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Les irréductibles du masque
Ils vivent parmi nous, discrètement, sans faire de vagues. Anachroniques, voire hypocondriaques pour les uns, responsables ou altruistes pour les autres, les irréductibles du masque font toujours partie du décor et ont leurs raisons de perpétuer un rituel pandémique.
Je suis allé à leur rencontre pour leur demander dekosséencorelemasque et disons qu’ils sont unanimes sur au moins un point : le monde a vite baissé la garde après la levée des mesures sanitaires. Et même si on les laisse vivre leur masque en paix, ils font parfois l’objet de commentaires désobligeants et l’un d’eux raconte même qu’on a tenté de lui arracher le sien.
Au Québec (Canada), le port du masque n’est plus obligatoire – sauf dans certains milieux de la santé – depuis mai 2022. J’ai passé environ une semaine avec un couvre-visage.
Pas parce que je suis malade et certainement pas par nostalgie, mais juste pour me glisser subtilement dans les souliers de ces gens qui, pour diverses raisons, n’ont pas brûlé leur couvre-visage. Un journaliste d’infiltration, un vrai, au péril de mon haleine fraîche et au risque de ravoir de la buée dans mes lunettes.
En gros, je voulais (attention…) voir ce qui se cache derrière le masque!
« L’employeur m’a demandé de l’enlever »
Pour le contexte, c’est en lisant un article publié dans Le Devoir il y a quelques semaines que je me suis intéressé à ce sujet. On rapportait l’histoire d’une serveuse dans un restaurant du centre-ville, qui a quitté son emploi parce que son employeur refusait de la laisser porter son masque.
Jointe par URBANIA, Sarah Ben Sabat est revenue sur les événements. « Pendant mon dernier shift, quelqu’un se serait plaint et l’employeur m’a demandé de l’enlever », raconte la serveuse, aujourd’hui barmaid dans un restaurant de l’aéroport, où on la laisse porter son masque tranquille.
Elle justifie sa décision de garder son masque à la crainte de contracter la COVID, étant l’une des rares à ne l’avoir encore jamais eu. « Je le porte au travail et dans les magasins parce que si je tombe malade, je vais devoir prendre congé sans solde », explique Sarah, qui préfère prévenir que guérir.
Elle a aussi vécu un an en Asie, où les gens ont coutume de porter le masque lorsqu’ils sont malades ou pour se protéger de la pollution. « Je pensais que les gens allaient faire la même chose ici, au moins quand ils sont malades. Ça ne semble même pas être le cas », déplore Sarah, qui s’est même tournée vers la CNESST pour découvrir qu’elle n’avait aucun recours.
Si l’organisme le recommande pour prévenir la propagation des infections respiratoires, aucune loi ne l’exige.
Au contraire, les employeurs peuvent même refuser qu’on le porte sur leur lieu de travail, ayant le pouvoir de définir les « conditions d’exécution du travail ». Aucun recours n’existe pour les employés opposés à cette mesure.
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Bref, c’est pas mal l’inverse de la situation observée durant la pandémie, où les employés récalcitrants au port du masque risquaient des sanctions et l’opprobre de leurs collègues.
De son côté, le ministère de la Santé et des Services sociaux soulignait au Devoir que même s’il n’est plus obligatoire, toute personne peut faire le choix personnel de porter un masque si elle considère qu’elle serait ainsi mieux protégée.
Ajoutons à ça une période de recrudescence des cas de COVID et des hospitalisations, observées depuis la rentrée.
C’est sans compter la situation alarmante observée ailleurs, notamment au sud de la frontière. Des experts américains recommandent le port du masque pour les personnes à risques, « au moins jusqu’à ce que les chiffres se remettent à descendre ».
La hausse des cas suscite aussi des réflexions de l’autre côté de l’Atlantique, où le ministre de la Santé français devra statuer sur le retour ou non du masque.
Au Canada, il n’y a pour l’instant qu’à l’hôpital d’Ottawa que le masque est obligatoire depuis le 11 septembre, et ce tout au long de la saison des virus respiratoires. Au moment de publier, on apprend que le CHUM emboite le pas pour contrer une recrudescence des cas.
Au Québec, le gouvernement le recommande discrètement (sur son site) pour les aînés, immunodéprimés, femmes enceintes, personnes vulnérables et dans les lieux achalandés.
