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Les nouveaux médias sur Facebook ou tout savoir sur le kit en cuir de Ludivine Reding à Osheaga 

« On s’en câlisse tellement. »

Par
Hugo Meunier
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« Alicia Moffet publie une photo en bikini et ses abonnés réagissent », « Ludivine Reding dévoile de superbes photos de son voyage en amoureux » ou des souhaits d’anniversaire à Charles Lafortune : depuis le blocage des nouvelles par Meta il y a un an, Facebook héberge désormais une foule de nouveaux sites qui regorgent d’articles clickbait.

Vous les voyez certainement passer sur vos fils respectifs, comblant l’espace vacant laissé par les sites d’information traditionnels.

Spotted News, Tout Qc, L’Informateur, Le Rose Pingouin, Thug Life Québec, Vedette Québec, ConneriesQc, Ayoye : ces sites totalisent ensemble près de 3 millions d’abonnés, des statistiques à faire saliver les médias bannis de ces plateformes, qui tentent désormais de se frayer un chemin vers leur lectorat à grands coups d’infolettres.

Ces médias se définissent comme « des sites web de divertissement » et se consacrent aux potins, en employant des titres accrocheurs, à la limite trompeurs, souvent destinés à laisser l’internaute sur sa faim. Ces médias sont bien réels, et à ne toutefois pas confondre avec ces publications louches que vous avez vues passer où Normand Brathwaite ou Maripier Morin ont l’air d’avoir mangé toute une volée.

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Mais le fait de ne pas être des fausses nouvelles n’est pas un gage de crédibilité pour autant. Vous le réaliserez assez rapidement en découvrant qu’un article intitulé « Alicia Moffet est en train de vivre un moment extrêmement difficile » ne fait qu’annoncer que la chanteuse s’est barré le dos.

Rendu là, on peut se réjouir que ConneriesQc se limite au quotidien du vedettariat québécois en imaginant le type de superlatifs que le site utiliserait pour décrire la réalité des enfants coincés dans la bande de Gaza.

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Autre exemple classique, un titre fumant qui ne correspond en rien au contenu. Comme cette «controverse» sur le le lipsync de Céline Dion à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques alors qu’on cite un article de La Presse affirmant sans détour qu’il n’y a jamais eu de lipsync.

Sinon, on utilise des formules floues, comme : « Cette humoriste nous présente son chum connu » ou « Kim Lizotte partage une rare photo de ses enfants », question de mousser notre intérêt.

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La formule demeure la même, peu importe les sites mentionnés plus haut.

En gros, on pique une publication de vedette sur les réseaux sociaux (souvent Instagram) ou dans les médias traditionnels, on republie en donnant le crédit à la source, avec une capture d’écran de l’image originale. Ensuite, on brode quelques phrases d’une mièvrerie olympique de type :

« Si cette rumeur s’avère véridique, on ne leur souhaite que du bonheur dans cette nouvelle relation! » ou « Nous souhaitons un bel été à Alicia, sa fille et son amoureux. »

Enfin, on termine – peu importe le site – ces publications par un sondage d’une vacuité abyssale, afin de générer de l’engagement et bousiller à jamais votre algorithme.

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Ah! et ça, c’est sans compter la tendinite qu’on se fait à essayer de fermer les pop ups publicitaires qui pullulent de partout dès qu’on appuie sur ces fermes à clics. Nommée chumbox, il s’agit d’une stratégie promotionnelle souvent associée aux articles clickbait pour générer du trafic vers d’autres sites et pages web.

Est-ce que ça marche? Probablement, à en juger par le nombre de partages et de likes affichés sous ces publications, de même que le nombre de rédacteurs embauchés pour les produire. Et même si un commentaire sur deux exprime l’indifférence totale des internautes, voire leur haine sous le thème « on s’en câlisse », parions que ces trappes à clics fonctionnent à plein régime.

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J’ai tenté de démystifier leurs rouages en remontant à la source de cette malbouffe « journalistique », une mission qui s’est avérée plus périlleuse que prévu.

Y A-T-IL QUELQU’UN?

Dans cette maison des fous du clickbait, impossible ou presque d’entrer en contact avec l’un de ses artisans. Tous mes courriels envoyés aux collaborateurs, rédacteurs et gestionnaires désignés sur les sites ont rebondi. Pas plus de succès directement sur les réseaux sociaux où mes nombreuses demandes d’entrevue sont demeurées lettre morte.

