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Les voies du seigneur sont impénétrables.
C’est ce qu’on est en droit de se dire en apercevant le gigantesque panneau d’affichage en bordure de l’autoroute 40, à la hauteur du boulevard Pie-IX.
«Soyez prêt pour son retour… JÉSUS-CHRIST», peut-on lire de sa voiture sur la pancarte perchée au-dessus d’un bâtiment anonyme de douze étages.
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Le fils de Dieu a beau avoir chassé les vendeurs du temple, il fait quand même présentement l’objet d’une offensive publicitaire sans précédent, propulsée par la firme Upfront Media.
Une campagne étalée sur quatre semaines, comportant trois pancartes géantes et une remorque annonçant la bonne nouvelle.
J’ai voulu remonter à la source de ce stunt religieux. Pas une enquête bien exhaustive, puisque la mention «Église du chemin du Paradis» apparaît sur les pancartes. Vous savez, cette église protestante très tape-à-l’œil sur Papineau, celle avec des néons de couleurs informant en grosses lettres que «Le salaire de ton péché c’est l’enfer»…
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Le révérend de l’endroit, Lincoln Gagnon, me donne rendez-vous dans son église, déserte à mon passage, pour me raconter l’histoire de la pancarte de l’autoroute (j’ignorais à ce moment qu’il y en avait trois dispersées en ville).
Lincoln m’accueille chaleureusement. Jeans, espadrilles, chemise ouverte, t-shirt; d’emblée son look décontracté détonne avec l’image qu’on se fait d’un homme d’église. Il faut dire que les protestants sont plus lousses que les catholiques sur un paquet d’aspects. La chasteté par exemple, puisque Lincoln est marié depuis 35 ans, en plus d’être père.
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«Des versets de l’église en lien avec le sanctuaire de Dieu», précise le révérend, avec un grand sourire réconfortant comme un kraft dinner.
Aucune représentation de Jésus (crucifié ou autre) non plus à l’intérieur de l’église, seulement des paroles d’évangiles inscrites sur les murs. «Des versets de l’église en lien avec le sanctuaire de Dieu», précise le révérend, avec un grand sourire réconfortant comme un kraft dinner (avec saucisses) un lendemain de veille. «Mieux vaut un jour dans tes parvis que mille ailleurs», peut-on notamment lire sur un des murs et sous un balcon.
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L’endroit est paisible et magnifique. Très vintage aussi. Un grand tapis recouvre l’entièreté du plancher et le parterre est rempli de bancs. Il y a une scène à l’avant, sur laquelle se trouvent une batterie, un orgue et des micros. Les messes protestantes groove plus que celles du curé Charron de ma jeunesse eustachoise faut croire. La bâtisse remonte au 19e siècle, de l’époque du controversé prédicateur presbytérien Charles T. Chiniquy.
Ah, et il y a des néons un peu partout, bien sûr. Une affaire de famille. «C’était le métier de mon père. Il travaillait le néon en Colombie-Britannique où il a rencontré ma mère, puis ici lorsqu’on a acheté l’église en 1979», raconte Lincoln, en me faisant visiter l’atelier encore fonctionnel plus loin sur l’étage.
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«Savais-tu que cet orgue avait appartenu à Diane Bibeau et était utilisé pour tous les matchs des Canadiens dans les années 70?»
Ce dernier s’installe ensuite sur une chaise devant la scène. Il se penche parfois vers l’arrière pour faire lever les pattes d’en avant. «Savais-tu que cet orgue avait appartenu à Diane Bibeau et était utilisé pour tous les matchs des Canadiens dans les années 70, avant le synthétiseur», me balance-t-il sans détour, en me pointant l’instrument à la droite de la scène.
S’ensuit le récit captivant entourant l’acquisition du Hammond B3, mis en vente après la fermeture du resto-bar de Jacques Lemaire, qui l’avait récupéré. «Diane venait à l’église et posait des questions sur l’orgue avant de le reconnaître», se remémore le révérend, qui a lui-même fait carrière en musique.
Une histoire fascinante d’ailleurs puisque son chapeau de technicien de drum en chef lui a permis de côtoyer plusieurs des plus grands batteurs au monde, notamment en marge du Drum Fest de Montréal, pour lequel il a œuvré une vingtaine d’années. Neil Peart (Rush), Dennis Chambers (Santana) Todd Sucherman (Styx), Gowan: sa feuille de route impressionne, autant que ses anecdotes. «50% de la job est technique et l’autre est de bien s’entendre avec les musiciens», résume Lincoln, qui joue lui-même de la batterie durant les messes. Il fait aussi les percussions pour sa fille chanteuse, qui a notamment sorti des albums et participé enfant à l’émission Les minis-stars de Nathalie. Sa femme chante également. Elle a même fait les back vocals lors d’une tournée avec Gowan.
