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Les musiciens et musiciennes du métro enfin de retour sur scène
« C’est-tu correct, ce chandail-là? », demande Daniel à Johanne, sa blonde, quelques minutes avant notre départ vers le métro Berri. C’est un grand jour pour lui et les dizaines de musiciens et musiciennes du métro de Montréal : après 19 mois de pause pandémique, ils peuvent enfin redonner une âme au souterrain.
J’ai voulu vivre ce retour en compagnie du vétéran Daniel Lalonde, qui roule sa bosse depuis toujours avec sa musique. Aussi président du Regroupement des musiciens du métro de Montréal, il était la personne idéale pour me faire vivre ces retrouvailles de l’intérieur.
Pendant que Daniel se prépare, Johanne me montre des vidéos d’une performance donnée par son chum et son band l’été dernier sur le boulevard Saint-Laurent, où il se produit parfois grâce à un permis de la ville. Sur les images, les gens dansent, chantent et s’éclatent sur Come Together des Beatles, le groupe fétiche du chansonnier.
Il me raconte d’ailleurs la fois où il a rencontré son idole Paul McCartney il y a dix ans à Montréal, une histoire rocambolesque. En gros, il enfilait des succès des Beatles autour du centre Bell, la veille du show de Sir Paul. « J’avais joué dans le métro dans le but de ramasser de l’argent pour aller voir son show, mais à 400 $ le billet, j’étais pas capable », se remémore Daniel, qui a finalement obtenu mille fois mieux qu’une place dans les gradins.
« Je venais de finir Eleanor Rigby, j’ai levé la tête et il était là à me regarder, la vitre baissée à l’arrière de sa limousine. Il m’a fait un thumb up », décrit Daniel, qui s’est alors précipité vers lui avec sa guitare et le feutre qu’il avait traîné avec lui, juste au cas où… « Make it fast! », lui a lancé le Beatles en lui décochant un clin d’œil.
Il garde depuis précieusement l’instrument adoubé par la signature de la légende du rock.
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« J’ai mes clés, mon masque », marmonne Daniel Lalonde pour lui-même, enfin prêt. Il a pratiqué de nouvelles chansons et ça fait un an et demi qu’il place de nouvelles partitions dans son cartable. Il joue surtout du vieux rock, des classiques, en français et en anglais. Il a joué durant une décennie avec son fils bassiste, avant que ce dernier ne se déniche un emploi en réfrigération, après des études payées avec l’argent amassé dans le métro.
« Je suis arrivé à Montréal de Gatineau en 2011 et j’ai couché une semaine au parc Lafontaine avant d’aller louer une chambre près de mon fils venu étudier ici », souligne Daniel Lalonde, qui a écumé les bars de la province tout au long de sa carrière musicale aux antipodes du succès instantané d’une téléréalité.
«Parfois, je fais seulement 20 $ en deux heures, alors je vais devoir budgéter et faire plusieurs stations. Mais c’est le prix à payer pour vivre de sa passion»
Pendant la pandémie, il en a un peu bavé avec un emploi de concierge dans un immeuble à logements. À voir le sourire estampé dans son visage, on devine qu’il est content de renouer avec son gagne-pain de musicien.
« Parfois, je fais seulement 20 $ en deux heures, alors je vais devoir budgéter et faire plusieurs stations. Mais c’est le prix à payer pour vivre de sa passion », résume avec optimisme Daniel.
Je l’aurais bien écouté des heures comme ça, mais le temps presse et le musicien a réservé un espace dans le métro Berri à 9 h 30.
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Une réservation en ligne, puisque la Société de transport de Montréal (STM) a profité de la pandémie pour moderniser son fonctionnement.
«Il y a plus de 200 musiciens, la compétition est forte.»
Avant, les musicien.ne.s devaient réserver leur plage horaire sur un bout de papier abandonné derrière les affiches de lyre de la cinquantaine d’endroits leur étant dédiés. « Là-dessus, il y en a une vingtaine d’intéressants pour faire de l’argent. Et comme il y a plus de 200 musiciens, la compétition est forte. Au moins, il existe des permis pour jouer dehors, mais l’hiver approche… », explique Daniel Lalonde durant notre trajet dans ma voiture jusqu’au métro Berri.
Pour son retour, il a réservé l’espace situé dans le couloir menant à la ligne jaune vers Longueuil, un lieu prisé et apparemment payant.
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COVID oblige, il n’y a que cinq aires musicales ouvertes présentement et les artistes doivent jouer et chanter avec un masque (sauf ceux et celles qui possèdent des instruments à vent, forcément). « Une soixantaine de musiciens se sont déjà inscrits et 70 % des places sont réservées pour la semaine. On risque d’augmenter le nombre d’endroits pour jouer graduellement », explique le porte-parole de la STM Philippe Déry, venu me retrouver durant le shift de Daniel.
