Logo

Les persécutés

Parce que les intellos sont aussi des anti-populaires.

Par
Judith Lussier
Publicité

Billet où je m’immisce dans la bataille entre Marc Cassivi et Patrick Lagacé autour de Wajdi Mouawad.

Ce débat entre les intellectuels et les autres a des airs de bataille de cours d’école. «Il m’a traité d’intello! Bouh!» Comme si 1. Être un intellectuel était une mauvaise chose et 2. Nos intellectuels étaient de grandes victimes au Québec.

Dans la cour d’école du Québec, c’est vrai que Marc Cassivi se fait taquiner parce qu’il utilise des mots comme «pugnacité», «flargornerie» ou «rédhibitoire». Il doit être tanné qu’on le traite de «suffisant» et de «prétentieux» parce qu’il connaît plus de mots que bien du monde et qu’il aime des films obscurs. Ça paraît.

Publicité

En même temps, j’ose imaginer que ça lui fait un petit velours d’être taquiné sur la base de son érudition. Si j’étais une intellectuelle, j’apprécierais secrètement que l’on souligne à grands traits mes connaissances, quitte à en tirer un peu d’exaspération.

Mais je ne suis pas une intellectuelle. Pas par manque de moyens ou parce que c’est mal vu, mais par manque d’intérêt.

Petite anecdote. En 2009, j’habitais à Paris. C’est là que j’ai commencé à écrire un livre sur les dépanneurs. Un soir que j’étais avec un groupe d’intellectuels, des vrais (il y avait dans ce groupe un agrégé de philosophie, un fils de président africain en exil et d’autres étudiants de la Sorbonne), j’ai parlé de mon projet. «À quel titre écris-tu ce livre? Es-tu sociologue, économiste?», m’a demandé l’un d’eux, le fils de président je crois. «Bah, à titre de journaliste», que j’ai répondu. «Ah…» Malaise. Pourquoi ce malaise? «C’est parce qu’ici, en France, les journalistes écrivent en général des livres pas très sérieux», m’a-t-il expliqué. «Ah, mais je n’écris pas un livre sérieux. Il s’agit plutôt d’un livre de culture populaire», ai-je répondu. Abasourdi par la fierté avec laquelle je m’associais à l’expression «culture populaire», mon intellectuel m’a répondu : «Ah, t’es pas déçue?».

Publicité

Non. J’avais zéro complexe d’écrire un livre sympa sur ce petit commerce typique du Québec où, selon Wajdi Mouawad, les gens se parlent presque par onomatopées. Personnellement, je n’achèterais pas un livre intitulé «La langue d’usage dans le dépanneur québécois», ou «Le transfert des connaissances entre employés des commerces de proximité». J’ai écrit un livre que j’aurais eu envie d’acheter, tout simplement. Sacré dépanneur!

Mais là, «sacré» (qui renvoie bien sûr au jour du seigneur et aux perrons d’églises qu’ont remplacés les dépanneurs) certains doivent se dire que j’ai un petit fond intello. Faudrait d’abord définir la chose. Ma mère a deux baccalauréats, deux maîtrises, un doctorat, et je vous jure qu’il ne s’agit pas d’une intellectuelle. Parce qu’elle ne fréquente pas les théâtres? Parce qu’elle ne lit pas Le Devoir? Parce qu’elle a l’air de la chienne à Jacques? Allez savoir. Je voulais sûrement juste placer le fait que ma mère est très cool avec tous ses diplômes.

Publicité

Dans la fameuse entrevue relatée par Patrick Lagacé et qu’on peut écouter ici, Mouawad dit que «pour un adolescent Québécois, un garçon [comme lui] qui ne fait pas de sport, qui porte des lunettes et qui a un accent français, c’est vraiment un intellectuel qui n’est intéressé que par la lecture». Alors si c’est ça, Mouawad démontre qu’il n’est justement un intellectuel que par son accent et ses lunettes. Et par sa belle voix feutrée, devrais-je ajouter. Car les raccourcis qu’il prend pour décrire la société québécoise sont dignes des plus grands démagogues. «Au Québec ci, au Québec ça».

Au Québec, on est aussi anti-populistes. L’un parlera avec condescendance du Journal de Montréal, écoutera Dieu merci! en cachette et aura toujours dans sa petite poche une tirade contre les humoristes. Récemment, une recherchiste que je ne connaissais pas me racontait son parcours professionnel : «J’ai fait ci, j’ai fait ça, et euh (face de dédain) j’ai aussi fait de la recherche pour l’émission Juste pour rire en direct à TVA».

Publicité

Ça m’a fait sourire. Dans certains cercles (mot à la mode ces jours-ci), il est moins glorieux de travailler pour une émission regardée des milliers de téléspectateurs que pour une pièce de théâtre vue par quelques initiés. Dans certains cercles, c’est Éric Salvail qui se fait niaiser, et c’est Marc Cassivi qui est louangé. Certes, ces cercles sont moins gros, mais ils existent.

Finalement, c’est comme si au Québec, les intellectuels n’assumaient pas leur érudition dans les cercles populaires et vice-versa. Ça fait que tout le monde est malheureux. Sauf moi, parce que j’ai du respect pour les deux côtés du mini wheat, parce que je suis pleine de candeur, parce que je m’en fous au fond. Je n’ai de condescendance ni envers l’un, ni envers l’autre.

Wajdi Mouawad dépeint les Québécois comme des espèces de Rougon-Macquart qui possèdent à peu près trois mots qui ne sont pas les bons. C’est chien. C’est faux. C’est malhonnête, et ce l’est sûrement parce qu’il en veut encore à ses camarades québécois de l’avoir niaisé dans la cour d’école lorsqu’il était adolescent. Qu’il assume son côté intello, qu’il nous laisse écouter Dieu merci! en paix et les vaches seront bien gardées.

Publicité

Persécutions plus graves
Mercredi, j’ai injustement intitulé mon texte sur le procès Turcotte «Au tribunal des clowns». Ça ne voulait pas dire grand chose, et ça reflétait beaucoup plus la première version de mon billet, qui a évolué en cours d’écriture. J’ai conservé le titre parce que je trouvais que ça faisait beau, que ça aurait pu être le titre d’un grand chroniqueur, comme Michel David ou Yves Boisvert. En me la racontant de la sorte, j’ai insulté Fredolini, clown, producteur, fondateur du Cirque national des clowns et de L’Auguste rendez-vous. «Votre titre est offensant et sans aucun lien» m’a-t-il écrit. Je m’excuse auprès de tous les clowns qui ont été offensés par le titre de ce billet et compatis avec eux pour toutes les fois où l’on utilise indument les expressions «un vrai cirque» ou «on nous prend pour des clowns». Veuillez recevoir ce texte en guise de dédommagement : Prof de clown.