Et même si les médias ont (enfin) cessé de nous maintenir sur le gros nerf en publiant le bilan des morts/hospitalisations au quotidien, les statistiques continuent de s’empiler sur le site du gouvernement (une quarantaine de décès liés à la COVID la semaine dernière).
Flashbacks pandémiques
J’amorce l’expérience un lundi matin, en enfilant mon masque pour aller reconduire ma fille à l’école.
Je sais que ce n’est pas la mission journalistique de la décennie, mais ça fait quand même bizarre de me remettre ça dans la figure.
Plein de flashbacks pandémiques me reviennent d’un seul coup. Couvre-feu, délation, vaccin(s), variants, CHSLD, point de presse, Arruda, faire son pain, papier de toilette, bilan quotidien, zones, barrages policiers, passeport pour aller au restaurant, lavage de main de 20 secondes, etc.
Une impression désagréable de revenir en arrière.
Ma fille ne se formalise pas vraiment de mes niaiseries habituelles. Elle a vu papa travailler chez Walmart, dans un CPE, traire des vaches, camper dans la cour en février, vivre dans la rue et recharger des trottinettes électriques dans la cuisine. Elle est immunisée.
« Eddie (Vedder) t’a donné la COVID? », lance une voix derrière. Alexandre, mon voisin, fait référence à mon week-end gonzo à Chicago pour voir mon énième concert de Pearl Jam (jugez-moi).
Sinon mon masque ne crée aucune commotion autour de l’école, même si personne d’autre que moi n’en porte.
Même chose lors de mon passage ensuite sur le plateau de l’émission On va se le dire animée par Sébastien Diaz, où on m’invite à l’occasion pour faire grimper les cotes d’écoute.
On est aux antipodes du climat qui régnait là en pleine pandémie, avec une personne à l’accueil pour prendre notre température et le masque obligatoire durant les pauses.
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Amélie au maquillage explique que l’attitude des gens a viré bout pour bout. D’obligatoire, il est devenu non grata presque partout. « On a une invitée qui a été malade deux fois durant le show. Rendu là, elle aurait pu rester chez elle », souligne-t-elle, déçue de voir que le proverbial gros bon sens s’est éclipsé en même temps que l’état d’urgence.
Dans le studio, personne ne se formalise de mon masque. Ni Sébastien ni les invité.es, qui me demandent simplement si je suis malade. Je résume un peu mon expérience à Robert Lepage, qui m’écoute poliment en se disant probablement : « Qui est ce garçon étrange? Je ne comprends pas ce qu’il raconte ».
Au bureau non plus, mon masque ne sème aucun émoi.
Philippe, un anti-masque notoire de niveau huit sur l’échelle de Tadros, jongle avec l’idée de me congédier.
« T’as-tu la Coco? », renchérit mon collègue Ben en débarquant dans la salle pour la réunion éditoriale hebdomadaire.
J’explique mon projet à mes pairs, qui réagissent par un haussement d’épaules. « Slow news weeks… », soupire Harold, un rabat-joie.
Barbara, de passage au bureau, m’explique que ça devrait être une marque de courtoisie de porter le masque si on ne se sent pas bien. « J’assume pas nécessairement que les gens qui ont un masque ont la COVID », souligne-t-elle.
Elle est presque seule dans son équipe, si je me fie aux gens croisés sur ma route avec mon masque, tous convaincus que je traîne le nouveau variant.
D’ailleurs, on en est où avec ça? Après le SARS-CoV-2, le Alpha, Bêta, Gamma, Delta et Omicron, en plus du EG5, mieux connu sous le nom d’Eris, digne hériter d’Omicron et plus infectieux encore que ses prédécesseurs, selon les experts. On s’y perd, mais on serait présentement confronté au nouveau variant BA.2.86 de la souche Omicron, qui vient de faire son entrée au Canada.
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« Je trouve ça un peu égoïste »
Il pleut aujourd’hui, c’est la journée idéale pour aller faire un tour dans le métro, en quête de gens masqués. C’est là qu’ils se tiennent, paraît.
Dans le bus, je suis le seul masqué et le sentiment demeure étrange. Je vais m’habituer. Quelques paires d’yeux se froncent à ma vue, sans plus. À la station Rosemont, je croise ma première masquée, Marie-Noëlle. « Moi, c’est vraiment par prévention, je suis une anxieuse », avoue-t-elle d’emblée, précisant tout juste commencer à le mettre à cause de la rentrée scolaire qui augmente l’achalandage dans le transport en commun.
