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Une des choses que tu sais quand tu habites dans Hochelaga, c’est que tu risques de te faire voler un jour ou l’autre. Mais comme un paquet d’autres choses dans la vie, tu te dis souvent que ça t’arrivera pas à toé, même si ça arrive à plein d’autre monde autour de toi.
Je me souviens assez bien du jour où je suis entré dans les statistiques de cambriolages d’Hochelaga-Maisonneuve. On était en février, il faisait frette comme le câlice et l’hiver semblait ne jamais vouloir finir. Je commençais mon stage en droit et mes journées de travail étaient aussi longues que les interminables nuits d’hiver.
C’était dans le temps ousque pas tout le monde avait un cellulaire. J’étais en train de me taper l’un des spéciaux du midi du Peel pub quand un de mes collègues est venu me trouver en me disant :
– Heille, ta blonde vient de m’appeler, vous vous êtes fait défoncer;
– Arrête de niaiser, câlice, Cantin! Viens donc te prendre le spécial du vendredi à la place : brochette de poulet à 9,99$!
– Je te niaise pas man, ta blonde panique, elle est allée se réfugier chez les voisins d’en face…
– Ok, tabarnak, veux-tu payer mes brochettes? Il faut que je sacre mon camp chez nous!
Chu embarqué dans le premier taxi que j’ai vu, en direction Hochelag’.
Ça a l’air cave, mais j’étais vraiment nerveux de manquer un après-midi d’ouvrage et j’avais l’intime conviction que cette histoire allait me mettre dans marde.
Chu rentré chez nous juste après la police. Il m’est arrivé ben des affaires assez ordinaires dans la vie, mais pas grand-chose de pire que de trouver ma maison sens dessus dessous, le cadre de porte défoncé, les traces de bottes pleines de bouette à la grandeur, la chambre à coucher tout à l’envers…
En rentrant dans l’appart, j’ai tout de suite remarqué la grande absente : ma tévé à écran plasma. C’était dans le temps que les écrans plats venaient d’arriver sur le marché; ces tévés pesaient environ une tonne et quart. J’avais acheté cette tévé-là à tempérament, 30$ par mois, dans le temps que je n’avais pas une estie de cenne, pour que mes chums de brosse pis moé on puisse écouter les games des Gars (Canadiens) en haute définition. De dire que je tirais une fierté de la posséder serait employer un euphémisme.
Juste à côté, j’ai vu que l’imbécile de voleur avait laissé mon laptop sur la table de cuisine, même s’il valait deux fois plus cher que la tévé. Après avoir fait ma déclaration aux policiers qui l’ont acceptée avec l’air résigné des gars qui ont entendu trop souvent la même histoire, je suis allé au Rona pour acheter une crow-bar, des 2 par 4, pis le reste du stock que j’avais de besoin pour réparer mon cadre de porte.
En chemin pour le Rona, je suis passé devant l’un des trop nombreux pawnshops de la rue Ste-Catherine Est. Je me suis dit que le gars était sûrement pas assez épais pour aller pawner la tévé à deux coins de rue des lieux du crime. Puis, en me rappelant qu’il avait préféré se promener dans les rues glacées du Shlag en transportant un mastodonte d’écran plasma plutôt qu’un Mac portatif, je me suis dit que tout était possible. Facque chu rentré au pawnshop, pis j’ai demandé à l’employé s’il avait reçu un écran plasma dans le courant de la journée. Avec toute la vivacité d’un bœuf musqué dans les yeux, il m’a demandé si j’avais la facture.
Dans la vie, chu pas trop du genre à garder mes factures. Mais pour cette tévé-là, c’était différent. Ça fait que je suis retourné au pawnshop, armé de la facture. C’est là que l’employé m’a dit :
– Ok, on a ta tévé;
– Allright, facque, donne-moé ma tévé pis prête-moé le téléphone que j’appelle la police pour leur dire que j’ai localisé mon bien volé;
– Tu peux appeler la police, mais je peux pas te redonner la tévé si tu nous payes ce qu’on a payé au gars (100 piasses);
– Ok, ça, c’est sûr que ça arrivera pas, man. J’t’encourage à y réfléchir pendant que j’appelle la police.
Cinq minutes après, la police était en route.
L’employé du pawnshop continuait de pas vouloir me r’donner ma tévé. Facque je lui ai dit d’appeler son boss, à qui j’ai expliqué la situation. C’est au moment où le boss en question m’a dit qu’il avait “le droit de faire ça, à cause d’un article dans le Code civil” que j’ai pété ma coche. Moé, je venais de me mettre dans marde à la job, il faisait frette comme le calice chez moi parce que la porte était défoncée, j’allais passer le reste de ma journée à arranger mon cadre de porte à -20 dehors, ma blonde était terrorisée, pis là, l’estie de gérant de pawnshop voulait pas me r’donner ma tévé, c’en était trop.
