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Notre collaboratrice Anne-Marie Auger a des passions un peu spéciales. Elle adore – et le mot est faible – traîner sur les sites de ventes de maisons pour observer comment les gens vivent et à quoi ressemblent leur chambre à coucher et leur sapin de Noël. Elle finit souvent par visiter virtuellement des bungalows de Sept-Îles à 1 heure du matin un mardi soir. Dans un élan de partage, elle a eu l’idée de demander à des gens qu’elle aime de révéler leurs propres plaisirs ou petites obsessions du web. Aujourd’hui, Arnaud Soly (humoriste, flutiste nasal, troll dans la section commentaires du site de Ricardo, improvisateur, animateur et comédien) dévoile sa passion internet.
Allô Arnaud. Qu’est-ce que je serais surprise de retrouver dans ton historique de recherche?
Beaucoup, beaucoup de vidéos de rap battles.
Est-ce que tu peux expliquer à une totale néophyte comme moi comment ça fonctionne, un rap battle? EST-CE QU’IL Y A DE LA VRAIE BATAILLE?
Un rap battle, c’est un combat de rap a cappella, le but est de diss (insulter) son adversaire en rappant. Le diss est intrinsèque à la culture rap. Il n’est pas censé y avoir de vraie bagarre, quoi que certains rap battles se sont déjà soldés par de la violence physique. Contrairement à ce qu’on voit dans le film 8 Miles, les rap battles ne sont pas 100 % improvisés, les adversaires sont connus d’avance afin de préparer des verses.
Oh mon dieu, c’est ben violent. Est-ce que c’est arrangé comme la lutte?
Non, ce n’est pas arrangé, en ce sens où les gagnants ne sont pas déterminés d’avance. Certains battles sont évalués par des juges afin de déterminer un gagnant, sinon le public vote en ligne. Par contre, ça peut ressembler à la lutte dans la mesure où les combats sont souvent publicisés pour créer un engouement, donc il y a du trash talk, des vidéos de call-out, etc. Mais les gens qui s’affrontent ne sont pas forcément en chicane. C’est une compétition où, règle générale, les rappeurs se respectent beaucoup.
Ce genre d’affrontement verbal avec une foule en délire, ça se rapproche quand même pas mal de la street impro et de ce que vous faites au Punch Club, non?
En effet le modèle Punch Club est inspiré des rap-battles dans sa forme : vidéos de call-out pour insulter ou provoquer l’adversaire et « cypher », c’est-à-dire la foule de gens en demi-cercle réunis autour des performeurs. Ça ajoute beaucoup d’énergie au spectacle.
C’est vraiment intéressant tout ça! Quelles stars est-ce que je devrais connaître?
Au Québec, plusieurs rappeurs connus ont débuté leur carrière dans le rap battle — dans la ligue WordUp. On a qu’à penser à Yes McCan, Snail Kid et Joe RCA des Dead Obies, ainsi que Loud et Koriass. Aux États-Unis et ailleurs dans le monde, le nombre de stars du rap battle est immense : Dizaster, Tsu Surf, Charron, DNA, Tay Roc, Hollow Da Don, Bigg K, Pat Stay, Charlie Clips pour ne nommer qu’eux.
Parle-moi un peu de rapport personnel à la patente. Ça a commencé quand? Tu peux en écouter combien en ligne?
J’ai commencé en regardant mes amis rappeurs participer au WordUp, puis je suis rapidement tombé dans les ligues américaines : KOTD, URL. Mais je suis pas si intense que ça, j’écoute rarement plus de deux heures de rap battle en ligne. J’aime aussi écouter des vlogs et entrevues sur la chose.
Est-ce qu’il y a une apothéose du rap battle au Québec, selon toi? Te souviens-tu d’un moment particulièrement épique?
Pour moi le meilleur de tout les temps au Québec, c’est Jam. Il a un ton posé, il est drôle, il a du style, il a des angles brillants. Sinon, mon battle préféré au Québec est Yes McCan vs Chacalcolik. C’est un vrai classique. Deux styles différents, des longs rounds, beaucoup d’anticipation.
T’es très intense dans ta passion, j’aime ça. Qu’est-ce que ça vient chercher en toi, regarder deux colosses qui se lancent des insultes?
Ce que j’aime, c’est la créativité, les jeux de mots, les angles d’attaques, les rimes, la performance. J’aime qu’on puisse, avec des règles si simples (insulter l’autre), se renouveler sans cesse. Ça prouve pour moi que l’imagination est sans borne.
En humour, il existe aussi quelque chose de semblable : les roasts. Ça fait partie de la culture américaine depuis plus de 100 ans. Il s’agit de trouver une manière de ridiculiser quelqu’un par l’humour, mais derrière ça se cache toujours du respect (on taquine ceux qu’on aime).
Ceci dit, ce que j’aime moins de ce milieu, c’est le côté homophobe ou sexiste qui est encore souvent présent.
En effet, c’est pas toujours propre propre. La féministe en moi a les oreilles qui chauffent.
Je te comprends. Mais les choses changent doucement. Y’a de plus en plus de rappeurs qui sont plus progressistes dans leur propos. Aussi, de plus en plus de femmes embarquent dans le mouvement. Il y a une ligue de rap battle féminin aux États-Unis qui s’appelle Queen Of The Ring.
Y’a des excellentes « battlerappeuses ». Je pense entre autres à Jaz The Rapper et O’fficial.
Je veux pas aller creuser trop profondément dans ta psychothérapie, mais est-ce qu’il n’y a pas aussi un certain plaisir malsain à voir quelqu’un se faire humilier sur scène? De voir un gros tough perdre la face? C’est peut-être parce que je n’y connais rien, mais ça se peut-tu qu’il y en ait qui regardent ces vidéos-là pour le cringe, avec un genre de curiosité morbide?
Non, pas vraiment. C’est absolument pas l’humiliation qui m’intéresse, mais, au contraire, la créativité. C’est sûr qu’on finit par s’identifier aux artistes, à leur vie ou à leur apparence. Personnellement, par exemple, j’adore Charron. C’est un jeune Canadien qui est considéré comme le meilleur rappeur en freestyle au monde. Son apparence de petit blanc maigre qui improvise me parle beaucoup. J’aime le voir affronter des « battlerappeurs » street, c’est un gros contraste de réalités.
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Arnaud Soly se promène actuellement avec son premier spectacle stand-up solo Presque adulte et fait partie de la nouvelle mouture de la série documentaire Les 5 prochains sur ARTV. On le remercie pour cet entretien et on lui souhaite un paquet de « battlerappeurs » progressistes.