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Les mondes meilleurs d’Émile Proulx-Cloutier

« Quand on raconte une histoire, il faut toujours garder le fil narratif tendu. »

Par
Benoît Lelièvre
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De la scène du Grand Théâtre de Québec aux ondes du 98,5 FM, c’est relativement facile pour les Québécois de trouver Émile Proulx-Cloutier. Depuis quelques années, il est partout.

L’interprète du volcanique François de la série-phare Avant le crash est aussi co-créateur du documentaire scénique Pas perdus avec sa conjointe Anaïs Barbeau-Lavalette, a tenu le rôle de chroniqueur en transition écologique à l’émission de Paul Arcand pendant plus d’un an et, le 3 mai dernier, il a lancé son troisième album, Ma main au feu, un monolithe de plus de 90 minutes découpé en trois actes.

J’omets volontairement plusieurs autres de ses projets parce que vous avez compris mon point : le gars est l’incarnation même du Clément Bisson de François Pérusse.

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Même si vous n’avez aucune idée de comment Émile Proulx-Cloutier gagne sa vie, vous l’avez probablement déjà aperçu à la télé, à la radio ou sur vos réseaux sociaux. Et sa présence médiatique ne laisse pas indifférent. La passion féroce avec laquelle il défend divers enjeux citoyens et sa grande polyvalence artistique le rendent indéniablement pertinent à une kyrielle de conversations culturelles.

Si certains connaissent l’artiste, et d’autres le militant, qu’en est-il de l’homme?

Tout d’abord un artiste

« J’ai un peu été élevé comme ça », m’explique Émile Proulx-Cloutier au sujet de sa réticence à s’exposer en dehors du cadre de ses projets. La barista du café Orr l’interrompt un moment pour lui apporter son latte. « Mes parents sont deux comédiens connus (ndlr: Raymond Cloutier et Danielle Proulx), mais ils n’ont jamais choisi la voix du vedettariat. Ils ont toujours été dans l’amour du travail bien fait. Ils essayaient de bien rendre les personnages, de bien communiquer l’émotion en croyant que c’est ça qui allait rester et toucher le monde. »

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Émile Proulx-Cloutier parle beaucoup et avec éloquence, mais il prend de longs moments pour réfléchir à chacune de ses réponses. Il s’exprime souvent en termes larges, mais ses réflexions ne sont pas imprécises. Malgré sa verve, il ne monopolise jamais la conversation, non plus. C’est quelqu’un qui a le cœur tourné vers le monde, qui s’intéresse aux liens qui nous soudent et aux expériences qui nous définissent. Il est comme ça, c’est tout.

« Pour moi, les anecdotes de vie, les photos de mes enfants et ce que j’ai mangé hier ou la fois où j’ai été triste, le mois passé, j’ai l’impression que c’est du superflu et j’ai jamais vraiment envie de le raconter. Je vais en parler à mes amis proches, mais j’aurais l’impression que ça fait écran entre moi et l’oreille de la personne qui écoute dans le cadre de mon travail. J’aurais l’impression d’être dans le chemin », m’explique-t-il.

« Chanter, c’est très fragilisant. Sur mes premiers albums, je racontais des histoires. Sur ce projet-ci, je m’expose davantage. Pour moi, c’est ça qui compte. »

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Ses sujets de conversation tournent rarement autour de sa vie, mais il n’en manque pas pour autant. Son album Ma main au feu aborde avec le doigté et l’énergie qu’on lui connaît un paquet de nuances de l’expérience humaine, de l’intime à l’idéologique. Accompagné principalement par un piano, des percussions et des cuivres, Émile Proulx-Cloutier offre un voyage à travers différentes textures musicales on ne peut plus variées. Tantôt planant, tantôt dansant, on n’y fait jamais du sur place.

« Mes différents côtés s’y rencontrent : le militant, le papa, l’artiste plus fragile et vulnérable. Ma manière d’être honnête, c’est de ne pas taire les trois quarts de moi. Oui, je peux être un papa enthousiaste. Oui, je peux être un citoyen, aussi. Je ne crois pas qu’on puisse cerner un humain en un tweet », affirme-t-il.

Militant visionnaire

Émile Proulx-Cloutier est presque aussi connu pour ses nombreux discours citoyens inspirés dans l’espace médiatique québécois que pour ses projets artistiques. Lorsqu’il aborde un sujet comme l’environnement, il s’exprime avec une verve et une autorité qui peuvent être parfois confrontantes. C’est souvent le cas lorsqu’on parle d’enjeux sociaux, mais certains peuvent se sentir bousculés et invalidés par des appels au changement. Quand on culpabilise, on se braque. C’est dans la nature humaine.

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Ça m’est arrivé plusieurs fois d’entendre ronchonner contre ses interventions publiques. Je lui relaie le scénario hypothétique que j’ai entendu un millier de fois pour invalider des initiatives de transport plus vert : Kevin, de Port-Cartier, comment va-t-il opérer son entreprise en construction sans son F-150?

