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Les icônes de la télé au Far West du balado

Marie-Claude Barrette, Jean-Luc Mongrain et Denis Lévesque se confient.

Par
Benoît Lelièvre
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Le web est un sport de jeunes.

Milieu en constante évolution, il est difficile d’y asseoir ses habitudes, tant pour les créateurs de contenu que pour le public. Sans cesse à la merci des algorithmes, du prochain concept, de la nouvelle plateforme ou tout simplement de l’arrivée de créateurs et créatrices (toujours plus) djeunes. Expliquer « Skibidi Toilet » à n’importe qui né avant l’an 2000, c’est se magasiner une conversation malaisante teintée d’un vague mépris intergénérationnel.

L’ampleur du défi n’a toutefois pas empêché Marie-Claude Barrette de se lancer et de gagner son pari. L’ancienne coanimatrice de Deux filles le matin et de Marie-Claude a lancé son balado Ouvre ton jeu le 16 avril 2023, quelques semaines à peine après s’être fait cavalièrement montrer la porte de TVA. Le 3 avril dernier, elle célébrait son 100e épisode devant un Lion d’Or plein à craquer en compagnie de la centenaire de l’heure, Janette Bertrand.

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« Le projet de faire un balado était dans l’air depuis l’été 2022. On avait fait Deux filles en quarantaine, sur QUB, pendant la pandémie et c’est grâce à ça que j’ai été approchée par Richard Speer de chez Attraction », raconte Barrette que j’ai rencontrée dans sa loge avant son enregistrement. « C’est certain que mon départ de TVA a accéléré les choses, mais on était quand même prêts. »

Elle est cependant l’exception qui confirme la règle chez les transfuges de la télé. Le milieu du balado étant hypercompétitif en raison d’un choix loin de se limiter à une poignée de grands diffuseurs, d’autres grands noms de la télé comme Denis Lévesque et Jean-Luc Mongrain s’y sont risqués, mais ont tous deux baissé pavillon.

Marie-Claude Barrette est-elle une licorne ou a-t-elle compris quelque chose qui échappe à ses compétiteurs?

L’épisode en direct avec Janette Bertrand est disponible sur YouTube.
L’épisode en direct avec Janette Bertrand est disponible sur YouTube!
L’épisode en direct avec Janette Bertrand est disponible sur YouTube.
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Plus libres sur le fond, moins sur la forme

Il va sans dire que les règles du web sont complètement différentes de celles de la télé, mais c’est un défi qui convenait aux besoins de Marie-Claude Barrette.

« À la télé, y a quand même les cotes d’écoute qui comptent, un public cible et une grille horaire. La liberté du choix des invités est entièrement la mienne. Personne ne me dit : “Non, il travaille à l’autre poste”. C’est un autre univers. On n’a pas de pression d’âge, de sexe, rien », m’explique Marie-Claude Barrette.

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Semaine après semaine, des invités de tous âges et tous azimuts viennent répondre aux questions de Marie-Claude Barrette. Peu importe si Marie-Claude Barrette reçoit Alicia Moffet, India Desjardins, Ricardo, Lysandre Nadeau, Pierre-Yves McSween, Serge Denoncourt ou Marc Labrèche, le public est au rendez-vous.

« Je crois que le jeu est la véritable clé de mon succès. C’est ce qui fait en sorte que les gens reviennent », soulève l’animatrice.

Parce que oui, avant d’être une conversation, Ouvre ton jeu est d’abord un exercice où un invité accepte de piger des questions de plus en plus intimes. Les cartes sur lesquelles sont inscrites les questions sont codées par couleur, de vert à rouge.

« Quand tu fais une entrevue avec quelqu’un, ça prend une direction. Un point d’achoppement. Une entrevue sans direction, c’est pas une entrevue. C’est juste jaser », précise la reine de la soirée, qui doit interrompre notre conversation pour faire une intervention en direct à Noovo.

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La remplaçante de Jean-Philippe Wauthier à la barre de Bonsoir bonsoir! attribue aussi une partie de son succès au fait qu’elle s’était déjà bâti un public sur les réseaux sociaux. « Une erreur que plusieurs font, c’est que si tu pars un balado avec zéro abonné, ton public sera zéro. Sans audience sur les réseaux, c’est comme si t’avais nulle part où diffuser ton balado. Sur le web, t’es ton propre diffuseur. Tout le monde compétitionne à armes égales. C’est ton public qui va te tirer vers l’avant dans les algorithmes. »

Une variable qui a joué en faveur de Marie-Claude Barrette, c’est qu’elle n’a jamais arrêté. 100 épisodes en deux ans, ça équivaut à environ un épisode par semaine. Elle a non seulement réussi à établir un rendez-vous avec son public qui l’a suivie de la télé, mais aussi avec un public graduellement plus jeune.

« Il n’y a que deux règles à Ouvre ton jeu : écoute et bienveillance. C’est quelque chose qui parle à tout le monde », conclut-elle.