Pendant qu’on tergiverse sur qui de Mike Portnoy ou Mike Mangini est le meilleur batteur de Dream Theater, j’en oublie presque la raison de ma visite.
Ah oui, les pancartes!
«On avait épuisé tous les chemins pour annoncer le sauveur.»
Telle une brebis égarée, je reviens aussitôt dans le droit chemin. «On avait épuisé tous les chemins pour annoncer le sauveur. Un des fidèles de l’église a suggéré l’idée des pancartes, on ne savait même pas si on avait le droit», explique Lincoln, qui jure que l’idée derrière cette campagne n’est que de chercher une nouvelle façon de faire résonner le nom du seigneur. «On n’a jamais fait quelque chose du genre. On a eu une émission à la radio AM, une sur le web et des extraits de la messe sont régulièrement publiés sur Facebook, mais on souhaite toujours le meilleur pour notre Dieu», explique le révérend.
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Concrètement, la campagne consiste en l’installation de trois pancartes. Celle visible de l’autoroute fait 32 pieds par 54 et serait le plus gros super panneau publicitaire de Montréal. J’ai d’ailleurs confirmé l’info auprès de la compagnie Upfront media. «Ils m’ont dit qu’au moins 130 000 véhicules passaient chaque jour devant la pancarte», s’enthousiasme Lincoln, citant les enseignements de Jésus à ses disciples. «Il leur disait: ce que je dis à vos oreilles, allez le crier sur les toits».
Une autre pancarte (44 pieds par 10) se trouve près du métro Jean-Talon, sur le mur d’un supermarché. La dernière est un écran numérique ( 35 pieds par 10) sur Pie-IX. «Avec celle devant le métro et l’autre sur l’autoroute, on vise des clientèles différentes», note Lincoln.
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C’est le fidèle derrière l’idée des pancartes qui a aussi déniché les endroits pour les mettre, ajoute Lincoln.
«On a reçu l’évangile gratuitement et on doit le donner gratuitement»
Après notre entrevue, il s’apprête enfin à aller chercher sa roulotte de 24 pieds, qu’il accrochera après son pick up pour claironner la parole du Christ dans les rues de la ville. «On va distribuer des bibles. On a reçu l’évangile gratuitement et on doit le donner gratuitement», croit Lincoln.
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Même s’il assure ne pas vouloir tirer profit de cette campagne, celle-ci n’est pas donnée. Juste la pancarte de l’autoroute 40 lui coûte environ 25 000$ pour les quatre semaines de la campagne. Les deux autres sont moins dispendieuses, confie-t-il. Peu importe les frais, la cause est noble, insiste Lincoln. «Jésus Christ est le seul sauveur, le seul chemin menant à la vie éternelle. Il n’y a pas de prix pour le salut de l’âme», justifie le révérend, qui a l’intention de tout dépenser pour enseigner l’évangile du Christ.
La campagne est encore jeune, mais Lincoln mesure déjà son impact. «Des gens de d’autres églises m’appellent pour me dire qu’ils sont heureux de voir le nom de Jésus en aussi gros», se réjouit Lincoln.
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Il avoue que la pandémie a bouleversé la vie de son église, mais il se réjouit du déconfinement lui permettant d’enfin retrouver ses ouailles. «Il faut nous rassembler. Le but est de ramener les gens ici pour partager la bonne nouvelle», résume-t-il, simplement.
«J’ai quand même respecté le couvre-feu et toutes les règles sanitaires. Je ne suis pas plus avancé si on ferme, je ne vais pas faire la messe dans mon sous-sol»
Comme la COVID-19 s’avère un sujet hautement scientifique, je demande à Lincoln son avis sur la chose avec une lorgnette spirituelle. Le révérend répond sans ambages que Jésus avait prophétisé tout ça. Les guerres, les famines, les derniers jours et les pestes. La COVID est une peste, selon lui. «C’est sûr que tous n’ont pas la même foi, mais ici dans l’église nous n’avons aucune crainte de la COVID. J’ai quand même respecté le couvre-feu et toutes les règles sanitaires pour pouvoir garder l’église ouverte. Je ne suis pas plus avancé si on ferme, je ne vais pas faire la messe dans mon sous-sol», admet le révérend, qui peut désormais remplir les 149 bancs de son église.
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L’entrevue est finie, le moment fut très agréable. Avant de partir, Lincoln me tend un CD de sa fille Shiloh-Shiray, intitulé «Rejoice». Je lui promets d’écouter ça dans mon char en allant photographier les pancartes de son église tout à l’heure. Fun fact: Lincoln lui-même n’a pas encore vu celle sur l’autoroute. «Je l’ai juste aperçu dans mon rétroviseur, je vais la voir tantôt en allant chercher ma remorque!», lance-t-il.
Son humilité est déconcertante.
Moi, si je payais 25 000$ pour une pancarte, je camperais devant pendant toute la durée de la campagne.