Marie-Noëlle a beau avoir quatre vaccins et attendre le prochain, elle estime que le port du masque est aussi une marque de courtoisie. « Je le fais par prudence, mais au travail, j’ai aussi deux collègues proches aidants », explique-t-elle. Marie-Noëlle s’étonne enfin de constater que les gens ont vite relégué le masque aux oubliettes.
« Avec la montée des variants, la recrudescence des cas et l’état de notre système hospitalier, je trouve ça un peu égoïste », admet-elle.
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Au métro Place d’Armes, deux dames relativement âgées détonnent dans le wagon bondé. « C’est bizarre que les gens aient jeté le masque à ce point, ici! », s’exclame Deborah, qui habite aux États-Unis avec son amie Elizabeth. Les deux touristes en visite racontent ne pas avoir vu de couvre-visage ou presque depuis l’aéroport. « Chez nous, il y a une grosse recrudescence. Je ne l’ai pas encore eue (la COVID) pour ma part! », se réjouit Deborah, en se tapant sur la tête pour illustrer le fait de « toucher du bois* ».
*Avis à la population mondiale : il faut cesser de faire ça, à tout jamais. Merci.
« Je passe inaperçu »
Je débarque à l’UQAM pour rencontrer des étudiant.e.s en journalisme dans le cours d’un camarade enseignant.
J’aperçois un jeune homme masqué assis à une table dans l’agora. Il a la meilleure raison de le porter. « J’ai la COVID! », avoue-t-il, un brin piteux.
La politique actuelle suggère de se présenter en classe avec un masque si on n’a pas de symptômes. Disons qu’on est à des années-lumière du comportement ambiant envers les personnes infectées durant la pandémie qu’on fuyait comme s’ils étaient des pestiférés en leur jetant de l’eau bénite et en les exhortant à se barricader chez eux avant de jeter la clé au bout de leur bras.
C’est la troisième COVID de Rémi, qui n’a cette fois pas trop de symptômes. « Omicron était vraiment le pire! », confesse cet expert.
Rémi est bien placé pour savoir que les gens ont baissé la garde concernant la COVID. « Même quand je leur dis que j’ai le virus, ils m’invitent pareil au cinéma! », s’étonne-t-il.
Dans son entourage, il observe une recrudescence des cas, en lien avec le retour à l’école et les initiations à la rentrée scolaire. « Ça devrait être une pratique normale de le porter quand on a un rhume », résume Rémi.
L’étudiant constate ne susciter aucune vague avec son masque. « Je passe inaperçu…», résume-t-il.
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À l’intérieur du métro Berri-UQAM, on renoue avec un fort achalandage, mais presque personne ne porte de masque.
Personne sauf Théo-Rose, qui maintient cette pratique par altruisme. « Au début de la pandémie, je vivais avec quelqu’un d’immunosupprimé. Ça me causait une détresse de voir les gens s’en foutre », confie-t-il pendant le trajet jusqu’à la station Mont-Royal. Sans ne rapporter rien de grave, Théo-Rose admet se faire parfois dévisager et faire l’objet de commentaires désobligeants. « Des gens trouvent ça ridicule et disent : “voyons, t’as plus besoin de porter ça!” »
Sur l’avenue Mont-Royal, je croise Émilien sur le trottoir avec son masque, qui me raconte aussi se faire dévisager.
« Dans un bar, une personne a même essayé de me l’arracher », déplore le jeune homme, dont le visage est recouvert d’un N95.
« Je reste informé sur la COVID. Les gouvernements ont décidé que ce n’était plus obligatoire et laissent la responsabilité aux gens. Mais il y a de plus en plus de cas, présentement », observe Émilien.
Il aimerait parfois en débattre avec les gens, leur faire entendre raison, mais se ravise. « Je prêche un peu dans le désert, même dans ma propre famille », résume-t-il.
Je termine mon expérience en étant surpris de constater à quel point le masque se fait rare dans le paysage depuis la levée des mesures.
On s’était tous fait croire qu’on le porterait lorsqu’on sera malade, par respect, comme en Asie, mais force est d’admettre qu’on a encore collectivement le masque en travers de la gorge.
Je me console en me disant que les gens qui le portent ne se font au moins pas trop embêter. Vivre et laisser vivre : ça sera au moins ça de gagné.