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Les moutons noirs de la vaccination
À l’heure du grand déconfinement, est-ce les réfractaires au vaccin ou ceux qui branlent encore dans le manche vont se tenir loin des piqûres en se disant que ce n’est plus nécessaire?
J’ai trouvé quelques spécimens pour en jaser. En échange de leur anonymat, ils m’ont raconté leurs réticences, apportant des points de vue plutôt nuancés à des années-lumière des histoires de 5G et de réseaux pédosatanistes.
Bref, des moutons noirs ordinaires habitant un pâturage près de chez vous, qui ne nient pas l’existence de la pandémie, mais ressentent un malaise à voir leurs réseaux sociaux inondés de gens en larmes avec une aiguille dans le bras qui suivent à leurs yeux trop docilement les recommandations de la Santé publique.
Mettre l’argent ailleurs
Marie-Pierre est la première à m’avoir contacté (j’ai lancé un appel via Facebook). Genre que ça n’a pas pris cinq minutes après mon post. «Sauf pour les personnes âgées et en mauvaise santé, pour moi il s’agit d’une grosse dépense d’argent inutile. Je ne compare pas la COVID-19 à la grippe, mais on ne demande pas aux jeunes en santé de se faire vacciner pour la grippe», s’interroge-t-elle à voix haute, ajoutant ressentir un profond malaise envers certaines injustices liées à cette campagne de vaccination. «Pour moi, on aurait dû envoyer nos vaccins ailleurs, prendre les doses de nos trentenaires en santé pour les donner à des sexagénaires qui en ont vraiment besoin dans des pays dans le besoin», souligne Marie-Pierre.
«Mes ami.e.s me connaissent et savent que je suis un peu sur le fringe side of things, mais j’essaye pas de convaincre personne.»
Mais bon, Marie-Pierre vit sa dissidence en silence, loin des vidéos filmées fâchées au cellulaire dans son char. «Mes ami.e.s me connaissent et savent que je suis un peu sur le fringe side of things, mais j’essaye pas de convaincre personne», soupire la Montréalaise. Elle aurait aimé voir tout l’argent consacré aux vaccins aller directement dans les hôpitaux.
À l’instar de toutes les personnes interrogées ici, l’éventualité d’un passeport vaccinal obligatoire est la seule chose qui pourrait un jour la forcer à prendre rendez-vous. Mais pas maintenant. «Au pire, je ne voyagerai pas pour un bout. Je ne suis pas encore rendue là», tranche-t-elle.
«On n’a aucun recul sur les effets secondaires»
«J’ai moyennement l’intention de me faire vacciner. Si tu veux jaser respectueusement et sans me faire la morale: je suis dispo», m’a écrit pour sa part Sara, qui a un peu l’impression de dire «je ne suis pas raciste, mais…» lorsqu’elle s’autoproclame non complotiste. «Ma plus grosse critique est qu’on n’a tout simplement aucun recul sur les effets secondaires de ces vaccins», estime-t-elle d’emblée.
Et ce ne sont malheureusement pas les arguments de la Santé publique à l’attention des gens qui hésitent qui vont la convaincre de rouler sa manche.
«Je préfère attendre. Si ça le prend pour voyager, on avisera.»
Se disant pourtant «progressiste» avec un «P» majuscule, sensible au bien commun, elle rumine en silence dans son coin, se contentant pour le moment d’observer. «Je préfère attendre. Si ça le prend pour voyager, on avisera. Mais j’aime juste pas l’idée de servir de cobayes à l’échelle humaine», explique Sara, une bébitte sociale qui avoue avoir entretenu des liens sociaux tout au long de la pandémie. «Pas des gros partys, je me considère prudente et respectueuse des règles. J’ai fait preuve de bon sens, même si je sais que le bon sens est élastique», philosophe-t-elle.
Son chum est pour sa part vacciné, ce qui ne cause aucun remous dans le couple. «Il est très proche de mon point de vue, mais il est un peu pissou et n’a pas été capable de tenir son bout à cause de sa mère qui insistait en appelant presque chaque jour pour le convaincre», conclut Sara en riant.
