une mère.
Il n’y avait pas d’homme, ni de pénis. Il n’y avait que moi et mes foutus crayons de cire.
À Noël dernier, mon fils avait reçu en cadeau un paquet de caleçons de supers héros, qui comportaient cette ouverture à l’avant qui mystifie certains et certaines. Lorsque j’ai rangé lesdits caleçons en attendant que mon fils grandisse et qu’ils soient de la bonne taille, une légère inquiétude m’avait traversé l’esprit quant à ces ouvertures. Tout m’indiquait qu’elles étaient un problème en devenir qui prendrait la forme d’une autre manifestation de mes lacunes péniennes et de mon état monoparental. Et comme de raison, lorsque les caleçons sont sortis du tiroir de sa commode et que mon fils en a enfilé un, j’ai su très rapidement qu’il semblait faire partie de ces mystifiés face à ces ouvertures. Pour lui, ce n’était qu’un trou inutile et une défectuosité à réparer, et l’aération prodiguée par ce trou n’était tout simplement pas souhaitable.
portes à pénis
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Je me suis retenue de ressortir les crayons de cire, et je n’ai pas osé utiliser mon index non plus. Alors le soir, lorsque mon fils dort, je fais la seule chose qu’une mère monoparentale peut faire dans les circonstances. Je m’assois devant la télé, seule, et je répare des portes à pénis.
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