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Les grèves du sexe ne donnent pas grand-chose, sauf de beaux gros titres de journaux

Le boycottage des activités sexuelles impliquant un pénis dans un vagin ne provoque pas un changement de mentalité quand ce n’est qu’une action isolée.

Par
Mélodie Nelson
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En Arkansas, depuis 2017, un agresseur sexuel peut poursuivre sa victime pour l’empêcher d’avorter. En Alabama, l’interdiction récente de pratiquer ou de subir une interruption volontaire de grossesse, même en cas de viol et d’inceste, horrifie la population américaine et internationale. Le Texas songe maintenant à rendre passibles de la peine de mort les personnes « radicales » qui interrompent leur grossesse.

Une Lolita qui souhaite l’empathie des rednecks et des républicains

Alyssa Milano a tenté de trouver un moyen de protestation ralliant utérus et testicules trop pleins. L’actrice de Casualties of Love : The Long Island Lolita Story (à chacun ses références) a proposé la grève du sexe pour faire en sorte que les hommes blancs se retirent de la gestion de l’utérus des femmes. Je n’étais pas la seule à trouver ça ridicule de tout ramener à la menace de terminer ses soirées à se branler dans les toilettes. Comme si baiser n’était que pour se plier aux plaisirs et désirs hétéronormatifs des mecs.

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Alyssa Milano assurait toutefois que la grève du sexe était une option qui avait déjà permis de changer le monde. Historiquement, ce n’est pas la première grève du sexe, mais il est réducteur de croire que cette action seule peut en venir à rendre empathiques rednecks et républicains.

Le succès des grèves du sexe dans l’histoire

«La grève du sexe est le titre médiatique qui vend le plus, mais la vérité est que l’arme la plus impressionnante du mouvement des femmes était le souci de clarté morale, la persévérance et la patience.»

La plus grande réussite des grèves du sexe n’est pas de changer les mentalités, mais d’attirer l’attention des médias sur des enjeux, qui, sinon, sont parfois ignorés. Leymah Gbowee, la co-lauréate du prix Nobel de la paix de 2011 pour son travail avec l’organisation Women of Liberia Mass Action for Peace, l’a même reconnu.

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En 2003, après avoir utilisé plusieurs tactiques afin que la guerre civile au Libéria prenne fin, Gbowee a dit : « La grève du sexe est le titre médiatique qui vend le plus, mais la vérité est que l’arme la plus impressionnante du mouvement des femmes était le souci de clarté morale, la persévérance et la patience. Ça nous a pris trois ans de manifestations et de démonstrations non violentes, des années dans la rue, à demander l’attention des officiels et des médias. Puis nous avons lancé la grève du sexe. » C’est à ce moment que les femmes de toutes les communautés et religions ont décidé de s’abstenir de relations sexuelles, et leurs maris les ont suivies dans cette protestation. La fin de la guerre civile a aussi été marquée par l’élection de la première femme présidente d’un pays africain, Ellen Johnson Sirleaf.

Les genoux croisés pour la diminution de la criminalité

En Colombie, une grève du sexe en 2006 est pointée comme la cause d’une diminution importante de la criminalité. Dans la ville de Pereira, une vingtaine de femmes ont demandé à leurs partenaires de remettre leurs armes et de suivre des programmes d’orientation professionnelle, pour tenter de résorber les ravages d’une guerre de gangs. Pendant dix jours, elles ont refusé d’ouvrir leurs jambes, pour montrer que la violence, ce n’est pas mouillant. Le taux de criminalité a chuté de 26,5 % en 2010, présentant la grève comme une victoire.

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Ce serait merveilleux si le seul fait de ne pas baisser sa petite culotte pendant dix jours avait entraîné un tel résultat, mais ce n’était pas une action isolée. Un mois avant la grève, 140 000 résidents de la ville avaient déjà voté pour un désarmement des civils. Les autorités locales étaient également conscientes de la problématique et déployaient des efforts pour réduire la violence. La grève du sexe a permis à la conscientisation de parvenir au niveau international.

