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Les pairs: joies, peines et peurs d’un papa d’enfant trans

Un témoignage touchant qui nous fait repenser la notion de «tough».

Par
Alain Lalancette
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Être père d’un enfant trans, ça peut mener à beaucoup de questionnements et d’inquiétudes. Alain Lalancette* a voulu faire part de son expérience, pour peut-être aider les pères comme lui qui seront confrontés «aux stéréotypes, aux certitudes du genre, aux commentaires des “chums”, aux beaux frères, à la masculinité, aux chroniqueurs», etc.

Tu prends la route un mardi soir, décidé à t’y rendre enfin. C’est le printemps. Même si tu conduis vers l’ouest, le soleil couchant ne te gêne pas encore. Les trois dernières fois, tu n’as pas été capable d’y assister. Du moins, pas au complet. Les deux premières, tu as trouvé des excuses bidon pour annuler. Genre la congestion automobile. Et probablement la congestion nasale, la deuxième fois.

Le mois dernier, tu as pris ton courage avec tes deux grosses mains et a poussé la porte de la salle communautaire, en fixant tes lacets noués mollement. L’odeur s’apparentait à celle de ton école secondaire, à mi-chemin entre les effluves d’église et de mets chinois. Le terrazzo (vert, beige et gris) te rappelait aussi ton école. Tu as pris place dans le fond de la salle, près de la sortie. Tu as quitté en plein milieu de la rencontre, quand tu as senti les larmes humidifier tes cornées. Tu as rejoint ta famille avec le sentiment de la défaite accomplie. Ta blonde n’a pas bronché.

Tu as pris place dans le fond de la salle, près de la sortie. Tu as quitté en plein milieu de la rencontre, quand tu as senti les larmes humidifier tes cornées. Tu as rejoint ta famille avec le sentiment de la défaite accomplie.

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Sur l’autoroute, tu aperçois la sortie pour le centre-ville et tu hésites à l’emprunter. Ça serait si facile d’aller prendre une bière avec tes anciens chums de football. Ils se réunissent ce soir. C’est l’ouverture des terrasses et ils t’ont invité à te joindre à eux. Tu as toujours aimé ça, l’ouverture des terrasses. Cette chaleur, cette fraîcheur, cette douceur, ces rires. Cette abondance de peaux qui cicatrisent la rétine et génèrent des frissons, juste ici. Tu te gâterais probablement en te grillant une cigarette, ou trois, avec tes amis fumeurs. Comme dans le bon vieux temps. Mais pas ce soir. Tu dois y aller. En gardant le cap sur l’autoroute, tu te sens « tough ». Comme au football. Quand tu chargeais l’adversaire avec ton casque et qu’il percutait le sol sous ton impact. Tu n’hésitais pas à le traiter de « fif », dans ta tête, à le fixer dans les yeux pour t’imprégner de sa douleur. Tu regardais ton casque et tu débordais de fierté. Toutes ces marques multicolores, vestiges des contacts infligés aux équipes adverses. Ce soir, plus que jamais, tu te sens tough.

Elle rayonne comme mille soleils

Tu te diriges vers l’arrière de la salle. Encore. Le gars d’à côté a les yeux bouffis. Il vient de brailler, ça se voit. Tu prends place à ses côtés, pour amplifier ta force. À deux, on est toujours plus fort. Tu textes ta blonde pour lui confirmer ta présence. Elle te répond par un bonhomme sourire qui veut dire, tu en es sûr, qu’elle est fière de toi. Surtout, ne pas partir. Rester. Pour l’amour de ton enfant.

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Tu te dis que ce soir, tu ne parleras pas. Tu ne feras qu’écouter. Peut-être qu’un jour, tu discuteras. Et que les larmes ne monteront pas. Mais ce soir, tu feras équipe avec le silence.

