« What can I say? You have gone deep inside of me. I want to sing when I remember all our work of love. »
Leonard Cohen a chanté l’amour et ses déchirements comme peu de gens. Sans grande surprise, il écrivait aussi la passion avec un romantisme inégalé. C’est ce que nous permet de découvrir la mise aux enchères d’une cinquantaine de lettres qu’il a adressées à Marianne.
Celle de la chanson, celle à qui il a consacré son troisième recueil de poésie (Flowers for Hitler), celle qu’il dit avoir aimé toute sa vie malgré les autres.
Les lettres se sont envolées à un prix oscillant entre 2 375$ et 56 250$ américains chacune, pour un total de près de 1,2 million de dollars. Les mots, rédigés entre 1960 et 1979, demeurent accessibles sur le site de Christie’s. On peut les lire et plonger dans le quotidien du couple mythique qu’ont formé Leonard Cohen et Marianne.
Marianne a évidemment un nom de famille. C’est Ihlen. Si on ne retient que son prénom, c’est en partie parce qu’on se plait à le chanter avec Cohen. C’est peut-être aussi parce qu’on ne garde d’elle que la dimension de muse.
En général, on ne sait d’elle que son statut de jeune mère norvégienne fraîchement divorcée qui tombe sous le charme d’un poète sur une île grecque. On devine bien sûr la puissance de son impact quand on sait que c’est pendant sa relation avec Marianne Ihlen que Leonard Cohen a mis la touche finale à son premier roman (The Favorite Game), écrit son second (Beautiful losers) et créé ses deux premiers albums (Songs of Leonard Cohen et Songs from a Room). Bref, on la devine importante au processus créatif de l’homme, mais que sait-on vraiment de son essence?
De ce qu’elle a sacrifié ou gagné dans cette relation?
Comme un fond de pudeur
Je suis depuis longtemps fascinée par le vampirisme qui s’opère entre créateurs et muses, par la relation de pouvoir qui se développe au sein de tels couples. J’aime aussi profondément Cohen, alors l’envie de lire la correspondance nouvellement rendue publique était grande. Pourtant, quelque chose me retenait de le faire…
Avais-je le droit de me mettre le nez dans une histoire aussi intime? N’est-ce pas terriblement voyeur que de plonger dans les souvenirs de deux personnes décédées? Auraient-elles consenti à ce spectacle? J’avais des doutes.
« Je suis depuis longtemps fascinée par le vampirisme qui s’opère entre créateurs et muses. »
Dans ce cas précis, c’est la famille Ihlen qui a procédé à la vente des lettres. On peut imaginer que Marianne les a longtemps gardées pour elle seule. Or, certaines missives écrites par les amoureux ont été publiées dans le livre So long, Marianne : A Love Story. Sans oublier que la note rédigée par Cohen quelques jours avant la mort de Marianne a été reprise dans les médias du monde entier. D’ailleurs, fait intéressant : les mots repris à ce moment-là n’étaient pas ceux du poète, mais d’un ami de Marianne qui le paraphrasait. La véritable lettre se trouve ici, pour les curieux.
Bref, j’ignorais si les amoureux se seraient opposés à la publication de leur correspondance, mais je ne pouvais pas affirmer qu’ils n’y auraient pas consenti avec enthousiasme non plus. Et c’est ce très faible argument que j’ai utilisé pour me déculpabiliser avant d’assouvir ma curiosité…
Des regrets?
Au final, j’ai bien fait de me la jouer indiscrète. Les lettres de Cohen nous plongent non seulement au cœur d’une relation mythique, mais également au sein d’une époque. Plus encore, elles dressent le portrait d’une âme.
Une âme qui doit composer avec la passion, la distance, la solitude, la grâce comme le rejet.
En les lisant, on le comprend bien : ces lettres sont non seulement une leçon d’amour, elles sont un miroir de nos propres émotions. Un voyage dans le chaos sentimental des romantiques.
Pourquoi s’en priver, quand elles peuvent nous éclairer?