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«Bruno est appuyé contre le lavabo. Il a ôté sa veste de pyjama. Les replis de son petit ventre blanc pèsent contre la faïence du lavabo. Il a onze ans. […]
[… Il souhaite se laver les dents, comme chaque soir; il espère que sa toilette se déroulera sans incidents.
Cependant Wilmart s’approche [et] pousse Bruno a l’épaule. Il commence à reculer en tremblant de peur; il sait à peu près ce qui va suivre. “Laissez-moi…” dit-il faiblement. Pelé s’approche à son tour. Il gifle violemment Bruno, qui se met à pleurer. Puis ils le poussent à terre, l’attrapent par les pieds et le traînent sur le sol.
Près des toilettes, ils arrachent son pantalon de pyjama. Son sexe est petit, encore enfantin, dépourvu de poils. Ils sont deux à le tenir par les cheveux, ils le forcent à ouvrir la bouche. Pelé lui passe un balai de chiottes sur le visage. Il sent le goût de la merde. Il hurle.
Brasseur rejoint les autres; il a quatorze ans […] Il se place à la verticale et lui pisse sur le visage. La veille, il a forcé Bruno à le sucer, puis à lui lécher le cul; mais ce soir il n’en a pas envie.»
C’est ainsi que Michel Houellebecq personnifie le concept de « l’animal oméga », dans Les particules élémentaires. Le maillon faible des hordes animales ou des sociétés primitives qui subit systématiquement la tyrannie de ses semblables. La tête de turc. Le man’heux d’marde. La scène est fictive. Heureusement.
Un film
Par contre, toutes celles présentées dans le documentaire Bully, du réalisateur américain Lee Hirsch, elles, ne le sont pas. Le film sort aujourd’hui. Un portrait tenaillant de la réalité de cinq jeunes sauvagement malmenés par leurs camarades de classe. Je dis cinq – mais c’est plutôt trois. Deux d’entre eux n’auront pas tenu le coup.
Jusqu’à maintenant, soyons honnêtes, le documentaire a été assez mal reçu par les critiques. On en dénonce le misérabilisme, le manque de complétude quant à plusieurs aspects du dossier épineux de « l’intimidation », le manque de diversité des points de vue…
Pas faux. Beaucoup d’atterrement, peu de pistes de solution. Mais à ce que je sache, personne n’en a encore trouvé, de véritable « piste de solution » pour éradiquer l’intimidation. Mis à part en parler. Beaucoup. Tout le temps. Partout.
La lutte contre l’intimidation, c’est un peu la nouvelle soupape pour la conscience à la mode. Le nouveau buzz de bienfaisance sociale. Tant mieux. Tartinons-nous la tronche au grand complet de sensibilisation au bullying, si ça peut éviter de scraper ne serait-ce qu’une seule vie.
Depuis l’affaire du suicide de la jeune Marjorie Raymond, à l’automne dernier, la place de la lutte contre l’intimidation dans le discours populaire s’est gonflée exponentiellement. Les artistes ont pris parole, les témoignages ont pété des scores de viralité sur les réseaux sociaux. À la télé, à la radio, dans les chaumières : au ban, le bullying!
… Mais qu’est-ce qu’on aura fait, au juste?
Une loi
Il y aura bien eu ce projet de Loi 56, déposé en février dernier à l’Assemblée Nationale et dont la révision est toujours en cours. Mais ce projet de loi est somme toute plus bureaucratique que pratique. On veut « mieux encadrer » les commissions scolaires dans leur lutte contre l’intimidation, mais on ne s’entend toujours pas sur la définition de « l’intimidation ». Une loi évasive et trop large quant aux sanctions prévues pour les contrevenants. Et entre les mémoires législatifs et les montées de lait médiatiques, les rejects continuent de se prendre des baffes.
J’en suis cependant arrivée à un constat. Si la lutte concrète pour éradiquer l’intimidation dans les écoles est si difficile à amorcer, c’est que le jeu de domination est profondément ancré entre les individus – particulièrement chez les ados. Certes, les « dérapages » (trop nombreux, trop violents) qu’on observe dans les écoles sont trop graves pour passer sous silence, mais par où commencer? Quelle faille faut-il réparer en premier?
Une tranche de vie
Si je dis tout ça, c’est que je suis encore à l’âge où les souvenirs de mon passage au secondaire sont relativement frais. Eh oui, j’ai cet âge bête et insignifiant entre l’aube de l’âge adulte et le crépuscule de l’abrutissement adolescent. Or, je me souviens parfaitement de la barbarie ordinaire qui a cours dans les écoles secondaires.
J’ai terminé mon secondaire il y a presque 4 ans (lol!). Je suis donc de la génération Facebook et autres facteurs technologiques ayant contribué à foutre la marde dans les rapports qu’entretiennent les ados entre eux.
Je serai franche : au secondaire, je l’ai eue facile. Hasard ou instinct de survie sociale, je sais pas trop. Mais j’incarnais l’archétype de la collégienne juste assez clichée pour être bien entourée. J’ai toujours eu un sale caractère, mais je savais rouler ma jupette et me faire de jolies mises en pli; on s’en tire, dans ces cas-là, apparemment. C’est dégueulasse comme réalité, ein?
Ouais, je l’ai eue facile. Mais pourtant, criss que c’était rough. Les bassesses entre amis, les commentaires déplacés, ce lourdaud un peu débile qui avait décidé de jouer au caïd, trop couillon pour avoir du respect comme tout le monde…
Non, c’était pas exactement serein, malgré les apparences.
À mon sens, il règne dans les écoles secondaires un état d’hostilité perpétuelle, où le rapport dominant-dominé est constamment à renégocier entre les individus.
Ce sont des jeux subtils, sournois et terriblement individualistes. C’est une jungle non-dite. Il n’y a pas de véritable team up possible lorsqu’il est question de reconnaissance sociale. Pas sous pression, pas à un âge aussi vulnérable.
C’est la méfiance constante entre les ados; tellement craintifs dans l’affirmation d’eux-mêmes qu’ils seraient prêts à mordre pour défendre leur part de dignité (ou pire : pour la rehausser). Peut-être que je dramatise, mais c’est ma perception de la chose.
Et il y aura toujours une poignée de petits cons pour décider de faire la loi. Et alors, certains écopent de moins de clémence que d’autres. C’est l’arbitraire du choix qui est le plus tragique.
Faq’, on commence par où?