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À 13 ans, j’étais obsédée par la musique et avec son emploi du temps de femme moderne, ma mère avait peur de me faire passer à côté de ma passion. Ce pensionnat-là avait un profil musique étude, le prix était vraiment abordable, elle s’est dit “Pourquoi pas?”.
Ce qu’elle ignorait, c’est que les autres filles avaient toutes de meilleures raisons que moi d’être là : désordres alimentaires, parents militaires déployés ou en prison, victimes d’intimidation… J’étais la outcast parce que j’étais trop normale. J’étais comme Lindsay Lohan dans Mean Girls, sauf qu’au lieu d’avoir parcouru la savane j’étais allée à l’école normale… et qu’au lieu d’emménager dans l’Illinois, je débarquais au couvent.
Au bout d’une semaine, je commençais un peu à m’habituer à répondre “oui, madame” aux adultes et à cacher du pain dans ma robe d’uniforme au cas où une boulimique me volait mon poisson pané à la cafétéria. Quand tout à coup : BOOM ! Le 11 septembre 2001. Dans mon esprit chamboulé par mon nouveau mode de vie extrême, j’étais soudainement persuadée que je venais d’atterrir dans un espèce de camp de concentration.
Comme on ne recevait pas beaucoup d’informations de l’extérieur, nous, tout ce qu’on avait compris, c’est que ça allait être la 3e Guerre mondiale.
On se sentait comme dans un film des années 40, comme des infirmières qui attendent les prochains bombardements. Il faut dire que coincer 500 adolescentes ensemble nuits et jours, c’est la recette absolue pour créer du drame. TVA, je vous offre le concept pour une télé-réalité. De rien.
SES PARENTS VOULAIENT EN FAIRE UNE FILLE SAGE, MAIS ILS ONT CRÉÉ UN MONSTRE. À L’AFFICHE EN 2015.
Le truc avec les pensionnats pour filles super stricts, c’est que tes parents espèrent toujours secrètement que ça va te faire devenir super bonne à l’école, et super sexuellement refoulée. Dans une certaine mesure, ça a marché. Vu le genre de filles qu’il y avait là, seulement 6 grossesses non désirées en 500 filles et en 4 ans, je pense que c’était un score plutôt honorable.
Dans la ville où se situait notre école, les gens nous voyaient aller à travers la grille, et toutes sortes de rumeurs circulaient sur nous : qu’on était dans une prison pour mineures, qu’on était une genre de secte sexuelle, qu’on était des petites bourgeoises nymphomanes que nos familles voulaient cacher. Les gens fantasmaient, mais ce qu’ils ignoraient, c’est que beaucoup avaient arrêté de se raser les jambes et ne lavaient leurs uniformes que pendant les vacances. Sérieux, ça aurait coupé l’envie au pire des pédophiles.
Indépendamment des poils et des odeurs de règles, j’ai l’impression que le fait de cohabiter aussi intensément avec des femmes, sans aucun homme auquel les comparer, m’a offert une connaissance privilégiée de ce qu’est la féminité dans l’absolu. Moins glamour, mais plus passionnant.
Ne vous méprenez pas, je ne dis pas que c’était la chose la plus saine du monde, c’était simplement une expérience sociologique vraiment unique.
L’ENNUI. OH GOD, L’ENNUI.
On était enfermées, on allait des dortoirs à la cafétéria et des salles de classe aux dortoirs dans un cycle infini, alignées en rang comme des vaches…
Certes, on avait un emploi du temps encadré, et on n’était jamais vraiment laissées à nous-même. Mais on avait UNE soirée télé par semaine, pendant laquelle on faisait un vote à main levée pour choisir un DVD dans la bibliothèque. Laissez-moi vous dire que j’ai vu Harry Potter à l’école des sorciers 11 fois.
À l’adolescence, tout le monde s’ennuie. Mais être en pension pour filles, c’est l’ennui à un tout autre niveau. Sûrement le même genre d’ennui qui pousse les prisonniers à soudainement découvrir Jésus.
Moi, au pensionnat, je n’ai jamais trouvé Jésus, mais Sophie m’a montré où trouver mon clitoris.
Et je suis certaine que le fait de m’être autant ennuyée plus jeune a beaucoup influencé le cours de ma vie, et m’a permis de trouver ma….richesse intérieure? (Je n’ai pas trouvé de façon moins quétaine de dire, alors je vais l’assumer.) C’est certainement à cause de cet ennui immense que par la suite, j’ai décidé très fermement de tout faire pour ne plus jamais m’ennuyer dans la vie. À date, ça a été plutôt intéressant, si ce n’était de toutes ces satanées MTS. (Maman, tout est faux, arrête de lire mes articles.)
LES SÉQUELLES
Après le choc initial, j’ai finalement vécu des années incroyables dans mon école de 1932. Évidement, j’en ai gardé des amies très proches ( ;) Sophie), et parfois, quand j’éternue dans mon lit la nuit, je m’attends encore à ce que 50 filles me crient: “CHUUUUUUUUT!”.
Mais je pense que ce que j’ai appris de plus important là-bas, c’est :
- Comment se forger une identité propre quand tu passes 24h/24, 7jours/7 avec des gens qui n’ont jamais vu ton vrai linge, ta maison, ni ta famille.
- Comment mener sa vie en oubliant toujours de se comparer aux hommes. Quand t’es une femme, ça fait vraiment du bien.
- Comment se masturber sans faire de bruit.
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Pour lire un autre texte de la même auteure: Les leçons que j’ai apprises en travaillant dans la porn.