.png)
Les nouveaux bars western à Montréal : on aime ou pas?
Je sens mes jambes faiblir. Le plancher vacille d’un bord à l’autre de la salle. La nausée est insurmontable. Je regrette amèrement d’avoir accepté cette pochette de ZYN que ce cowboy urbain m’a si gentiment offerte. J’avais déjà chiqué du tabac par le passé, mais à mon souvenir, aucune chute de pression n’avait accompagné l’expérience.
Pourquoi avoir accepté cette offrande de nicotine, un dimanche soir, dans un petit événement western sur Saint-Laurent?
Tout part d’un constat voulant que la musique country avait la cote chez les jeunes du Québec, entre autres grâce aux plateformes de streaming. Récemment, plusieurs artistes se sont joints au rodéo : Beyoncé, Post Malone… j’ai même entendu quelqu’un dire qu’il attendait impatiemment l’album country de Céline! Franchement.
Une vague qui semble maintenant s’être propagée jusque dans nos bars montréalais.
L’ère des microbrasseries et buvettes fancy a-t-elle reçu un coup de sabot dans les jarrets? Une tournée des nouveaux bars western montréalais était nécessaire pour comprendre de près ce nouveau Klondike.
Deux cowboys, une mission
Étant encore un néophyte, je ne pouvais accomplir cette quête seul. J’ai donc appelé en renfort mon bon chum Phil qui, en plus d’avoir grandi entouré de chevaux, est aussi un ancien cavalier de courses de tonneaux en rodéo. Aussitôt l’expédition mise en marche, mon comparse me fait rapidement réaliser qu’il manque un élément crucial à mon accoutrement : un beau chapeau comme le sien.
.jpg)
Un arrêt dans une institution montréalaise de l’avenue Saint-Hubert depuis déjà 36 ans s’impose. Johnny, propriétaire et vendeur chez Boulet Bottes Western nous accueille à bras ouverts dans son commerce.
– Par hasard, vendez-vous des chapeaux, ici?
– Voyons les gars, y a juste des bottes icitte.
Malgré cette déception, je comprends vite pourquoi son commerce est si populaire. Son épice secrète, c’est Johnny. La vague country, il l’a vue venir bien avant tout le monde.
L’homme d’affaires est propriétaire du bâtiment depuis ses débuts et sa passion pour les bottes de cuir de qualité le fait travailler sept jours sur sept.
En plus, le commerce est situé à une minute de marche du Spaghetti Western. Que demander de mieux?
Malheureusement, ma quête pour un chapeau, elle, commence très mal. Me prenant en pitié, le bottier me laisse partir avec un des chapeaux de fortune avec lesquels il habille sa vitrine.
– Revenez quand vous voulez, les garçons! Oubliez pas de me ramener mon chapeau.
Ce sera la dernière fois qu’il le verra, il ne le savait juste pas encore. Bye bye, mon cowboy.
Un bon spag pour commencer la tournée
En ce moment, le Spaghetti Western, c’est le talk of the town. Quand il est question de bars country à Montréal, c’est un incontournable. Dès les premières heures de la soirée, on peut être assuré qu’il y aura une file à l’entrée. On décide donc d’y aller dès son ouverture, autour de 17h, pour profiter du calme avant la tempête, et aussi pour savourer le fameux spaghetti qui lui a valu son nom.
Mon acolyte m’invite à prendre place au bar. Antoine, le gérant, nous souhaite la bienvenue.
– Deux Coors Light!
– Connaisseur! T’es déjà un vrai cowboy, si tu commandes la montagne bleue, réplique mon ami.
– Allez-vous manger aussi?, nous demande le gérant.
On lui fait un petit hochement de tête. Antoine nous décoche un sourire en coin et part en cuisine chercher la ripaille.
De grandes lattes de bois jonchent le plancher, les murs et plafonds pullulent de reliques à saveur western et des téléviseurs diffusent de vieux broadcasts de danse en ligne. Cet automne, le saloon de la rue Saint-Hubert va fêter sa première année d’ouverture.