« Cite-moi une fois où j’ai accusé quelqu’un, » me dit-il, une flamme combative familière dans l’œil. « Je t’invite à me citer. »

« Ce qui me gosse, c’est quand on instrumentalise la Côte-Nord pour ne pas bouger dans la région de Montréal. Et c’est vraiment fréquent. Lorsqu’on parle de diminuer le nombre de véhicules, tout le Québec habite soudainement à Natashquan. Pourtant, on est quatre millions autour de Montréal. »

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Porté par ses idées, Émile Proulx-Cloutier s’ouvre à propos du futur auquel il rêve. Et il est beau, ce futur. À portée de main, aussi.

Dans un Québec où la réflexion sur le transport en commun se modernise et où on arrête d’invalider les solutions qui ne sont pas applicables à la grandeur du territoire, il y a non seulement moins de voitures sur les routes, mais l’usage accru du transport actif garde une partie de la population hors des hôpitaux et la décongestion des grandes artères diminue le temps passé sur la route et augmente celui passé auprès de ceux qu’on aime.

« Je suis allé dans des maisons où il n’y avait pas de chauffage, mais où il faisait 25 en hiver. Il faisait tellement chaud qu’ils devaient ouvrir les fenêtres, juste parce qu’elles étaient bien orientées par rapport au soleil. Je comprends pas pourquoi tous les nouveaux développements ne sont pas comme ça », explique-t-il.

Il m’explique que ce qui l’afflige, c’est la déconnexion entre nos émotions profondes et les divers enjeux sociaux et que selon lui, c’est la responsabilité de l’artiste de réparer le lien entre les deux. Émile Proulx-Cloutier est peut-être un peu idéaliste, mais il est aussi un optimiste assumé. Cette vision, il en fait la promotion parce qu’il y croit sincèrement.

« Je garde mon pessimisme pour des jours meilleurs », précise-t-il.

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« Comme je le dis dans ma chanson L’Horizon, il faudra que ce soit une gang d’imparfaits qui se retroussent les manches. Aujourd’hui, quand quelqu’un est imparfait, on invalide ses propos. “Si c’est pas le messie qui me parle, j’écoute pas.” C’est absurde. Il va falloir qu’on en parle tous ensemble et tous un peu tout croche pour qu’on fasse bouger le bateau ensemble. »

Émile et François

On peut apprécier le talent de comédien d’Émile Proulx-Cloutier au petit, comme au grand écran depuis maintenant plus d’une décennie, mais son rôle de François dans la série Avant le crash est sans l’ombre d’un doute un des grands moments de sa carrière.

François Lecompte est, à bien des égards, le contraire d’Émile Proulx-Cloutier. Un homme d’affaires, teigneux et assoiffé de pouvoir aux desseins autodestructeurs, sa vie s’évapore devant ses yeux au fil des épisodes. « François était fascinant sur papier avant même que je ne l’incarne. Mon travail, c’était d’y verser le plus d’humanité possible. Parce que jouer un trou de cul, c’est facile. S’il y a une part de lui qui est attendrissante, qui nous fait rire ou qui nous aide à comprendre son mal, on s’y attache un peu. Ça crée une ambivalence. Pour moi, c’est la clé de notre job d’artiste », m’explique-t-il

« J’ai l’impression qu’il est habité par un mal qui ronge plein de monde », poursuit-il.

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Lorsqu’il me parle de François, la mine d’ours blessé du personnage émerge sur le visage d’Émile Proulx-Cloutier. C’est impressionnant. « François a un tel besoin de pouvoir, de se prouver, de bomber le torse, de régner et de se venger sur tout ce qui bouge. De combattre cette humiliation primaire qui l’affecte. »

Il m’explique que jouer François a affecté l’écriture de Ma main au feu, et vice versa. « Ma chanson Burn out est très inspirée par lui. C’est en partie François qui m’a fait comprendre que quand ça t’arrive, c’est pas juste toi qui t’es mal géré. On est dans une machine. Dans un système qui valorise ça. Qui idéalise le roi de la montagne comme si tout ça, c’était pas éphémère. »

Si Émile Proulx-Cloutier est difficile à cerner d’un point de vue externe, c’est parce que sa démarche va à l’encontre de l’hypersimplification symptomatique des réseaux sociaux. C’est un artiste qui célèbre la complexité, la fragmentation et les nuances indicibles tant à l’intérieur de lui qu’à l’intérieur de nous. C’est pour ça qu’il utilise des termes larges quand il parle.

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Si sa passion peut parfois paraître fougueuse, c’est parce qu’il a envie de partager toute la beauté qui l’habite et toute celle à laquelle on tourne trop souvent le dos. Émile Proulx-Cloutier rêve pour nous tous.

Il se produira en spectacle à la maison symphonique à Montréal le 22 novembre et 7 décembre prochain, ainsi qu’au Grand Théâtre de Québec le 7 février 2025. Quant au documentaire scénique Pas perdus, il reviendra à l’affiche du Théâtre Maisonneuve du 6 au 9 mars, l’hiver prochain.