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Je parle souvent, pour ne pas dire tout le temps, des p’tits. Je suis la première à en être étonnée. C’même pas une joke. J’ai été longtemps à ne pas souhaiter qu’ils prennent toute la place, qu’ils empiètent sur tous les pans d’être possible. Comme si c’était faisable, ça, qu’ils ne prennent pas toute la place.
On se fait les accroires qu’on peut.
C’t’absorbant, ces petites affaires-là. Peu importe c’tu fais, sont là, dans ta tête, dans ta face, tes pants s’ils le pouvaient. Pis quand ils ne sont pas là, ce sont les jouets dans le fond des poches du manteau ou de la sacoche, les traces de beurre de peanut ou de peu importe ce qu’ils ont mangé qui se retrouvent sur le haut de tes pantalons ou le bas de ton chandail, leurs petites voix que tu entends pareil parce qu’ils parlent tellement tout le temps que ça te laisse une trace. Bruit de fond de ta vie, leur voix, leurs pas, leurs cris. Nécessairement, tu en viens à ne voir le monde qu’au travers d’eux. Sont comme un filtre par lequel tu appréhendes le réel parce que ledit réel, eux, ils s’enfargent dedans sans arrêt, ne le comprennent pas, fa’que tu passes ta vie en analogies bouetteuses, en réductions du complexe pour qu’ils l’absorbent par petits bouts, qu’ils ne s’en étouffent pas. Ça va venir assez vite, anéwé.
Y’a pas grand-chose qui te prépare à tout ça. Y’a pas un livre qui puisse te rendre tout ça avec suffisamment d’acuité pour que tu saches. Rien ne m’avait averti de l’effet des yeux larvaires d’un nouveau-né, à ce regard si plein et si profond de creux. Tout est là, mais rien ne se meut. J’tombais dans leurs yeux vierges du monde. Une chance que c’est bien fait, que les semaines passent et qu’ils s’habitent de plus en plus, c’rassurant. L’humain advient, prend place. Pis c’est dans le fond d’yeux que tu le vois.
Du moment qu’ils te sortent du ventre, c’est là : ça te confronte dans ce que tu es, ce que tu voudrais être, ce que tu avais imaginé que tu serais. Parce que c’est rarement comme dans ta tête finalement. Dans ta tête, c’est toujours figé. Un instant. Un boire. Un changement de couches. Un pleur. Une crise. Mais le vrai, il est multiple, il bouge, il se répète. Il est indépendant de toi, aussi. Tu fais pas c’tu veux avec. À cause de lui, ce vrai, tu questionnes le monde dans lequel tu l’as mise au monde, ta progéniture. Parce que tu le voudrais meilleur. Comme ce que tu mets dans son assiette, ce que tu lui achètes, ce que tu lui donnes à faire, à lire, à entendre, à voir. Nécessairement, tu voudrais un meilleur de toi, aussi. Plus patient, plus présent, plus jouant, plus toute.
Le défi au fond : être ordinaire et ne pas en virer fou.
Ne pas s’en vouloir de leur servir un sandwich jambon-fromage dans du pain pas parfait avec une soupe pour souper, de leur donner des bonbons pour qu’ils coopèrent, oublier un bain, ne pas avoir tout le temps envie de jouer avec eux, ne pas les inscrire à une panoplie de cours et ne pas craindre pour leur développement complet. Ce genre d’affaires que tu fais en t’en voulant un peu, à chaque fois.
Parce qu’on a une vision biaisée de l’extraordinaire. Et bin’que trop exigeante.
Ma poussière pis mon plancher collant, y me font honte dans les yeux des autres. Moi, y me dérangent pas. Je les ai comme choisis. C’tait eux ou moi. Pis des p’tits de toute manière, c’est graineux. Ça produit des graines, éparpillent des graines, tu fais juste ça être dans les graines quand t’es parent. Pis tu peux passer ta vie à les ramasser, te désespérer d’en voir de nouvelles ou juste laisser la graine être. Tu en as parfois en dessous des pieds, c’gossant, mais quand tu penses juste à la graine, t’sais, t’es pas en train de faire le moonwalk dans le corridor parce que ça fait rire ou en petit tas dans la cabane de couvarte dans le salon à te cacher du monstre qui pète. Pis j’ai compris assez vite que le monstre qui pète me fait plus de bien qu’une graine de moins sul plancher.
Fa’que ouin, je parle beaucoup d’eux. Un peu parce qu’ils m’ont appris que l’ordinaire, c’est ben parfait. Ça laisse de la place pour la vie qui bouge, t’sais. Mais surtout parce que je vois le monde avec eux, pour eux et au travers d’eux, tout le temps. Fuck les lunettes roses, les miennes ont la teinte colle-du-popo-sul-mur-mange-des-crottes-de-nez-et-braille-parce-que-le-lait-n’est-pas-du-jus. Pis j’ai beau avoir une formation en philosophie et l’enseigner, ce que j’ai appris et compris du monde, dans le miroir qu’est ma progéniture, pense pas que j’aurais pu l’apprendre et le comprendre ailleurs et d’une autre manière. Et je ne suis pas en train de dire que des p’tits, c’est l’école de la vie. Pantoute. Ne-non. Je dis pas des zaffaires de même. École de la vie.
Je dis juste qu’au travers des graines pis eux, y’a des bouts de mon humanité qui adviennent non-stop pis qui s’éprouvent, et ce ne serait pas leur faire honneur que de ne pas le dire et le répéter que mes considérations sua vie c’est de leur substance à eux que je les puise. Parler d’eux, à travers eux, encore et encore, parce qu’ils m’habitent, mais aussi parce que c’pas mal plus fun de citer le Fils que Heidegger.