.jpg)
À côté de nous, un groupe de femmes hurle un « Surprise! » semi-assumé alors que la fêtée qui vient d’arriver réalise qu’elle s’est fait avoir dans un hold-up d’anniversaire. Aussitôt installées, elles tentent leur chance sur la roue de fortune. Le concept est simple, on paie une modeste somme de 2$ pour tourner la roue et courir la chance de gagner un drink. Quel blaireau ne tenterait pas sa chance? En plus, au prix que la bière est rendue!
Pendant que mon compatriote me raconte ses exploits de jeunesse dans la région de Saint-Tite, le gérant nous apporte la pièce de résistance. Je dois avouer avoir été amèrement déçu par la grosseur de la portion (une autre victime de la réduflation), mais j’ai été réconforté par le goût de la sauce. Par contre, je laisserai Oli Primeau vous donner une note sur dix.
Bottes & Whiskey – Le saloon du Plateau
Après le coucher du soleil, nous avions rendez-vous avec Carlos, le copropriétaire du nouveau saloon de quartier, le Bottes & Whiskey. Fraîchement ouvert depuis août, l’ancien local de la Distillerie situé sur l’avenue du Mont-Royal reprend les codes d’une taverne de quartier. Le bar est au centre, il ne manque pas de places assises, quelques néons décorent les murs et de grosses télés montrent des compétitions de rodéo.
.jpg)
« J’ai longtemps travaillé dans l’industrie des bars à Montréal, mais j’avais le goût, un jour, d’avoir une place plus conviviale. Quand mes partners sont revenus d’un trip à Nashville avec des étoiles dans les yeux, c’est là qu’on s’est dit : “on le fait!” », raconte l’homme vêtu d’une chemise sans manches et d’une moustache bien entretenue.
.jpg)
« Ça, c’est une idée unique à ici. Les clients peuvent s’acheter une bouteille au bar et l’entreposer. Comme ça, à chaque fois qu’ils viennent, on leur sort leur bouteille, des verres, et ils peuvent boire leur drink comme de vrais cowboys », nous explique fièrement Carlos.
« Pis ces initiatives-là, est-ce que c’est parce que tu sens que la compétition est féroce, entre les bars country qui ouvrent à Montréal? » Je lui demande ça avec une face de gars tough qui se tient dans des saloons.
« Pas du tout. Au contraire, on se connaît, entre propriétaires, et je pense que l’un nourrit l’autre. Moi, ici, j’ai juste hâte de commencer à faire des événements, que les gens se sentent chez eux. Mon rêve, ça serait de montrer le Canadien en séries dans mon bar. »
Rêve partagé, mon gars. Rêve partagé.
.jpg)
2656 Masson – Pour l’amour de la booze
L’ultime arrêt et non le moindre, le plus jeune des trois poulains, le 2656 Saloon sur la Promenade Masson. Nous étions à peine rentrés dans la place que nous sommes accueillis avec fougue par Mikko, copropriétaire du bar et son associé. Une fois les présentations faites, son partner s’emballe :
« Voyons! Vous êtes journalistes et y a personne qui danse! Crisse! »
Il quitte aussitôt ses fonctions, crinque Cotton Eye Joe dans le bar tout en invitant ses clients à suivre le mouvement. Le temps de dire « yeehaw » et j’ai déjà perdu mon ami.
.jpg)
J’en profite pour échanger avec Mikko. On s’installe au bar à côté d’une gang qui a préféré jouer aux dés plutôt que de danser. Originaire de Saint-Grégoire, c’est aussi la musique country qui l’a placé sur le droit chemin. Avec notre charmant danseur et un autre associé (qui est aussi agriculteur à temps plein), ils ont décidé de reprendre la place (qui était aussi anciennement une Distillerie). Depuis, la mission est simple : plaire à l’ancienne clientèle de la place tout en faisant découvrir l’univers du country à des néophytes.
