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J’aimerais vraiment que cet article soit à propos du limbo, le jeu le plus populaire de nos fêtes d’enfants. On pourrait écouter du Ace of Base en se chicanant pour savoir si mon toupette crêpé a malencontreusement touché au manche de balai.
Sauf que ce n’est pas de ce genre de limbo là dont je veux parler. Je fais plutôt référence à un état d’entre-deux, de flou de vie. Les limbes, là où vont les bébés mort-nés, du moins selon la religion catholique. En d’autres mots, comme le dit la chanson du Lait: c’est pas l’enfer, mais c’est pas l’paradis. Les limbes, c’est ma façon de décrire un endroit où l’on se retrouve parfois dans la vie, où je me sens d’ailleurs présentement. C’est un intermédiaire quand on ne sait plus trop où l’on va se retrouver, un passage nécessaire, mais pas trop l’fun. Comme l’adolescence, parfois avec les mêmes feelings typiques de cette période: insécurité, incertitude, face de gothique.
Je parlais il y a quelques semaines de la difficulté de chercher un emploi. Cette recherche est un bon exemple de situation digne des limbes: même si on sait que c’est temporaire, c’est tout de même inquiétant et peu confortable. La plongée dans les limbes peut donc être provoquée par une transition de carrière, un changement d’objectifs de vie, une incertitude de fin de relation… C’est propre à chacun, mais ce qui est certain, c’est que c’est comme mijoter dans du Jell-O. Dans le fond, non, mijoter dans du Jell-O ça sonne quand même plus l’fun qu’être dans les limbes.
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Ces temps-ci, dans mon état de limbo (c’est plus drôle à dire que «limbes», ça donne l’impression d’un party, un party triste, mais un party quand même), je n’ai pas trop envie de sortir. Je n’ai pas envie de m’exposer, c’est comme si j’avais la carapace molle. Juste d’aller faire l’épicerie ou poster une lettre me donne un peu l’envie de disparaitre. J’ai lu un article dans La Presse sur des chiens à qui on met un foulard jaune pour signifier qu’ils ont “besoin d’avoir une bulle”… Moi aussi j’en veux un foulard jaune. Tant qu’à y être, je veux un one-piece jaune, parce que ma bulle est grosse et opaque et je ne veux voir personne dedans pendant que je suis en limbo.
Parce que quand on en limbo, on a un peu l’estime à zéro. Mettons qu’on ne se sent pas comme une personne de qualité menant une vie palpitante et digne de jacassage. Non, moi, je désire seulement aller chercher mon petit butin de dépanneur en paix (berlingot de lait au chocolat et chips Lays du concours que tu peux voter pour ta sorte préférée, moi ma sorte préférée c’est clairement pas brioche a la cannelle en passant). Lors de cet expédition glorieuse, le pire qui pourrait t’arriver serait donc de croiser un(e) ami(e) Facebook, voisin(e) insoupçonné(e), qui me demanderait ce que je fais de bon. La question à mille piasses. Quand on est en limbo, on ne se sent pas vraiment prêt à répondre à cette question là. On voudrait bien que la réponse soit: «Hey camarade, contente de te voir, viens donc ici que je t’annonce avec joie mille cossins palpitants qui m’arrivent présentement», mais la réponse est plutôt: «Oh moi? Je mange du beurre de pinotte à la fourchette le vendredi soir en Googlant alternativement ‘ice bucket challenge fail’ et ‘tache de chocolat sur édredon blanc’».
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Les limbes, ce n’est pas super bon pour la motivation. C’est un cercle vicieux qui peut devenir dangereux s’il dure trop longtemps. T’as pas d’énergie parce que t’as pas de motivation, t’as pas de motivation alors tu fais rien, tu fais rien alors t’as pas d’énergie… Même si c’est temporaire, tu souhaites quand même que ça dure le moins longtemps possible. Le truc, c’est de se donner des petites tappes dans le dos pour les accomplissements qui pourraient sembler anodins. Un lavage à la buanderie sans parler à la petite madame qui raconte ad nauseam la fois où elle a touché la main de Michel Louvain? 10 points! Résister à la tentation d’utiliser les beaux coupons McDo que tu as reçu par la poste? 20 points! Appeler à la Caisse pour prendre rendez-vous avec le monsieur qui te parle de placements, pendant que toi tu réalises que non, un CELI, ce n’est pas le nom d’une animatrice à Musique Plus? 45 points, championne!
Les limbes, c’est gris. Pis mou, pour que ce soit pas trop inconfortable. D’ailleurs, l’uniforme officiel des limbes, c’est des pants de jogging du Wal-Mart.
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Vous allez dire: mais c’est pas les limbes ça, c’est une dépression. Vous n’aurez pas tort. Sauf que la nuance, c’est que les limbes, c’est temporaire. La dépression aussi, mais le mot fait tellement peur qu’on oublie que ça ne dure pas toujours. La dépression est aussi une affaire clinique sur laquelle je ne me pencherai pas ici. Dire qu’on est dans les limbes, c’est plus rassurant. Ça donne le droit de penser que les choses vont finir par bouger, et pas seulement parce que t’achètes des gratteux en même temps que tes butins de dépanneur. Ça va bouger pour vrai, naturellement, parce que la vie ne stagne jamais trop longtemps.
Certaines personnes visitent les limbes pour une première fois et se disent: «Pu jamais ça va m’arriver, moi j’hais ça le mou et le flou.» À ces gens, je dis bravo et bonne chance. Tant mieux si après leur passage dans les limbes ils sont heureux pour toujours, exempts de devoir revêtir à nouveau leur one-piece jaune ou leurs pantalons en coton ouaté gris.
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D’un autre côté, il y a des gens qui sont propices à tomber souvent dans les limbes. Comme moi. Des gens qui ont le parcours en dents de scie. Des gens qui, avec l’habitude, savent qu’il faut se laisser porter pour pouvoir remonter. Quand je remonterai à la surface, quand les limbes seront loin derrières, là ça va être le temps de jouer au limbo, le type de limbo que je mentionnais plus haut. Le limbo avec le baton, la musique d’été, le sourire, pis l’impression que le bonheur est dans les petits instants, temporaires, comme une toune de la Compagnie Créole qui finit avec le bruit de la cassette qui rembobine.
(Crédit photo: rickpilot_2000)