L’an dernier, Le Devoir avait déjà tenté de creuser le sujet, révélant que plusieurs de ces sites étaient gérés par une seule entreprise.

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Pour ma part, j’ai découvert que l’un d’entre eux, Le Rose Pingouin, renvoyait à une compagnie à numéro, dont la description de tâches allait comme suit : « réseau social en ligne, vente de publicité en ligne ».

Fait à noter : plusieurs rédacteurs alimentent simultanément plusieurs de ces sites, ce qui expliquerait pourquoi on lit les mêmes histoires partout, écrites pratiquement de la même manière et publiées à quelques minutes d’intervalle. Même les photos coiffant ces « nouvelles » sont souvent les mêmes, à une variante près.

Éviter les vraies nouvelles

J’étais sur le point d’abandonner ma quête lorsque j’ai finalement réussi à m’entretenir avec une artisane d’un de ces sites, en échange de son anonymat. Même chose pour le site pour lequel elle travaille.

« On n’est pas beaucoup d’employés. Ça va se savoir sinon… »

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La rédactrice, qui a étudié en journalisme, est entrée en poste le printemps dernier, soit peu de temps après le blocage des nouvelles sur Meta. Un emploi facile avec des horaires souples, en télétravail, compatible avec la vie étudiante, résume-t-elle. « J’aimerais trouver autre chose, mais j’ai eu du fun à le faire pendant mon bac. C’est mieux qu’une job de service à la clientèle », fait valoir la jeune femme, qui ne crie pas sur les toits cette première expérience dans les médias. « Je fais quasiment l’inverse de ce que j’apprends dans mes cours de journalisme », admet-elle.

Plutôt que de produire des dossiers de recherche et des reportages, la tâche des rédacteurs est de repérer des potins sur les réseaux sociaux et d’en tirer du contenu. « J’ai pas d’entrevues à faire et ça me prend environ 20 minutes par article. Je dois en faire environ cinq par quart de travail », explique la rédactrice. « Notre boss s’assure qu’on ne fait pas de vraies nouvelles pour éviter qu’on se fasse bloquer à notre tour. C’est pour ça qu’il ne voulait pas qu’on touche à la séparation de Justin Trudeau, vu la dimension politique », raconte notre taupe.

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Pour que les gens cliquent, il existe des valeurs sûres. Suffit de flâner un peu sur ces sites pour les identifier. Si je résume grossièrement : les changements capillaires, Ludivine Reding en maillot, les ruptures, les animaux, les enfants, Ludivine Reding en maillot, les nouveaux chums/blondes, les voyages, tout ce qui touche Céline Dion, les controverses et Ludivine Reding en maillot.

« Notre public cible, c’est les femmes de 50-60 ans, donc les séries télévisées populaires fonctionnent aussi », ajoute notre rédactrice mystère, qui calcule consacrer environ 30 heures par semaine à alimenter le site qui l’emploie. « Je travaille d’où je veux, l’ambiance est quand même chill. J’envoie mes idées de sujets et le boss les approuve. La majorité du temps, c’est moi qui trouve les sujets », explique-t-elle, soulignant ne pas se sentir en compétition avec les autres sites du genre. « Si le boss voit quelque chose de gros sortir ailleurs, il va nous l’envoyer, mais on ne nous met pas de pression », assure-t-elle.

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Côté salaire, elle dit gagner quelques dollars de plus que le salaire minimum. « On est quelques journalistes, j’imagine que ça fonctionne bien. La pub doit être payante, je travaille là et moi-même, ça me rend un peu folle quand ça pop de partout », avoue-t-elle.

Craint-elle de s’attirer les foudres des vedettes qui se retrouvent malgré eux/elles dans ses contenus? « Non, on essaie le plus possible de faire attention et on prend des photos sur leurs réseaux sociaux. Sarah-Jeanne Labrosse a plus d’abonnés que nous. »

« On ne va pas aller chercher les jeunes à coups d’infolettre! »

De son côté, le président de la Fédération des journalistes du Québec (FPJQ) Éric-Pierre Champagne constate que le blocage des nouvelles laisse le champ libre à la désinformation. La prolifération des sites à potins lui rappelle la rémunération à cinq dollars l’article proposée il y a quelques années par l’entrepreneur Olivier Primeau pour alimenter son défunt blog Beachnews Everyday. L’histoire avait soulevé l’ire du milieu journalistique. « Là, c’est différent. Les sites reprennent les nouvelles, citent leurs sources. La ligne est un peu mince, mais au minimum, c’est la chose à faire », croit Éric-Pierre, joint pendant ses vacances dans le Maine.

