Le 8 mai 2000, André « Dédé » Fortin, auteur-compositeur-interprète et visage du groupe phare Les Colocs, s’enlevait la vie dans son appartement du Plateau-Mont-Royal. C’était avant l’ère des hommages viraux sur les réseaux sociaux, mais ce jour-là la planète avait quand même cessé de tourner.
« La première fois que j’ai demandé à mes parents quand on irait voir Les Colocs en spectacle, ma mère m’a expliqué que ça ne se passerait pas parce que Dédé était décédé », raconte le musicien Émile Bilodeau.
« Je devais avoir huit ou neuf ans. C’était une des premières fois que j’étais exposé à la réalité du suicide. »
Pour Bilodeau, ses souvenirs des Colocs sont associés à de longs trajets en voiture entre Longueuil et Chicoutimi-Nord pour aller rendre visite à ses grands-parents et à ses cousins, cousines. L’album éponyme du groupe a bercé son enfance et nourri son intérêt pour la musique : Passe-moé la puck, Dédé, Julie, La rue principale et autres succès ont forgé le vocabulaire culturel d’un jeune garçon créatif aujourd’hui lui-même devenu l’un de nos fleurons culturels.
Émile Bilodeau n’a jamais vu Dédé Fortin en spectacle, mais il a eu l’opportunité de participer à l’hommage Salut Les Colocs! présenté à Télé-Québec cette semaine, en compagnie de Mara Tremblay, Gab Bouchard et d’une dizaine d’autres artistes venus célébrer l’héritage d’un homme qui a tenu le cœur des Québécois au creux de sa main.
Les trois incontournables d’Émile Bilodeau
Bon’yeu – « Au-delà d’être une toune extraordinaire, savais-tu que Dédé a lui-même engagé 50 personnes qui avaient besoin de travail pour le clip et leur a fourni un salaire UDA? C’était aussi ça, Dédé Fortin. Un gars qui se montrait à la hauteur de ce qu’il prêchait. »
Tassez-vous de d’là – « L’inclusivité musicale de cette chanson-là est extraordinaire. Grâce à lui, il y a plein de Québécois qui chantent en wolof, le temps d’une chanson. Il voyait les autres cultures pour ce qu’elles avaient de complémentaire à la nôtre. »
Dédé – « Je me reconnais dans le personnage de p’tit criss que tout le monde veut remettre à sa place, mais qui s’évade dans ses univers dès qu’il arrive à la maison. Quand j’étais jeune, on me disait souvent que je parlais trop et que je dérangeais les autres. »
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Le Dédé de Mara
Les souvenirs de Mara Tremblay sont à la fois plus riches et plus douloureux que ceux de ses jeunes collègues. Dédé, elle l’a connu. Ils ont été amoureux et ont partagé des moments intimes et intenses. L’histoire des Colocs, elle ne l’a pas seulement vécue en temps réel, elle en a fait partie.
« Dédé, c’était la personne la plus curieuse, ouverte et inclusive que j’ai eu la chance de connaître », confie-t-elle, au bout du fil. « Mais il était aussi profondément tourmenté. Il avait de très, très grands hauts et de très, très grands bas. »
Mara a joué de son violon pour Les Colocs de leurs fracassants débuts en 1993 jusqu’à la toute fin. C’est Dédé lui-même qui l’avait appelée, le soir de la Saint-Valentin, pour lui demander de se joindre au groupe. Elle se rappelle encore très bien avoir écouté une cassette envoyée par le chanteur avant même le lancement du premier album : « Ma jeunesse a été bercée par la musique country, mais j’ai aussi beaucoup d’amour pour le punk. La musique hybride et unique des Colocs m’a tout de suite parlé. C’était fait pour moi. »
Au-delà de la musique, Dédé a été la première personne à parler ouvertement de santé mentale avec elle. Lui-même atteint de bipolarité, il l’a sensibilisée à des enjeux qu’elle vivait, elle aussi. « C’étaient de belles conversations. Il avait des étoiles dans les yeux quand il parlait de ça. On était fascinés par ce qui se passait dans nos têtes. »
C’était donc important pour Mara de participer à Salut Les Colocs!, de veiller à ce que ce soit bien fait et que ça représente fidèlement l’héritage de Dédé. « J’ai encore beaucoup d’amour pour cet homme-là. J’ai vécu des années et des expériences formatrices à ses côtés. Je suis contente d’avoir été impliquée dans le choix des chansons et des interprètes. »
Les trois incontournables de Mara Tremblay
Juste une p’tite nuite – « Sur scène, c’est là que notre amour pouvait vivre librement. Il me disait que le violon sur cette chanson le traversait à chaque fois. »
Le répondeur – « Je me rappelle qu’il m’avait invitée à son appartement pour me faire jouer la chanson sur un 4-tracks. C’était un moment très intime. J’y pense à chaque fois que je l’entends. »
Tellement longtemps – « Elle m’est tellement rentrée dedans quand je l’ai entendue pour la première fois, au lancement. Le Dédé que j’ai connu, c’était quelqu’un de festif. Ça m’a fait beaucoup de peine de comprendre ce qu’il traversait. »
La fierté du Lac
Pour Gab Bouchard, enfant du Lac-Saint-Jean comme Dédé, ce dernier représente à la fois une source d’inspiration musicale et une figure légendaire de sa région natale. Son père ayant partagé un appartement avec Fred Fortin (aucun lien de parenté malgré le patronyme commun), protégé du leader des Colocs, ses parents ont gravité dans l’orbite de l’artiste.
Bouchard a découvert Les Colocs par lui-même à un très jeune âge en regardant un DVD de leur dernier spectacle sur les plaines d’Abraham en 1999 qui traînait à la maison. « Au secondaire, j’ai lu sa biographie et j’ai découvert son côté plus sombre. Mais, au départ, je tripais exclusivement sur sa musique. Je ne devais pas avoir dix ans. J’ai accroché par l’entremise de chansons comme La rue principale et Julie. »
Le film Dédé, à travers les brumes lui a aussi permis de consolider ses liens avec l’artiste. L’interprétation de Sébastien Ricard a d’ailleurs convaincu les membres de sa famille qui ont connu l’homme : « Je l’ai regardé avec ma mère, pis à un moment donné, elle s’est retournée vers moi et a dit : “Ostie qu’il parlait de même.” »
Malgré ces liens distants, l’auteur-compositeur-interprète qualifie quand même son affinité pour la musique des Colocs de spontanée. C’est quelque chose qu’il a développé par lui-même et qui lui semble tout à fait naturel.
« Si tu connais pas Les Colocs et que tu écris de la musique en français, c’est un peu bizarre pour moi », affirme Gab Bouchard.
Les trois incontournables de Gab Bouchard
Le répondeur – « C’est une des premières chansons que j’ai apprises à la guitare. Quand on m’a demandé de la jouer pour Salut Les Colocs!, ça devait faire près de 15 ans que je ne l’avais pas jouée, mais je la savais encore par cœur. C’est ce genre de chanson-là. »
Juste une p’tite nuite – « Il y a quelque chose de tellement simple dans cette chanson-là. L’harmonica, le groove, la livraison du texte. Dédé, c’était vraiment un parolier qui se distinguait par la simplicité de ses images. »
Tellement longtemps – « “J’ai une blonde qui m’aime, j’ai une belle guitare. J’ai envie de rien, chus toujours en retard”, c’est une ligne qui me parle beaucoup. Des fois, dans la vie, ce dont on a besoin n’est pas nécessairement ce qu’on veut, et ce qu’on veut n’est pas ce dont on a besoin, non plus. Cette chanson-là représente ça pour moi. »