Proposer la famine est plus efficace que de porter une ceinture de chasteté

Lors de son appel à boycotter les aventures sexuelles, la vedette de Confessions of a Sorority Girl a aussi rapporté l’exemple des Iroquoises qui, au 17e siècle, ont fait la grève afin d’obtenir plus de pouvoir décisionnel dans leur communauté. C’était oublier que, tout comme l’action des femmes de la ville de Pereira, la grève du sexe n’était pas l’unique tactique déployée pour bouleverser l’ordre dépassé des choses. Les Iroquoises avaient également refusé de coudre des vêtements et de s’occuper des réserves de nourriture. La menace de famine était sans doute plus efficace que la menace de ne pas se coller poils pubiens contre poils pubiens.

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Une idée répressive de la sexualité à dénoncer

L’utilisation de la grève du sexe pour attirer l’attention des médias dans l’espoir de provoquer des changements importants, est une stratégie qui se révèle à la fois oppressive et d’une popularité qui précipite des débordements. Par exemple quand en 2011, une sénatrice belge a proposé à la blague de s’en servir pour dénouer une crise politique ou en Espagne, en 2012, où un journal britannique avait inventé que des escortes de luxe privaient les banquiers de tout service sexuel, tant qu’ils continuaient à escroquer l’ensemble de la population.

Si une relation sexuelle ne doit pas se terminer par une maternité non désirée, une grève ne doit pas non plus nier les propres envies des femmes qui y participeraient ni invisibiliser la population LGBT+.

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Même si Ovidie, une féministe française, trouve qu’il est déplacé de critiquer la démarche de Milano, il semble raisonnable de mettre à jour la vision étriquée de la sexualité qu’une telle approche propose. Renforcer les stéréotypes, notamment celui d’une sexualité féminine uniquement soumise aux désirs des hommes, c’est nier l’agentivité et l’autonomie des femmes. Si une relation sexuelle ne doit pas se terminer par une maternité non désirée, une grève ne doit pas non plus nier les propres envies des femmes qui y participeraient ni invisibiliser la population LGBT+.

Les militantes peuvent utiliser leur corps pour autre chose que des slogans

Un militantisme féministe est possible sans utiliser essentiellement le corps pour le porter. Si le but ultime est de faire en sorte que les hommes hétérosexuels et cis se mobilisent aux côtés des femmes, ce n’est pas avec des slogans sur les seins à la FEMEN ou avec un lit froid qu’ils seront convaincus.

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Des hommes qui ne peuvent tomber enceintes légifèrent et criminalisent un acte qui ne les concerne en rien (sauf soudainement quand c’est leur maitresse qui attend le fruit de leur sperme giclé au fond d’un utérus.) Rien ne devrait contrevenir à une parentalité non désirée, que ce soit une situation financière qui rend l’avortement trop difficile d’accès ou un partenaire qui souhaite avoir des héritiers pour sa collection de bandes dessinées.

Même si les grèves du sexe attirent l’attention sur des injustices, celle proposée par Milano est maladroite. Tant que les hommes ne se préoccupent pas de la santé sexuelle des femmes, une grève du sexe ne peut rien changer. Quand le consentement est parfois plus conceptuel qu’appliqué, dire « non » ne suffira jamais à faire en sorte que des hommes se montrent solidaires des femmes.

La journaliste Charlotte Shane le résume sur le site Jezebel : « Les hommes continuent à solliciter et à s’attendre à des activités sexuelles qui peuvent engendrer une grossesse. Quand elles leur sont refusées, ils peuvent réagir de façon abusive et violente. C’est une des raisons cruciales pour lesquelles la tactique de la grève du sexe ne fonctionne pas. Nous vivons avec des hommes cis qui se foutent de notre oppression, une oppression qu’ils ont aidée à créer et qu’ils maintiennent. Comme ils n’arrivent pas à s’en préoccuper par eux-mêmes, comment serions-nous censés les “obliger” à s’en préoccuper? »

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