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J’ai souvent été malade dans ma vie. Bien entendu, grippe, gastro, syphilis… Les classiques, mais aussi pas mal plus que ça.
J’ai fait des pneumonies, des méningites, des infections pulmonaires, de la gorge, des amygdalites, des otites, des pharyngites, un choc surrénalien, une insuffisance parathyroïdienne, le diabète et tous leurs amis.
Je ne m’en plains pas. Plusieurs personnes ont vécu pas mal pire. Juste à penser aux enfants de Ste-Justine ou au public de Marina.
Je garde plusieurs souvenirs de ces évènements et la plupart d’entre eux sont olfactifs. Mon nez a une mémoire plus précise que mes yeux. Le jour où les films seront en odorama, Madagascar et le Roi Lion seront soudainement beaucoup moins cute.
La chose qui me frappe le plus de ces souvenirs, c’est à quel point tous les hôpitaux génèrent exactement les mêmes odeurs. Que ce soit Montréal, Québec, Alma, Chicoutimi, Jonquière, tout était exactement pareil. Les odeurs ne sont pas racistes, sexistes ou xénophobes, l’odorat est le sens le plus accueillant qui soit.
Je me rappelle l’odeur stérile et piquante de la moppe qui lave les planchers. Le produit utilisé est tellement puissant et embaumant qu’on dirait qu’il n’était pas conçu pour désinfecter, mais pour torturer les germes. SOUFFRE SALMONELLE!
Quand le cabaret de nourriture arrivait et qu’on enlevait la cloche de plastique qui gardait (fucking pas bien) la chaleur du plat et que devant nous se dessinait un repas, saveur de désespoir, d’amertume et de sauce brune. Ce petit fumet à la fois salé et mort, chaud et froid, vert et gris. Le poulet, le macaroni, les toasts et le roast-beef semblaient venir de la même boite, avaient la même fragrance. Chanel numéro eurk.
L’euphorie de sentir des McCroquettes, apportées gentiment par mon père pour me faire oublier ma peine.
L’infirmière (parfois l’infirmier) qui te réveille la nuit pour regarder tes signes vitaux ou te faire une prise de sang. Aucune piste de féminité (ou de masculinité) dans l’air. Parce que les infirmières n’ont pas le droit de mettre de parfum. (Ce serait BEAUCOUP TROP AGRÉABLE.) Il ne reste donc que l’odeur du plastique des tubes du soluté, et celle de l’alcool du désinfectant pour les mains.
L’insuline, la moufette de la pharmacie. Une odeur si tenace, si prenante que si tu as le malheur d’en recevoir sur la langue, tu dois accepter que tes prochains repas auront comme ingrédients principaux le Novorapide et le Lévémire.
L’effluve presque rural du petit bâton de bois stérile, inséré dans ma bouche pour y mordre alors qu’on me replace mon épaule disloquée.
Les petits tampons pour immuniser ta peau avant une piqûre. L’oreiller où chaque matin tu retrouves quelques cheveux qui n’ont pas survécu à la nuit.
Ton voisin qui, dû à un problème de dosage, a renvoyé son souper d’où il venait. Pas nécessairement par l’orifice buccal.
Les roues usées de mon soluté avec son petit “ordinateu”» d’où sort une brise de plastique chauffé.
Les draps blancs javelisés de nos couchettes et leur “douillette” bleu poudre.
L’odeur de vieux métal de la petite télé qu’on installait quand je passais plus de 2 jours à l’hôpital.
La première bouffée d’air frais, après 1 semaine d’alitement. L’odeur d’une vraie lasagne, ou du parfum de ma mère. L’haleine, pas très agréable, mais étrangement réconfortante de mon chien.
Toutes ces odeurs intangibles comme l’attente, le doute, l’espoir, la douleur et la peur se bousculent dans ma tête comment autant de souvenirs.
Je pense à ceux qui sont dans les couloirs de l’urgence ou entre les murs beiges angoissants du bureau du médecin, qui font le plein de souvenirs à chaque inspiration.
Car si une image vaut mille mots.
Une odeur en vaut un million.
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Pour lire un autre texte de Simon Delisle : “Les genoux brisés dans le désert”