Ne pas se sentir concerné
Le climat était plus explosif chez Cédric, qui admet sans détour que le vaccin constituait un sujet de discorde, au point de mettre son couple à rude épreuve. «Constituait», puisque le père de famille a finalement été se faire vacciner, à reculons. «J’ai juste pas l’impression que ça a été une maladie qui me concerne. J’ai l’air d’avoir pas de coeur, mais je suis un gars factuel», admet-il avec aplomb.
Cédric assure n’être absolument pas contre les vaccins, mais estime que quelque chose cloche avec celui-ci qu’il considère «développé à la sauvette».
«Je ne veux rien savoir d’une société où l’on vise le risque zéro.»
Comble de l’ironie, c’est lui qui a été désigné comme responsable de la campagne de vaccination des employé.e.s au sein de l’entreprise où il travaille. C’est d’ailleurs pour ça qu’il a été se faire vacciner, histoire d’être conséquent avec cette nouvelle mission. «Mais je n’ai pas l’impression que ça va me sauver la vie», affirme Cédric, qui digère encore mal certaines mesures imposées durant la crise. «Quand je vois mon petit homme de sept ans sortir de la van le matin avec son masque pour aller à l’école, je trouve ça tellement imbécile. Je pense être capable de faire preuve de jugement et je ne veux rien savoir d’une société où l’on vise le risque zéro», tranche-t-il.
« Not gonna happen! »
« Y’en a pas un criss qui va me vacciner leur marde qui sert à rien, ni mes kids. Not gonna happen », m’écrit Justin (pseudo railleur), en colère.
Ce dernier ne mâche pas ses mots – ni ses jurons – pour descendre en flamme la vaste campagne de vaccination actuelle. « Depuis que je suis au monde que je vois les médias remettent constamment en question les décisions du gouvernement, mais là tout le monde est d’accord avec ce discours unique et personne ne pose la moindre crisse de question », peste un Justin en beau fusil, qui déplore de passer pour un complotiste par le simple fait d’émettre des doutes sur le sujet. « Je ne suis pas anti-vaccin et je me considère intelligent, mais tous ces vaccins qui arrivent en même temps, ça ne fait absolument pas sérieux! », croit Justin, qui vous l’aurez deviné, passera son tour.
Le malaise de voir les gens aussi contents
Olivier ne cache pas ressentir un malaise en voyant tous ces gens fièrement vaccinés qui déferlent sur son fil Facebook. «On dirait que tout le monde a reçu une carte “sortie de prison” au Monopoly», illustre Olivier, qui a lui-même eu la COVID-19 en mars 2020, au début de la pandémie. «J’ai eu des étourdissements, des nausées et j’ai perdu l’odorat quelque temps. J’ai développé des anticorps et ça fait un an que je vis en m’en câlissant», résume Olivier.
Rien pour l’empêcher de prendre son rendez-vous dans deux semaines, mais seulement pour pouvoir voyager en paix, pour le travail. «Je pense qu’il y a eu beaucoup d’absurdités et de non-sens dans tout ça. Je pense particulièrement à mes ami.e.s en restauration», se désole Olivier. Il comprend toutefois que le gouvernement a eu à dealer avec une situation d’urgence.
J’ai moi-même hésité un brin (je l’avoue), avant de m’y résoudre avec le sentiment de faire mon effort de guerre.
Des questions et des propos qui suscitent la réflexion et la nuance, peut-être de grandes oubliées de cette pandémie. J’ai moi-même hésité un brin (je l’avoue), avant de m’y résoudre avec le sentiment de faire mon effort de guerre, me montrer solidaire du personnel soignant qui rush depuis plus d’un an, pour protéger les gens plus vulnérables de la société et – surtout – calmer les angoisses de ma pauvre mère (vaccinée).
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Et puis, si le vaccin fait seulement en sorte qu’on passe enfin bientôt à un autre appel, ça justifie amplement la prise d’un rendez-vous.