Pour l’heure, il y a donc trois lyres ouvertes à Berri-UQAM, une à Jean-Talon et une autre à Guy-Concordia, de grandes stations névralgiques et achalandées.
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Daniel s’installe, sort sa guitare de son étui et ajuste les cordes neuves, achetées la veille. Il traîne aussi un petit banc et une glacière des Canadiens. Il jette quatre dollars et vingt-cinq dans le case ouvert, sorte de superstition pour inciter les passant.e.s à faire de même. Même chose pour un toutou porte-bonheur qu’il traîne en permanence.
«Le monde a moins de monnaie dans ses poches depuis la pandémie. Les bons temps sont derrière pour les musiciens dans le métro, mais plusieurs avaient besoin de revenir»
Mais le musicien ne se berce pas d’illusions non plus. « Le monde a moins de monnaie dans ses poches depuis la pandémie. Les bons temps sont derrière pour les musiciens dans le métro, mais plusieurs avaient besoin de revenir », croit Daniel, qui invite les gens à prendre quelques pièces de leur pot de change s’ils prévoient prendre le métro.
Pendant que Daniel dépose son cartable sur un petit lutrin, un homme âgé avec un étui de saxophone s’avance vers nous. Daniel se lève d’un bond pour l’accueillir, visiblement heureux de retrouver un visage connu.
À 72 ans, Ginady joue dans le métro depuis belle lurette et ne cache pas sa fébrilité. « Je suis rentré de Moscou, d’où je viens, il y a un mois et j’avais hâte. Je ne peux pas rester 24 h sur 24 à la maison, je dois jouer », plaide le saxophoniste réservé, qui dépose son instrument en dessous de la lyre, en attente du prochain bloc. « C’est un grand musicien, qui a joué dans de gros bands en Russie », louange Daniel au sujet de son modeste camarade.
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Daniel brise la glace en douceur avec J’ai souvenir encore de Claude Dubois, une de ses chansons favorites.
C’est dans un vieux taudis,
que dix ans de ma vie,
j’apprenais à mentir, pourquoi vieillir.
Daniel n’a pas encore attaqué le deuxième couplet que la voix de la STM l’enterre pour rappeler l’importance de suivre les règles sanitaires.
Les premiers troupeaux d’usagers et usagères passent devant le musicien sans ralentir. Certain.e.s ne lèvent même pas leurs yeux vissés sur leur cellulaire. Rien pour décourager Daniel, qui en a vu d’autres. « C’est lundi matin pour tout le monde », tranche-t-il, bon joueur, avant d’enchaîner avec le pimpant ver d’oreille Salut les amoureux de Joe Dassin dans l’espoir d’égayer le couloir morne menant au quai de la ligne jaune.
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Ça fonctionne. Des gens sourient, une dame s’immobilise, fouille dans sa sacoche et va déposer quelques pièces dans l’étui à guitare. « Je suis donc contente de les revoir! On dirait que la mort est passée ici depuis que personne ne chante », commente à chaud Noëlla, une employée du casino qui passe ici quatre fois par semaine.
Daniel poursuit son set avec Femme de rêve, une autre chanson de Dubois. « C’est ma toune! », s’exclame Linda, une résidente de la Rive-Sud, avant d’aller à son tour lancer une pièce.
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Plus l’heure avance, plus les gens se montrent généreux et mettent leur vie momentanément sur pause pour profiter du spectacle. « Je passe souvent ici et je trouvais ça plate sans la musique », confie Natacha avant de poursuivre son chemin.
Un autre musicien s’amène avec son instrument. Jeff s’apprête à vivre son baptême. « Je n’ai jamais joué dans le métro de ma vie, je suis un peu nerveux. Où sont les toilettes? », demande le jeune violoniste, qui prévoit jouer La vie en rose d’Édith Piaf en premier.
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Avec son tambourin accroché au pied, Daniel met le feu dans le couloir avec Come together des Beatles, une de ses valeurs sûres. Une jeune femme filme la scène avec son cellulaire. Une autre dame extirpe dix dollars de sa sacoche, qu’elle dépose dans l’étui. « Je m’occupe du site web des musiciens sur le site de la STM. Ils ont été patients et leur présence humanise les déplacements dans les transports », philosophe Sylvie Bussière.
«On est présentement à 54 % de notre achalandage habituel, avec 577 000 déplacements quotidiens»
Son collègue Philippe Déry s’enthousiasme aussi de ces retrouvailles avec les usagers et usagères. En espérant que le variant Omicron ne vienne pas trop fucker le chien. « On est présentement à 54 % de notre achalandage habituel, avec 577 000 déplacements quotidiens », fait savoir le porte-parole de la STM. De quoi donner de l’espoir aux musicien.ne.s éparpillé.e.s dans le réseau souterrain.
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Je quitte Daniel sur sa jolie interprétation de In my life des Beatles, qui s’évapore au son des claquements de bottes dans le couloir écho.
I know I’ll often stop and think about them,
In my life, I love you more.