Logo

Les mots qui résonnent

Comment vivre des mots quand on souffre d’un trouble de la communication?

Par
Sarah-Florence Benjamin
Publicité

URBANIA et l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec s’unissent pour parler sans tabou des troubles de la communication.

Repensez à votre journée d’hier. Essayez maintenant de compter le nombre de fois où vous avez parlé, lu ou écrit : le compte dépassera rapidement celui des doigts de vos deux mains! Ces activités qui nous paraissent bien banales ne sont pourtant pas toujours si simples, surtout pour les personnes atteintes de troubles de la communication. Ces troubles, qui peuvent être présents dès la naissance ou apparaître à la suite d’un accident, rendent difficiles tous ces gestes sur lesquels reposent la majorité de nos interactions sociales.

Je me suis entretenue avec deux artistes qui manient les mots, ces mots qui parfois leur font des jambettes. Avec candeur, Dramatik et Sandrine Bisson nous rappellent que chaque parole est précieuse.

Dramatik, rappeur

Depuis les années 90, Dramatik gagne sa vie avec les mots et le rythme. D’abord avec son groupe Muzion puis en solo, il a été un des pionniers du rap québécois. « J’étais fan de rap dès les débuts, dans les années 80 », raconte-t-il. « J’ai commencé à en faire moi-même quand j’avais 14 ou 15 ans. »

«J’avais six ans. On m’a dit que si je mangeais du sable, j’allais arrêter de bégayer. Je suis allé dans le bac à sable et j’ai mis une grosse poignée dans ma bouche. Tout le monde a ri.»

Publicité

Seulement voilà, Dramatik bégaie. C’est pourtant dans le rap, ce style musical si verbeux, qu’il a trouvé le moyen de faire entendre sa voix. Il se rappelle encore très bien du moment où il a compris qu’il était bègue : « J’avais six ans. On m’a dit que si je mangeais du sable, j’allais arrêter de bégayer. Je suis allé dans le bac à sable et j’ai mis une grosse poignée dans ma bouche. Tout le monde a ri. »

Le bégaiement apparaît le plus souvent en bas âge. Il arrive à tous les enfants, et même parfois aux adultes, d’avoir quelques hésitations en parlant. Parfois, nos idées vont plus vite que notre bouche. Dans le cas du bégaiement, les hésitations sont différentes et persistent lors du développement. Bien qu’on sache maintenant que la génétique est un facteur dans l’apparition du bégaiement, on ne connaît pas encore toutes les causes de ce trouble. Ce qu’on sait, c’est qu’il n’est en rien lié à de la timidité ou à un manque d’intelligence.

Publicité

Le pouvoir des mots

C’est dans les mots qui lui faisaient des misères que Dramatik a trouvé sa voie. « Une plante qui pousse sous le béton finit toujours par trouver son chemin vers le soleil », m’explique-t-il. « C’est comme quand un organe fonctionne mal dans le corps. Le cerveau, c’est pareil. Tu acquiers des habiletés ailleurs et tu compenses ce qui marche moins bien. »

«J’aurais pu me refermer sur moi-même et mon trouble, décider de ne plus parler, mais le message est plus fort que mon bégaiement.»

Dramatik s’est d’abord exprimé par l’écrit, mais c’est en se mettant au rap qu’il a enfin pu dire ce qu’il avait à dire avec sa propre voix. « Quand je rappe, non seulement ma phrase est déjà écrite, mais le rythme est déjà établi. C’est comme si les mots étaient déjà placés sur une grille. » Lorsqu’il rappe, Dramatik ne bégaie pas. Cela lui a permis de reprendre confiance en lui : « Savoir que je pouvais m’exprimer et recevoir la reconnaissance du public, ça m’a beaucoup aidé. Même quand je parlais sur scène, entre mes chansons, j’étais tellement sur l’adrénaline que je ne bégayais plus. »

Publicité

Son bégaiement demeure présent, mais Dramatik a appris à l’assumer avec le temps. « Ça me gêne encore, c’est sûr, mais c’est juste un petit bobo en comparaison du potentiel que je pouvais offrir aux autres. C’est pas une petite tache dans le pare-brise qui va m’empêcher de rouler. » Lorsqu’il bute sur la forme, le rappeur de 46 ans se concentre sur le message qu’il veut faire passer. « J’aurais pu me refermer sur moi-même et mon trouble, décider de ne plus parler, mais le message est plus fort que mon bégaiement. » Il donne maintenant des conférences dans les écoles, aux élèves autant qu’aux enseignant.e.s.

Le « bègue aimant » sur nos écrans

Dramatik se rappelle avoir souffert du regard des autres sur son trouble. « Ça m’a beaucoup empêché d’avoir un lien direct avec les autres. Bégayer, c’était me sentir toujours différent, être la cible de moqueries, stresser à mort avant de devoir faire un exposé devant la classe », décrit Dramatik. Ce n’est pas seulement à la petite école qu’on sent des préjugés contre les personnes bègues, selon le rappeur. On les voit partout dans les médias, des Looney Tunes aux Astérix : « Les personnages qui bégaient sont toujours nerveux et maladroits, c’est tourné au ridicule. »

«Bégayer, c’était me sentir toujours différent, être la cible de moqueries, stresser à mort avant de devoir faire un exposé devant la classe»

Publicité

Il est particulièrement reconnaissant d’avoir pu interpréter le rôle d’un personnage bègue dans l’adaptation en websérie de Je voudrais qu’on m’efface, le roman d’Anaïs Barbeau-Lavalette. « Eric Piccoli, le réalisateur, m’a permis de donner une visibilité aux personnes bègues et je l’en remercie. Mon personnage bégaie, mais pas seulement. Le bégaiement n’est qu’une partie de lui. » Le rappeur explique que sa prosodie particulière vient ajouter une couche de réalité et une texture nouvelle aux dialogues.

