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Les pitas-vulves du restaurant Amir

Une publicité dont on se serait bien passé.

Par
Geneviève Morin
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Si vous ne l’avez pas encore vue, vous allez être bien surpris. e de tomber sur la décadente nouvelle publicité des restaurants Amir. En effet, la compagnie, qui offre au menu de savoureux kebabs, de délicieux falafels et de la sauce à l’ail qui vous bannit officiellement d’un jour enlever votre masque, nous dévoile sous la mention «Pita appreciation post/Célébration de notre amour pour les pitas» une campagne trompe-l’œil qui présente un paquet de pitas sous la forme d’une vulve devant un fond rouge.

Capture d’écran tirée de Facebook
Capture d’écran tirée de Facebook
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Si cette curieuse approche publicitaire fait réagir la féministe en moi, elle enflamme d’autant plus les internautes qui affirment «avoir très faim» à la vue de cette publication, ou encore qui en «sont très excités».

Un tour de force

Quel beau travail publicitaire… n’aura jamais dit quiconque. C’est peut-être parce que je viens d’étudier pendant plus de deux mois le sexisme dans les publicités, mais je ne peux m’empêcher de trouver qu’il y a de sérieuses questions à se poser face à ce genre de contenu. Entendez-moi bien, je ne trouve pas que la représentation d’une vulve dans l’espace collectif est un affront. Je suis d’avis qu’il y a certainement des représentations artistiques et politiques qui cherchent à appuyer des causes ou à démocratiser le sexe féminin dans des contextes particuliers.

Mais ce n’est pas de ça qu’il s’agit ici.

Est-ce que c’est OK, en 2021, de commercialiser un produit en objectifiant le corps de la femme?

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Car la question soulevée relève de la responsabilité de la marque et je me demande: est-ce que c’est OK, en 2021, de commercialiser un produit en objectifiant le corps de la femme? Il me semble que cette technique marketing est vieille comme le monde. Il me semble même que c’est cliché de répéter les mêmes schémas de pensée.

Je suis bien triste de voir qu’en dessous de la publication du restaurant Amir se trouve une centaine de commentaires qui félicitent la compagnie pour ce move publicitaire. Et surtout, j’ai eu envie d’étudier ce qui se cache en dessous de cette publicité et de montrer en quoi cette campagne des restaurants Amir est wrong.

La métonymie

Je me rappelle un travail universitaire que j’ai eu la «chance» de faire et qui devait porter sur l’étude d’une figure de style. Comme je n’étais pas tellement emballée par l’idée de travailler sur la rime, j’ai choisi la métonymie. Pour les gens normaux — c’est-à-dire, pour ceux et celles qui n’ont pas passé neuf ans de leur vie à étudier la littérature à l’université — ce concept stylistique peut être certes évasif. Laissez-moi vous rappeler que la métonymie est une figure qui consiste à désigner le tout par une partie. Ainsi, on parlerait de «voiles à l’horizon» pour imager et référer au bateau. Vous comprenez?

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J’étais loin de me douter que cette étude que j’ai menée en 2014 allait me servir autant dans mes analyses futures. Eh oui, tristement, le monde des images travaille énormément avec cette figure de style et plus particulièrement le monde de la publicité.

Dans le cas précis de cette publicité de pitas, vous comprendrez qu’il y a un raccourci qui s’est opéré. En effet, il existe deux figures de style dans cette publicité, d’abord la métonymie: la vulve (la partie) sert ici à référer au tout (la femme). Ensuite la mise en abyme: le pita (la vulve) qui réfère à la nourriture (la femme). Il n’y a rien, en apparence, de très grave là-dedans.

C’est le désir fasciné et pervers que nous portons en tant que société sur les parties du corps des femmes.

C’est le dispositif de la répétition qui me fait peur ici. C’est le désir fasciné et pervers que nous portons en tant que société sur les parties du corps des femmes. C’est aussi l’ornementalisation du corps féminin, je veux parler de ce qui est offert au regard et qui est mis en scène de manière à être observé et observable.

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C’est cette dynamique qu’on observe dans la publicité qui m’inquiète, que ce soit par la vente d’un parfum, d’une bière, d’une chaussure, d’une voiture, d’un produit de luxe, etc., et qui répète de manière très calquée des images de corps sublimés, mais aussi sériels.