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La libération des uns, la prison des autres

Pour Denis Lévesque et Jean-Luc Mongrain, l’aventure du balado fut une autre sorte d’expérience intergénérationnelle. Ils ont tous les deux été influencés à se lancer sur une nouvelle plateforme par leurs fils. Mongrain a débuté sur Facebook pendant la pandémie pour en commenter les développements. Toutefois, la nature des interactions avec le public l’a tout de suite refroidi.

« Ça marchait très bien. J’ai gagné plus de 100 000 abonnés en très peu de temps, mais j’ai vite déchanté en lisant les commentaires. L’anonymat donne du courage à certaines personnes », explique l’ancien animateur de Mongrain de sel.

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Mongrain sur le plateau du 8e épisode de son balado. Il portait sur l’aide médicale à mourir et à ce jour, c’est celui dont il est le plus fier.
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Denis Lévesque, lui, a cofondé la compagnie de production 9millions afin d’être maître de son destin, mais la colossale charge de travail l’a vite forcé à remettre ses ambitions en question. « À la télé, je passais peut-être 30 % du temps à me préparer et 70 % en ondes. Là, je passais peut-être 20 % devant la micro? Je suis un communicateur. C’est ça que j’aime faire dans la vie. Tu comprends que c’était pas optimal pour moi », raconte-t-il.

En devenant producteur, Lévesque s’est aussi retrouvé à devoir payer pour travailler et à passer beaucoup plus de temps sur la job. « Marie-Claude Barrette s’est associée avec un producteur dès le départ. C’était une bonne idée. Ça m’aurait enlevé beaucoup de travail si j’avais fait ça », explique l’ancienne star de TVA.

Les deux hommes s’entendent pour dire qu’à leur âge, la charge de travail n’en vaut simplement pas le coup. En tout, Jean-Luc Mongrain n’a enregistré que dix épisodes de Mongrain en balado avant de tirer la plogue.

« Le problème, avec le web, c’est qu’avec les algorithmes, tu deviens esclave de ton produit. Il faut que tu publies tout le temps. J’ai eu quelques offres de joueurs majeurs pour continuer, mais c’était famélique pour la charge de travail, donc j’ai décidé d’arrêter », raconte ce dernier.

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Ce sentiment trouve écho chez son collègue qui a enregistré et mis en ligne plus d’une soixantaine d’épisodes de Denis Lévesque : le show avant de plier l’échine.

« Quand tu travailles à la télé, plus tu ratisses large, mieux c’est. Là, ton algorithme se base sur ce que tu viens de voir pour te montrer la prochaine affaire. Si tu regardes du sport, ça va te montrer du sport. Si tu regardes du contenu anti-Trump, ça va te donner du contenu anti-Trump. Si tu veux réussir, faut toujours faire la même chose. C’est pas ça qui m’intéresse dans le métier », raconte Lévesque.

Denis Lévesque : le show
Denis Lévesque : le show
Denis Lévesque : le show
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L’expérience de Marie-Claude Barrette et celles de Lévesque et Mongrain diffère à plusieurs égards, mais une des raisons qui explique le succès de cette dernière est qu’elle y trouve une satisfaction qu’elle ne trouvait pas ailleurs.

En plus d’animer son balado, Barrette s’occupe de sa plateforme numérique MarieClub tout en maintenant un lien avec son auditoire beaucoup plus propre à celui des créateurs de web. Lors de l’enregistrement du 100e épisode, lorsque les gens ont commencé à entrer dans la salle, elle en reconnaît plusieurs. Elle en nomme même certains par leur petit nom.

Ce lien beaucoup plus intime avec le public, c’est toute une bibitte à apprivoiser. Ça demande du travail et de l’implication. Quand on a l’impression d’avoir fait le tour, c’est normal d’être moins intéressé par les nouvelles variables et la charge de travail.

« Il y a des gens qui trouvent beaucoup de liberté sur le web, mais moi, j’ai jamais eu à me censurer avec mes diffuseurs en 35 ans de télévision, alors c’est vraiment le contraire, ce que j’ai vécu. J’avais l’impression d’être un hamster sur sa roue », conclut Jean-Luc Mongrain.

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Le Lion d’Or se remplit d’un public de tous âges. Parmi eux, Lysandre Nadeau assiste à l’enregistrement avec une amie. On vient pour le jeu, pour Janette, mais aussi pour Marie-Claude. Plusieurs personnes semblent déjà se connaître, un esprit de communauté règne dans la salle.

Un bébé se met à rouspéter : « C’est mon petit-fils Henri. C’est mon plus jeune auditeur! Inquiétez-vous pas, s’il est trop bruyant, on va juste l’emmener à l’arrière », annonce Marie-Claude.

C’est pas tant le jeu ou le contenu, le secret du succès de Barrette. C’est le lien de proximité avec l’audience et ça, l’animatrice l’a non seulement compris, elle le maîtrise parfaitement.