« Je ne suis pas bègue, je suis un “bègue aimant” », me dit-il à la fin de notre entretien – et je n’ai pas de difficulté à croire qu’il l’est déjà, magnétique et rassembleur au-delà des mots.

Sandrine Bisson, comédienne

« Ç’a été une révélation pour moi. J’ai pensé pendant des années que, excuse le mot, j’étais conne! », me confie Sandrine Bisson, qui avait 36 ans lorsqu’elle a reçu un diagnostic de dyslexie. Cela ne l’a pas empêchée de pratiquer un métier où il faut apprendre de longs textes par cœur. « J’ai réussi à faire mon chemin, même s’il a été pas mal plus sinueux que pour d’autres », avoue l’actrice, qui a maintenant 45 ans.

«J’ai réussi à faire mon chemin, même s’il a été pas mal plus sinueux que pour d’autres»

Publicité

La dyslexie est un trouble d’apprentissage neurologique. Bien qu’on ne connaisse pas encore l’origine du problème, on sait qu’il provient du fonctionnement du cerveau, sans rapport avec l’intelligence ni la stimulation chez les enfants. C’est un trouble qui dure toute la vie. Cela dit, les orthophonistes peuvent suggérer le recours à des outils technologiques et à des stratégies pour faciliter la communication. La dyslexie va au-delà du fait de mélanger les lettres et les sons : la précision et la rapidité de lecture sont affectées, ce qui rend la compréhension des textes écrits plus ardue et longue.

Pour Sandrine Bisson, la lecture et la concentration ont toujours été difficiles : « Au théâtre, quand je faisais un monologue, les deux premières minutes étaient bonnes, mais la minute d’après, je me mettais à paniquer et à oublier. » Elle a dû mettre au point beaucoup de stratégies au fil du temps pour mémoriser les textes à sa manière. « Avant, j’apprenais mes textes en faisant de la course, pour m’obliger à me concentrer », raconte-t-elle. « Maintenant, j’enregistre les textes et je les fais jouer dans ma voiture. Je répète chaque phrase au moins 50 fois. J’ai moins peur des mots si je me les mets en bouche au préalable. »

Publicité

Elle fait aussi appel à une répétitrice. « On ne me verra jamais arriver sur un plateau sans avoir repassé mon texte avec elle. Ça me prend beaucoup plus de temps que d’autres, mais après ça, j’ai tellement épluché le texte que je le comprends vraiment en profondeur et ça me donne beaucoup de possibilités de jeu. »

Pas juste « un coup de luck »

Avant de savoir qu’elle était dyslexique, Sandrine Bisson a longtemps cherché ce qui faisait qu’elle n’arrivait pas à comprendre comme les autres. « J’ai tellement braillé. Je le sentais que les gens s’impatientaient. J’ai oublié toutes les choses exactes qu’on m’a dites, mais je me rappelle encore à quel point ça m’a blessée. »

«Maintenant, je sais que c’est parce que j’ai tellement travaillé, j’ai toute cette expérience qui me backe

Publicité

Maintenant, lors de lectures, elle préfère avertir le public ou apprendre le texte par cœur et faire semblant de le lire. « On s’habitue, malheureusement, à être la moins bonne, à être en marge, à devoir rattraper ses cours tout l’été », explique-t-elle par rapport aux doutes qui l’habitent encore malgré son succès. « J’ai eu peur de n’avoir eu que des coups de luck quand je réussissais. Maintenant, je sais que c’est parce que j’ai tellement travaillé, j’ai toute cette expérience qui me backe. »

C’est en faisant la lecture à son fils que Sandrine Bisson a commencé à moins craindre les mots. « C’était comme si j’apprenais à lire à nouveau avec lui. C’était des livres simples. En les lui lisant, j’étais de plus en plus capable d’enchaîner les phrases. »

Apprendre différemment

Si elle avait eu le choix, Sandrine Bisson aurait obtenu un diagnostic plus tôt. Malheureusement, le trouble n’était pas aussi connu à l’époque où elle était sur les bancs d’école qu’il l’est aujourd’hui. « Les jeunes ont de la chance que ça soit maintenant nommé et encadré. J’ai pensé tellement longtemps que c’était juste moi qui n’étais pas capable de comprendre. »

«Ce n’est pas la dyslexie, le problème. Le problème, c’est qu’une personne n’ait pas l’espace requis pour s’épanouir»

Publicité

La comédienne estime que ce n’est pas nécessairement sa dyslexie comme telle qui lui a mis des bâtons dans les roues : « Ce n’est pas la dyslexie, le problème. Le problème, c’est qu’une personne n’ait pas l’espace requis pour s’épanouir parce qu’elle a une manière différente d’enregistrer l’information. »

Elle considère que, malgré les difficultés, son parcours lui a permis de développer d’autres talents. « J’ai dû m’en sortir avec une autre forme d’intelligence, finalement. J’ai fini par m’inventer toutes sortes de techniques, mais j’ai aussi demandé de l’aide. »

*****

Si vous vous reconnaissez en Dramatik ou en Sandrine, sachez que les professionnels de la santé et du réseau scolaire, notamment les orthophonistes, sont les mieux outillés pour vous aider à surmonter les difficultés que vous rencontrez.

Dans le cadre du mois de l’ouïe et de la communication, l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec souhaite vous sensibiliser aux troubles liés à l’audition et au langage. Cliquez ici pour en apprendre plus!

Publicité