C’est que, comme l’explique si bien Martine Delvaux, «la répétition d’une figure, d’une image, est l’aveu d’un système. C’est le symptôme d’un état du corps social, ce qu’on en sait et ce qu’on ignore ou préfère ignorer».

Qu’est-ce qu’on peut penser d’un pita-vulve, maintenant?

Maintenant que nous sommes en mesure de comprendre que des parties du corps des femmes servent à mettre en valeur un produit de consommation, nous avons de quoi nous inquiéter et nous diriger vers la seconde problématique de cette publicité: faut-il ignorer ce genre de contenu?

Le concept du système est très important ici. Car, si des images se répètent en continuant de segmenter le corps des femmes pour référer à ces dernières, nous sommes en droit de nous questionner sur le système dans lequel nous vivons et qui autorise ce genre de dispositif à être en place. Nous sommes donc en droit de nous demander si la publicité n’est pas empreinte de sexisme, encore en 2021.

«C’est toujours les mêmes procédés: la personne est déshumanisée et la violence devient alors inévitable.»

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Selon la sociologue Francine Descarries, la publicité sexiste a des impacts plus importants qu’on ne le croit puisqu’elle «véhicule un message idéologique. Elle propose, voire impose des définitions des individus et des relations sociales. Elle nous dit ce que c’est le bonheur. Pour les femmes, le bonheur serait de rester jeune, belle, et dans le regard de l’autre».

Pour les hommes, elle invite à la force, la puissance et surtout à l’appétit, nous dit Nora Bouazzouni, auteure de l’essai Faiminisme. Plus particulièrement, nous indique la chercheuse, l’industrie de l’alimentation est encore aujourd’hui très empreinte des marqueurs du patriarcat. Les hommes sont davantage encouragés à consommer de la viande et des protéines et sont plus spécifiquement visés par les campagnes marketing des grandes chaînes de fast-food.

Et quoi de mieux qu’une vulve fraiche pour stimuler l’appétit?

Déshumanisation

Nous avons toutes et tous grandi dans une culture qui fait du corps féminin un objet. Qu’il soit transformé en bouteille de bière, en support à parfum ou en pita, le corps des femmes est depuis longtemps placé dans cette position pour les publicités. Je ne cherche pas nécessairement à regrouper toutes les publicités et à dire qu’elles sont sexistes depuis toujours, mais plutôt à souligner que si aujourd’hui c’est possible pour une chaîne de restaurants de partager une campagne publicitaire basée sur une partie du corps d’une femme — dans le but de stimuler l’appétit! — c’est qu’il existe une arche, appelez cela une courbe ou une tendance, qui existe depuis longtemps déjà et qui continue d’exister.

Je me demande si l’équipe derrière la publicité s’est questionnée sur son rôle en tant que créateurs.rices d’images.

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Cette tendance affecte énormément la confiance que les femmes peuvent avoir envers elles-mêmes, nous dit Jean Kilbourne, spécialiste de la question: «cette tendance fait aussi quelque chose d’encore plus insidieux, puisqu’elle crée un climat dans lequel la violence contre les femmes est normalisée. Je ne dis pas du tout qu’une publicité provoque directement la violence, ce n’est pas si simple, mais plutôt la transformation d’un être humain en un objet (une chose) est presque toujours le premier pas vers la justification de la violence faite contre cette personne. On le voit avec le racisme, on le voit avec l’homophobie et on le voit avec le terrorisme… C’est toujours les mêmes procédés: la personne est déshumanisée et la violence devient alors inévitable. Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce pas est déjà et constamment franchi avec les femmes. Les corps des femmes sont démembrés dans les publicités et découpés en morceaux. Diviser l’être ou une personne est en soi la chose la plus déshumanisante que vous puissiez faire à quelqu’un.»

Je reviens donc à cette publicité. Force est d’admettre pour moi qu’il y a quelque chose de sexiste dans cette mise en scène du pita-vulve. Plus encore, je me demande si la chaîne de restaurants est au courant de l’actualité ou si elle s’arrête pour penser à l’importante part qu’elle a dans la propagation des images et surtout des images des femmes. Je me demande si l’équipe derrière la publicité s’est questionnée sur son rôle en tant que créateurs.rices d’images.

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Et je me demande plus sérieusement si nous sommes tous conscients de l’impact que ce genre d’images ont sur nos enfants et sur nous-mêmes.

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