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Les plaisirs lumineux de « So long, Marianne »

Le club sélect des éternels admirateurs de Leonard Cohen entre en période de recrutement.

Par
Benoît Lelièvre
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So long, Marianne, c’est à la fois le récit d’une merveilleuse histoire d’amour, une célébration de l’œuvre de Leonard Cohen et une vision onirique d’une existence bohème qui n’existe à peu près plus aujourd’hui.

Une existence qu’a vécu le chanteur sur l’île grecque d’Hydra de 1960 à 1967.

Une création faite par des admirateurs qui s’adresse (surtout) à d’autres admirateurs, tout en laissant la porte grande ouverte à ceux et celles qui voudraient le devenir. Parce qu’avec cette série de huit épisodes qui débute sa diffusion sur Crave, le club sélect des fans finis de Cohen entre en période de recrutement.

Comme quoi, c’est bien difficile, de colmater cette brèche par laquelle pénètre la lumière.

Malgré les 8 ans qui se sont écoulés depuis la mort de Leonard Cohen, son œuvre refuse de s’éteindre. Telle une flamme en hiver, sa musique et ses mots s’accrochent à la mémoire de ses admirateurs pour survivre jusqu’à ce qu’elle attire d’autres cœurs à réchauffer.

Ouin, c’est un peu fleur bleue comme image. Pas mal, même.

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Est-ce que c’est si grave de regarder le monde avec plus de beauté et de poésie qu’il n’en contient vraiment, ne serait-ce que le temps d’une chanson? Peu importe, les admirateurs de Leonard Cohen tiennent tous mordicus à ce romantisme intemporel comme les raëliens tiennent au blanc et au sexe en groupe.

Le Cohen raconté

So long, Marianne raconte l’histoire d’amour entre Leonard Cohen et Marianne Ihlen, vécue en majeure partie sur l’île d’Hydra, en Grèce, pendant les années 60. Loin d’être une longue promenade sous le soleil, la série raconte ce moment sacré où deux personnes se retrouvent pour la première fois, au bon endroit, au bon moment.

Ça peut paraître romantique, comme ça, mais ça demande beaucoup de courage, d’abandonner une vie de tristesse pour accepter un moment de grâce. C’est plus compliqué que ça en a l’air.

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« J’ai accepté l’échec très tôt dans le processus », m’explique Alex Wolff, l’interprète de Leonard Cohen, principalement connu pour son rôle de Peter, le frère aîné du terrifiant film d’Ari Aster Hereditary.

Encore habité par son personnage, il croise les jambes comme le chanteur et s’exprime avec la même gestuelle. La précision de ses mouvements est impressionnante. Habillé en costume d’époque, il incarne à merveille la classe et la retenue du chanteur à l’événement de presse.

« J’ai accepté que j’allais me tromper et que peu importe ce que j’allais faire, quelqu’un allait détester mon interprétation. »

« En me donnant le droit de me tromper de la sorte, je me suis mis à trouver ce qui fonctionnait pour moi dans ce rôle », précise Wolff.

Wolff mentionne ici le mot clé qui vous permettra d’apprécier So long, Marianne pour ce qu’elle est : interprétation. La série est à la fois biographique et excessivement romantique comme seule une chanson de Leonard Cohen peut se permettre de l’être. Une entente tacite flotte entre l’écran et le spectateur voulant qu’il ne s’agisse peut-être pas exactement de ce qui s’est réellement passé sur Hydra, mais seulement d’une version.

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Comme lorsqu’on embellit beaucoup trop un souvenir au moment de le raconter.

« J’haïs ça, les biopics, d’habitude », admet Patrick Watson, le compositeur de la chanson thème de So long, Marianne. « Quand t’essaies de faire quelque chose de trop réel, ça ne fonctionne pas. Ça ne retransmet pas du tout l’idée que la personne symbolisait. J’veux dire, as-tu vu celui sur Freddie Mercury? Là, c’est l’idée qui a été transmise avant les faits biographiques, et c’est beaucoup plus beau. C’est inspirant. »

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Une scène en particulier a retenu mon attention pendant le visionnement des deux premiers épisodes offert aux journalistes lundi dernier. Leonard, Marianne et les expatriés d’Hydra sont attablés dans un restaurant et toutes sortes de tensions flottent entre les convives. Une dame refile alors une guitare à Leonard et lui demande de chanter. Il se lance aussitôt dans l’interprétation de la magnifique The Stranger Song.

Ce qui se passe ensuite est à la fois subtil et grandiose. Le regard des convives change. On voit sur leurs visages qu’ils comprennent qu’ils sont témoins de quelque chose de spécial. « Ils sont en présence de Leonard Cohen pour la première fois », précise Thea Sofie Loch Naess, l’interprète de Marianne, tout aussi anachronique et resplendissante que son partenaire de jeu.

« Cette scène est à propos de tout le monde, sauf moi. On était dans la réaction. C’était tout simple. J’ai juste essayé de me concentrer à avoir l’air un peu gêné, comme si je n’avais pas vraiment le goût de jouer », renchérit Alex Wolff.

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Plaisir d’initiés?

Bon, on ne se mentira pas. So long, Marianne s’adresse principalement à un public déjà conquis. Cette sensation que j’ai ressentie, de flotter en apesanteur dans l’imaginaire d’un de mes écrivains fétiche pendant 120 minutes, mon homologue de La Presse Hugo Dumas ne l’a pas ressentie et je peux comprendre que d’un point de vue extérieur, la série peut avoir le défaut de paraître longue et contemplative.

C’est pas si vendeur que ça, deux jeunes bohèmes des années 60 en amour, si on ne sait pas de qui il s’agit.

Tous les membres de la production avec qui j’ai discuté pendant la projection de presse étaient d’ailleurs déjà tout aussi enthousiastes à propos de Leonard Cohen avant même de mettre la main à la pâte que je le suis.

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« J’ai découvert Leonard Cohen quand je suis arrivé à Montréal à 19 ans. Sa poésie et la rigueur de son écriture m’ont accompagné toute ma vie. C’est quelqu’un qui a donné une voix à la ville », affirme Éric Bruneau, qui interprète l’ami de Cohen Robert Hershorn, producteur à l’ONF.

Même si le nom de Bruneau flotte autour de la promotion de la série et qu’il est présent pour les séances photo, ce dernier m’explique qu’il joue un tout petit caméo dans la série aux côtés de sa conjointe, Kim Lévesque-Lizotte. « J’ai vraiment juste fait ça pour le plaisir d’aller jouer avec des amis et avec ma blonde. On n’avait encore jamais joué ensemble », précise-t-il.

So long, Marianne est un projet de cœur, mené par des passionnés.

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Peut-être que oui, ça s’adresse d’abord à d’autres passionnés de Leonard Cohen, mais il s’agit du genre de projet dont le potentiel commercial ne devrait pas être la priorité absolue. Après tout, il n’y aura pas de deuxième saison. La série est là, elle existe, et c’est tout.

C’est à vous de décider si vous avez envie d’une histoire d’amour poétique avec des accents oniriques (ou juste envie de vous faire raconter la vie de Leonard Cohen) pour vous y mettre. So long, Marianne vivra aussi longtemps qu’il y aura des gens pour la regarder… ou des crinqués de Leonard Cohen comme moi pour vous la suggérer!

C’est beau, c’est doux, c’est lumineux. Ne boudez pas votre plaisir.