.jpg)
Alors que mon ami Phil me rejoint pour nous négocier des shots, Dave, un habitué de l’ancienne place, nous accoste : « Moé, j’aime pas le country, mais ici, ça passe. Ils ont réussi à garder la place en vie et on peut en sortir du fun. »
.jpg)
S’en est suivi, je l’avoue, une belle exploration de la carte des alcools. Bien que je voudrais donner mon étoile du shérif au Bloody Caesar (qui m’a fait aimer le Bloody Caesar, un miracle), c’est au Coup de 12 que je me dois de la donner. C’est un shot de chartreuse rehaussé de sauce piquante qu’on boit à même une cartouche… de 12. Très redneck, je me suis jamais senti aussi vivant.
.jpg)
Le reste de la soirée est assez flou. Nous sommes retournés à notre premier arrêt (le Spag, là, pas chez Johnny) pour tenter de jaser avec des adeptes, mais nous n’étions pas les seuls à être dans un élan de fête. J’ai quand même pu, encore une fois, être témoin de la popularité de la place.
Cette brosse aux arômes de whiskey n’était toutefois pas assez pour m’aider à déterminer si on aime ou pas cette urbanisation du country. Il me fallait donc, une fois bien reposé, parler à un pro.
Cette montée en popularité, on aime ou pas?
Deux jours plus tard, c’est avec une légère gueule de bois que je suis allé rencontrer Chuck, qu’on pourrait qualifier de plus grand amateur de danse en ligne que je connaisse. Pour l’occasion, il m’a invité à son premier cours de danse en ligne à la Sala Rossa, alors que se tenait un événement rassemblant plusieurs artistes locaux.
.jpg)
Chuck a lui aussi grandi entouré de chevaux dans le monde de l’équitation, mais n’a jamais accordé plus d’importance que ça à l’univers du country jusqu’à l’hiver passé où il a accepté d’exaucer le souhait d’un chum d’aller dans une soirée de danse en ligne afin d’apprendre les rudiments de la pratique. C’est donc au Honky Tonk de Lachine qu’une passion est née chez lui.
« Quand j’ai commencé à danser, il y a 8 mois, j’arrêtais pas de dire que j’allais pas me mettre à porter les accoutrements de cowboy. Et regarde-moi, aujourd’hui : je porte ça de la tête aux pieds.
« Je mets beaucoup trop d’argent là-dedans, ça n’a pas de bon sens. »
C’est d’ailleurs au Spaghetti Western que j’ai vu pour la première fois Chuck danser jusqu’aux petites heures du matin. Tous les regards étaient tournés vers lui, ou vers ses bottes, en fait.
« Tu sais, la danse en ligne, c’est une culture qui peut être très opaque, et ça s’explique entre autres parce que c’est runné par du vieux monde qui utilisent surtout des groupes Facebook pour partager les événements. Donc, l’effort de transmission, surtout en ville, est moins là. Quand on ne connaît pas la danse, ça devient rapidement intimidant, mais à des endroits comme au Spag, je vois que les gens regardent […] et des fois, faut juste suivre le pas pour apprendre. Ça fait du bien que des jeunes y participent de plus en plus », résume-t-il.
Au terme de cette quête farouche, je lui demande ce qu’il pense du fait qu’une nouvelle vague de country prend le Québec d’assaut, et surtout, la métropole. Chuck me regarde, s’accote sur le bar avec l’assurance d’un cavalier du Far West pour me confier :
« Regarde, moi, ce que j’aime pas, c’est justement ceux qui veulent gatekeeper une culture. Que des bars comme ça ouvrent à Montréal, c’est le fun. Quand on me regarde, y a personne qui le sait, que ça fait 15 ans que je suis pas embarqué sur un cheval. Le country a longtemps eu la réputation d’être intolérant et un peu redneck. Mais comme dans toutes choses, des jeunes, il en faut. Pis regarde, à soir, t’as une partie de la communauté country queer qui est là. Et ça, c’est hot. »
Je me tourne vers la scène et je réalise qu’on était en train de manquer un spectacle burlesque. Wow, quel dimanche soir!
Du coin de l’oreille, j’entends : « As-tu déjà fait ça du ZYN? ».