Vincent Roberge arrive avec La nuit est une panthère, un premier album à paraître sous le pseudonyme Les Louanges, qui charme par sa poésie juvénile et ses puissantes productions contemporaines jonglant principalement avec le R&B et le hip-hop. Derrière ce projet se trouve l’histoire d’un petit gars de la banlieue de Québec qui prend le contrôle sur sa vie et sa signature sonore après des années à vagabonder dans les avenues de son adolescence.
Il y a de ces albums qui arrivent dans nos vies à un moment décisif et qui ont un impact déterminant sur la suite des choses. C’est précisément ce qui s’est passé dans le cas de Vincent Roberge, l’âme créatrice derrière la formation Les Louanges, lorsqu’il a mis la main pour la première fois sur une copie de Demon Days, de Gorillaz, alors qu’il n’avait même pas encore 10 ans. Aujourd’hui, le jeune fanatique est devenu créateur à son tour.
Dépassé par l’omniprésence des auteurs-compositeurs dans la scène locale et internationale, celui qui a ensuite étudié la guitare jazz lors de ses études collégiales se définit désormais comme « un producer qui écrit ses trucs. »
Délibérément inspiré par l’éclatement stylistique décomplexé d’Alaclair Ensemble, le groove de Thundercat et l’esthétisme vulnérable de Frank Ocean, Les Louanges mêle habilement le hip-hop, le jazz et le R&B à sa douce voix détonante. Portant les textes introspectifs d’une jeunesse qui doit composer avec les aléas et les défis de son époque, on peut le percevoir, dans une certaine mesure, comme le King Krule québécois.
Après des années à faire sa marque dans la scène locale, notamment via des passages remarqués au Festival international de la chanson de Granby en 2015 et aux Francouvertes en 2017, il arrive finalement avec un premier album très attendu, La nuit est une panthère. Coréalisé par Félix Petit, le projet lui a permis de faire le point sur son état actuel et de réaligner sa proposition artistique vers quelque chose qui le définit davantage. De retomber sur ses pattes, quoi.
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Crédit : Jean-François Sauvé
Compositeur et beatmaker
Après deux EPs aux allures indie rock flirtant avec des sonorités slacker à la Mac DeMarco, on aurait pu s’attendre à une suite logique pour le premier album officiel. Vincent s’est plutôt volontairement écarté des propositions précédentes pour poursuivre sur la voie qu’il voulait véritablement emprunter depuis le début. « En rétrospective, Le Mercure (2016), je pense que c’était plus une digression qu’autre chose. J’avais fait le Festival de la chanson de Granby l’année précédente pis j’étais arrivé avec mes premières chansons en français. Y en avait une qui était super hip-hop et une autre qui avait une espèce de beat trap. Quand on a fait la perfo, le house band de Granby était malade, mais ce n’était juste pas sorti comme je l’entendais dans ma tête. Pour ce qui est d’Encéphalines (2017), je l’avais enregistré un peu avant les Francouvertes. Ça passait ben vu qu’elle avait été nommée comme la chanson SOCAN et qu’on passait à SiriusXM. On a capitalisé là-dessus, mais ça, c’était LA digression ultime. », admet-il.
« Je ne pense pas qu’on ait besoin d’un autre gars qui fait des tounes acoustiques. Au Québec, t’as encore le folk d’un bord et le hip-hop de l’autre. Moi, je veux me placer au centre de tout ça. »
« Pour faire mes beats, je me suis pogné [le logiciel] Logic Pro. J’ai appris à gosser mes affaires tout seul avec Garage Band et maintenant je peux programmer mes shits en appliquant mon background musical académique. J’ai eu le temps de manger mes croûtes. J’avais toutes mes maquettes, » précise-t-il, avant d’admettre qu’il fait appel à de l’aide extérieure pour augmenter le produit final. « Par exemple, les bases de Tercel étaient déjà là, mais c’est lorsque j’ai fait appel à un beatmaker que la qualité est réellement embarquée. »
Apocalypse et poésie
Du côté des textes, même si certaines autres idées de l’album ont été pigées dans de vieux fichiers cumulés au cours des dernières années, Vincent s’est assuré de faire table rase pour mieux refléter sa vision actuelle des choses. Il s’est même inspiré des cours de littérature qu’il suit à l’UQAM pour mieux approcher et exploiter ses pensées.