J’étais en tabarnak.
J’avais l’impression d’assister à la scène plutôt que de la vivre.
J’ai commencé à dire calmement au gars :
– Ok, toé là, tu fais référence à l’article 1734 du Code civil qui protège le vendeur de bonne foi dans le cadre des activités d’une entreprise. Mais ça marche pas. D’abord, parce que t’es pas de bonne foi, tu pouvais pas ne pas savoir que c’était du stock volé. Deuxièmement, parce que c’est pas une vente. Toi, t’es un prêteur sur gages. Ce que tu fais, c’est que tu prêtes de l’argent en échange d’une hypothèque mobilière sur les meubles que le monde vient te porter. Mais l’estie de voleur, lui, il n’avait pas le droit d’hypothéquer ma tévé, vu qu’elle était pas à lui (c’est l’article 2681 du Code civil qui dit ça). Facque, l’hypothèque est nulle, le gars te doit 100 piasses, pis toé, tu me donnes ma tévé.
Mon avis juridique gratuit n’a pas trop impressionné le gars, qui s’est même mis à lever le ton pour essayer de me la fermer. C’est là que j’ai vraiment commencé à gueuler :
– MON TABARNAK, ESTIE, TU SAIS PAS CHU QUI! JE T’AVERTIS, SI TU ME DONNES PAS MA TÉVÉ TUSSUITE, ÇA VA TE COÛTER BEN PLUS CHER QUE LE 100 PIASSES QUE T’AS DONNÉ AU GARS! J’TRAVAILLE DANS UN BUREAU D’AVOCATS; J’VAS M’METTRE SUR TON CAS, MON CÂLICE! TU VAS PERDRE TON NOM, TU VAS PERDRE TON COMMERCE, TU VAS PERDRE TA MAISON; J’VAS T’CRISSER À RUE MON ESTIE!!
C’est là que le gars a raccroché.
Deux minutes après, la police arrivait. Quand je suis venu pour partir du pawnshop, bien décidé à prendre des procédures contre ces esties-là (dès que j’aurais fini de réparer ma porte) le policier m’a dit que ce serait pas si simple parce que le proprio du pawnshop venait de porter plainte contre moé pour “menaces”.
Je n’en revenais pas de l’absurdité de la situation! J’ai expliqué au premier policier que je n’avais fait que menacer le proprio du pawnshop de poursuites judiciaires, en utilisant, certes, un langage coloré. Lui, il avait l’air de dire qu’il n’y avait vraiment pas de problème. Mais sa collègue, elle, s’est mise à me faire la morale, me disant d’être prudent et m’expliquant que des expressions comme “j’vas m’mettre sur ton cas, mon câlice” pouvaient être interprétées comme des menaces implicites.
C’est là que je les ai remerciés pour le cours de droit, leur disant cependant que je devais aller réparer mon cadre de porte avant qu’il ne fasse noir et leur donnant mon numéro de téléphone pour qu’ils m’appellent s’ils avaient besoin de me parler.
Cinq minutes après, le téléphone a sonné :
– Allô!
– Oui, Monsieur, c’est l’agent X… de la Police de Montréal. C’est pour dire que vous pouvez venir chercher votre télé au pawnshop. Ça vous coûtera rien. Mais le propriétaire fait dire qu’il ne veut plus jamais vous voir au pawnshop, sinon il porte plainte contre vous;
– Ah, c’est plate, moi qui avais envie d’encourager le recel, han! Ok, je m’en viens!
Je suis donc retourné au pawnshop et le gars m’a remis ma tévé, sous la supervision de mes amis policiers. Là, je me suis retourné vers eux en disant : “Euh, c’est parce qu’elle est vraiment lourde la tévé, pensez-vous que vous pouvez me faire un lift jusqu’à chez moi?”. Le gars a tout de suite dit oui, pendant que sa collègue roulait des yeux.
Et c’est ainsi que je suis retourné chez moi, avec ma grosse tévé, assis sur la banquette arrière d’un char de police.
***
Sur le chemin du retour, je me suis demandé si je me serais fait défoncer, s’il n’y avait pas eu un pawnshop juste à côté de chez moi. Sans la présence de ces marchands de misère, qu’est-ce que le voleur aurait fait avec l’écran plasma; il aurait essayé de le vendre dans le métro? Yeah, right…
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Pour lire un autre texte de Rémi Bourget : “La fois où un biker voulait nous arracher la tête”