En écoutant les autres pères, tu réalises que tu brailles. L’animateur (qui vit la même chose que tous les autres pères présents) te dit que tu n’as pas à te sentir mal. Qu’ils sont tous passés par là. Ça t’apaise, un peu. Et soudain, entre deux pensées défaitistes, tu mets ta situation en perspective. Tu te dis que ce n’est pas si pire. Vraiment. Que les gens évoluent. Que les chroniqueurs qui s’acharnent sur le sujet, sans en saisir toute la complexité, ne reflètent pas la société. Après tout, ta fille n’est pas malade. Et, depuis sa transition, elle rayonne comme mille soleils.

Tu te dis que ce n’est pas si pire. Vraiment. Que les gens évoluent. Que les chroniqueurs qui s’acharnent sur le sujet, sans en saisir toute la complexité, ne reflètent pas la société. Après tout, ta fille n’est pas malade. Et, depuis sa transition, elle rayonne comme mille soleils.

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L’image qui te vient en tête, à chaque fois que tu l’admires, c’est celle d’une chenille qui s’extirpe de son cocon et devient, après deux battements d’ailes, un papillon. Tu entends déjà les autres te dire que ton image de papillon n’est pas très originale. Plutôt minable, même. Tu pourrais te forcer un peu. Mais pour toi, cette image, elle veut tout dire. Alors tu la gardes en tête. Et tu te cales les fesses dans cette chaise pas si confortable. Et tu y retournes, à ces rencontres. Un jour, tu parles, tu discutes, tu échanges. Partager avec d’autres pères qui vivent exactement la même chose, ça t’aide. Vraiment.

Ta gueule, écoute, comprends

Tu finis par comprendre, même si tu brailles à chacune de ces rencontres. Un être humain, quand il se fait expliquer les choses clairement, il comprend. Surtout quand l’explication est teintée de ce sentiment impénétrable ressenti par un père pour ses enfants. Un gaillard de six pieds deux pouces, qui prend toujours place en avant de la salle, a déjà prodigué ce conseil à un autre père : « ta gueule, écoute, comprends. C’est tout. Pis si tu ne comprends pas, essaie encore ».

Au fil de ces rencontres, tu désapprends des certitudes reliées au genre. Tu réalises que toi, avec ta « toughness », tu ne t’es jamais questionné sur ton identité de genre. Ça coulait. Tu étais un gars. That’s it.

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Au fil de ces rencontres, tu désapprends des certitudes reliées au genre. Tu réalises que toi, avec ta « toughness », tu ne t’es jamais questionné sur ton identité de genre. Ça coulait. Tu étais un gars. That’s it. On t’a dit que pour un petit pourcentage d’humains, cette identité est plus complexe. On t’a dit qu’attraction sexuelle et identité de genre sont deux choses complètement différentes. Le football et le hockey.

La peur

Tu commences à lire les livres que ta blonde a commandés. Janet Mock, I am Jazz, Diane Ehrensaft et plus près de toi, Annie Pullen Sansfaçon. Tu t’ouvres à une réalité qui t’était inconnue. Tu fais des parallèles, tu apprends. Tu fais des liens. Et oui, tu comprends. Parce qu’il le faut.

Puis, tu réalises que tu ne brailles pas à cause de l’incompréhension. Tu brailles parce que tu as peur. Peur pour ta fille. Tu le sais maintenant.

Tu décides de t’éduquer et de tout faire pour outiller ta fille et surtout, d’être présent. Et pour l’avenir? Ça ira. De toute manière, tu es tellement tough.

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Quand tu étais au secondaire, tu en as écœuré des jeunes. Tu en as porté des jugements (tu en portes encore). Tu as été méchant, parfois. Pourquoi les autres n’en porteraient pas sur elle, des jugements? Pourquoi les autres ne seraient pas méchants avec elle? Tu connais les statistiques qui enrobent l’aura des personnes transgenres. L’avenir te fait peur. Tu décides de poursuivre ces rencontres mensuelles avec ces pères qui vivent la même chose. Ça t’aide. Tu décides de t’éduquer et de tout faire pour outiller ta fille et surtout, d’être présent. Et pour l’avenir? Ça ira. De toute manière, tu es tellement tough.

Si vous êtes parent.s d’un.e enfant transgenre et que vous cherchez de l’écoute, des réponses, des ressources, visitez le site Enfants Transgenres Canada.

*Nom fictif

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