« J’ai vraiment tout repassé. C’est pas un gros écart de temps entre 18 et 21 ans, mais il y a quand même une esti de différence au niveau des textes, des sons et de mes goûts personnels. En même temps, j’ai été diagnostiqué avec un trouble d’attention. Il fallait que j’écrive l’album, ça fait que j’ai starté ça, pis j’ai commencé la médication. »
Ça donne, comme résultat final, des récits autobiographiques où le jeune adulte partage ses craintes et ses insécurités. De manières imagées ou non, il aborde également nos agissements comme société, des tensions personnelles et aussi certaines périodes difficiles de son passé.
« Je ne suis pas un thug, mais je rappe pareil des fois. »
Au sujet de Pâle, la première véritable pièce de l’album : « J’étais dans un gros trip et on étudiait un recueil de poésie d’un monsieur dont j’oublie le nom. Ça parle de la fin du monde. Je me suis retapé l’Apocalypse de la Bible et j’ai intégré ça avec mes cours. Je l’ai écrit pour le 4e chevalier de l’Apocalypse, le cavalier pâle. Mais bref, c’est un peu pour parler de ce qui se passe politiquement en général, notamment l’esti de niaisage de François Legault. J’ai vraiment l’impression qu’on est au seuil de quelque chose. »
Un Drake n’empêche pas Nietzsche
Il y a aussi la très smooth et jazzy Wescott, où il raconte ses premières expériences à devoir enfiler ses caps d’acier pour travailler en tant que machiniste, afin d’assurer ses arrières. Une première dans sa jeune vie à ce moment-là. « C’est un peu mon expérience dans le fait de débarquer dans la vie adulte. De savoir ce que je fais en lien avec ma vision sur le monde, tout en étant un gars ordinaire avec une blonde et dont les parents ne viennent pas du Bangladesh. Je ne suis pas un thug, mais je rappe pareil des fois. T’sais, je ne suis pas l’artiste torturé super bohème, mais je fais référence au simple fait d’être un jeune qui arrive et qui pense que sa vie va être pas mal rock n’ roll, pis finalement, fuck esti, il faut que j’paye mon loyer pis c’est plate. »
Il est également question de gérer son awkwardness et sa manière d’être en public sur Guerilla, où il namedrop Drake et Nietzsche dans la même chanson. « Ça, c’est moi qui est un peu gêné dans la vie pis qui n’a souvent pas envie de me retrouver dans des situations sociales. C’était pour toutes les fois où j’allais voir des shows au Divan Orange avec des chummys de musique, pis moi, la première chose que j’avais envie de faire, c’était de sacrer mon camp. J’ai utilisé le fait de se faire violence, pour l’appliquer sur une chanson au complet. Au final, c’est comme si je me crissais une volée. »
« Finalement, ma démarche, c’est 50/50. Soit c’est un truc super poétique, voire ludique par moments comme Pitou où je me fais simplement rire, soit c’est full cryptique avec des références comme j’ai fait avec Pâle. En même temps, les tounes où je rappe, c’est mon day-to-day, en fin de compte. C’est ma nature. »
« Pour moi, La nuit est une panthère, c’est montrer le côté un peu sauté que t’es obligé d’aller chercher pour avoir un peu de fun quand tu restes en banlieue », précise-t-il.
Bum de banlieue
Le fait d’avoir concocté et mené à terme ce premier projet de grande envergure pourrait cependant marquer un point tournant dans l’évolution artistique de Les Louanges.
« C’est sûr que mon quotidien commence à changer dramatiquement, mais il reste que cet album-là, c’est le point de vue d’un petit gars qui débarque dans la vraie vie. J’ai mis de l’avant ce qui me touchait et ce que j’avais sur le cœur. Dans ma nature, j’pense toujours retomber dans des calls de gars qui a de la misère à y arriver. Je ne changerai pas du jour au lendemain… »
« Personnellement, ça me fait tripper l’univers de petit bum de banlieue. Le petit stoner. Je trouve ça génial. Mais c’est sûr que je vais finir par grandir à un moment donné. Je vais retomber sur mes pattes comme une panthère. Je vais rugir. »
La nuit est une panthère est maintenant disponible sur toutes les plateformes numériques