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Si ces sites ne font rien de mal, la FPJQ s’inquiète néanmoins pour les médias traditionnels qui tentent de maintenir la tête hors de l’eau avec 80% de perte en revenus publicitaires.

« Qu’on le veuille ou non, tout passe par les réseaux sociaux. On ne va pas aller chercher les jeunes à coups d’infolettres », explique Éric-Pierre, accusant les géants du web de se comporter en voyous.

Si les médias traditionnels dressent malgré tout un bilan relativement positif de l’an un du blocage par Meta, le président de la FPJQ estime que le succès d’aujourd’hui ne peut toutefois pas être garant de l’avenir. « Si les gros médias traditionnels s’en sortent plutôt bien, on est conscients que les petits médias habitués d’aller chercher du reach sur les réseaux sociaux souffrent. Tant mieux si ça va bien pour La Presse, mais dans cinq-dix ans, avec le déclin des lecteurs, le portrait risque de changer », redoute Éric-Pierre, qui s’insurge aussi du retour des sites comme Narcity et MTL Blog sur Facebook et Instagram alors que les autres médias demeurent bloqués.

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À son avis, nous devrions être collectivement plus indignés par ce blocage, qui limite l’accès à l’information d’une frange importante de la population. « J’ai deux enfants de 28 et 31 ans. Leur père est journaliste depuis 30 ans et aucun des deux ne consulte La Presse. Pas de façon régulière, en tout cas. Les jeunes s’informent beaucoup sur les réseaux sociaux, c’est une réalité. Alors, comment aller les chercher? Personne n’a encore trouvé la recette », constate-t-il, citant néanmoins quelques initiatives louables comme RAD ou Les As de l’info.

Malgré ce sombre portrait, Éric-Pierre Champagne n’a pas l’impression de défendre une cause perdue.

« Malgré tout, je trouve qu’il se fait du bon journalisme au Québec. C’est le modèle qui est brisé. Comment générer des revenus pour payer des journalistes? Je demeure dans le camp des optimistes, mais le défi est immense. »

Toujours vivants

« On est encore là. »

C’est la réponse de mon boss, Philippe Lamarre, lorsque je lui demande comment on s’en sort après un an de blocage sur Meta.

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« L’effet de la Loi a été de sensibiliser une partie de la population à soutenir les médias locaux et de s’abonner. Mais on a parlé aux initiés. Les plus jeunes et ceux qui sont le plus dur à aller chercher, on les a largués », déplore Philippe, d’avis que la montée en polarité des sites mentionnés ci-haut est un symptôme de cette nouvelle réalité.

« Il y a toute une strate de la population qui n’a pas appris à se nourrir ailleurs que sur ces sites. Ils les consomment comme du fast food et ensuite, on se demande pourquoi les gens sont obèses. »

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Philippe croit que les médias ont été trop dépendants de Meta et des revenus publicitaires générés par ses plateformes. « La réalité, c’est qu’on a oublié que le lien direct avec le lectorat est la chose la plus précieuse. Un lien qu’on a oublié en sautant chaque fois sur la nouvelle saveur virtuelle du mois. C’est comme si on était des athlètes sur les stéroïdes à qui on aurait enlevé les stéroïdes. »

Le patron d’URBANIA craint plutôt l’impact d’un tel blocage chez les jeunes, qu’il faut éduquer et tenter de rejoindre via un mode plus artisanal. « Il faudrait leur apprendre à s’informer dès leur plus jeune âge, à l’école. J’ai proposé à mes enfants de leur payer un iPad, à condition qu’ils l’utilisent pour lire La Presse +, et ils ont ri… », soupire Philippe, ajoutant que les véritables conséquences du blocage chez les jeunes risquent de se faire sentir dans quelques années.

Mince consolation, les jeunes risquent au moins de tout connaître sur Ludivine Reding et les vacances de rêve de Sébastien Benoît.

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Correctif: Dans la première version, j’ai associé à ces nouveaux sites Showbizz.net, une marque établie dans le paysage culturel québécois, qui n’aurait pas dû être amalgamé avec les sites qui ont profité du blocage des médias sur FB. Comme mon reportage porte sur les médias qui ne sont pas bannis sur Facebook, celui-ci s’est hélas retrouvé associé de manière malencontreuse . Mes excuses.